Après un débat de plus de trois heures, la thèse de Yacine Benabid s'est vu couronnée de la mention Très honorable, avec les félicitations du jury et une recommandation pour que la thèse soit publiée par le Centre des publications universitaires de Lille. La thèse de doctorat avait pour titre « Littérature et mystique dans l'Algérie contemporaine. L'expérience de Umar Abu Hafs (1913-1990) Textes et contextes ». L'auteur, déjà encadré en DEA à la même université par l'orientaliste français, le Pr Luc-Willy Deheuvels, s'est adonné, tout au long de trois parties fragmentées en sept chapitres, à un exercice d'interprétation tout aussi vertical qu'horizontal du phénomène mystique dans la culture arabo-musulmane, particulièrement dans sa version maghrébo-algérienne. L'enjeu essentiel de la recherche consistait en deux choses : lever le voile sur une pensée occultée, des siècles durant, et vouée à la consommation intérieure des adeptes et des tenants de ce discours. Concilier, en second lieu, ladite pensée avec les démarches critiques modernes, essentiellement occidentales. Partie d'un corpus réduit quantitativement, mis en rapport avec le contexte socio-culturel de l'Algérie des années trente du siècle dernier et complétée par d'autres textes de nature à aider à l'analyse contextuelle, la démarche a commencé par un arrêt sur les théories littéraires qui devaient profiter à la recherche, une fois installées dans la dynamique d'une lecture qui appelle l'herméneutique comme procédé méthodologique. Elle s'est appliquée, dans la deuxième partie, à mettre en relief un des plus grands auteurs du soufisme algérien contemporain, Umar Abu Hafs de Bordj Zemura, passant par les dispositions sociales et culturelles qui l'ont engendré et qui ont influé sur son verbe. La dernière partie a été consacrée à la pensée qui a accompagné sa littérature avec ses thématiques variées, ses motivations différentes, ses choix et propositions esthétiques inspirées d'intertextes allant du littéraire au philosophico-religieux. Venant de l'arabe comme langue de souche (dans laquelle on lui compte plus d'une dizaine de publications) et de l'Orient comme terre d'appartenance, l'auteur de la thèse s'est appliqué à un effort qui s'inscrit dans ce qu'on pourrait appeler une mystique comparée, aboutissant à ce que le Pr Eric Geoffroy, de l'université de Strasbourg, a perçu, au cours de la soutenance, comme « une dimension universelle de la mystique musulmane ». Plusieurs angles de vue ont orienté le débat vers des zones de réflexions, où le doctorant a voulu jeter les bases d'une archéologie nouvelle pour repenser le soufisme musulman. Une dynamique qui, même perturbée par quelques incohérences, a donné lieu à une relecture de la spiritualité, la protégeant de toute forme d'instrumentalisation et la remettant dans le cadre de ses vocations originales. Finalité encouragée par le Pr égyptien Mahmoud Azab, pour peu qu'elle s'ouvre un peu plus sur les auteurs arabes, tels que Adonis, Arkoun, Al-Djabiri, Nasr Hamed Abu Zayd, qui, même enfermés dans leurs obsessions de modernistes, ont une lecture allant dans le sens de la reconquête du spiritualisme musulman.