Quant le glas a sonné annonçant il y a 43 ans la fin de l'occupation française en l'Algérie, cela ne signifiait pas pour autant que tout était fini entre les deux parties. Car si une période prenait fin, une autre commençait. Ayant été un long parcours d'une relation conflictuelle et sanguinaire, la période arrivant à terme avait marqué les deux parties. Elle les avait affectées profondément. Cela ne pouvait que se répercuter sur la période nouvelle et sur la gestion de l'héritage qui lui faisait face. Un héritage à facettes multiples : culturel, social, économique et par conséquent politique. Des manifestations des plus importantes de ces facettes des deux rives de la Méditerranée, on relève, d'un côté, l'implantation de la culture de l'ex-occupant, à travers la propagation de sa langue dans certains milieux de la population algérienne, véhiculant son patrimoine scientifique, littéraire, artistique et social bien entendu. De l'autre côté, la présence sur le sol français d'une importante communauté algérienne. La présence de deux parties, l'une chez l'autre, influençait directement et indirectement leurs situations et conjonctures intérieures. C'est pourquoi « gérer » cette présence est l'une des préoccupations et des soucis les plus importants de la politique des deux pays. Etant une source de pressions et de crises pour chacune des deux parties, cette « gestion » a toujours été imprégnée de sensibilité, de délicatesse, de sentimentalité, d'excitabilité, de désarroi et de sélectivité aussi. Ainsi, elle était dans la plupart des cas des réactions et des contre-réactions. Pour cela, on est tenu impérativement de ne pas isoler, quels que soient leurs domaines, les mesures prises dans ce sens, ici et là des deux côtés de la Méditerranée, de leur contexte : civilisationnel, culturel et politique. La présence culturelle française en Algérie a débouché sur la formation de deux courants : francophone et francophile (avec insistance sur la différence de sens des deux termes), devenus au fil des jours une réalité difficile à ignorer. Loin d'accuser leurs notables de trahison ou d'agents et de valets de l'ex-occupant (hizb frança, ou parti de la France), comme font leurs détracteurs, notons que le pilier central de ces deux courants était bel et bien le Français. Il l'est toujours. Non seulement comme outil de communication, mais beaucoup plus. Il véhicule pour certains des valeurs et des critères culturels et sociaux. Ainsi, il influence leur mode de vie. Ayant été pendant les premières années de l'indépendance un butin de guerre pour les uns, un exil forcé pour les autres, il devient actuellement - vu les transformations successives - un choix délibéré, conscient et voulu pour certains, même s'ils refusent de le reconnaître. L'un des aspects de la francophonie en Algérie consiste en la production intellectuelle, artistique et scientifique (?) d'Algériens en français, parmi cette production la littérature. On peut parler dans ce domaine d'une littérature (romanesque surtout) vieille d'environ un siècle, écrite en français par des Algériens. De Mohamed Dib à Assia Djebar, en passant par Malek Haddad, Mouloud Mammeri, Rachid Mimouni et beaucoup d'autres, on peut citer des dizaines d'écrivains francophones algériens. S'il est vrai qu' « écrire en français » par des Algériens n'est pas une exception qui prête à étonnement ou surprise, car c'est le cas de nombreux citoyens de pays jadis occupés par la France, sous mandat ou sous protection, ce qui est vraiment étonnant et surprenant est sans doute le fait qu'aucun Algérien n'a obtenu, à l'instar des écrivains francophones des pays évoqués ci-dessus, l'un des prestigieux prix intellectuels et littéraires français, tels le Gouncourt, le Medicis ou le Fémina par exemple. Bien que ces prix ne soient pas decernés exclusivement aux écrivains français, beaucoup de non Français en ont décroché, dont entre autres, le Marocain Tahar Ben Jelloun et le Libanais Amine Malouf. L'on se demande alors si les textes littéraires algériens écrits en français n'étaient pas à la hauteur de ces prix ? S'ils n'en étaient pas dignes ? De par leur valeur littéraire ? De par leur contenu ? Cela serait-il une discrimination raciale d'ordre culturel et littéraire contre les Algériens ? Cela est à vrai dire incompatible avec le soucis des Français de promouvoir leur langue et d'encourager les utilisateurs partout dans le monde. Vu qu'elle est ça et là l'outil de leur influence et le symbole de leur présence, surtout dans leurs anciennes occupations, ils ne ménagent pas leurs efforts à cet effet. Le problème ne serait-il pas dans la sélectivité et le désarroi marquant la gestion française de son patrimoine colonial, surtout en ce qui concerne l'Algérie ? Les exemples en sont nombreux. On peut citer, entre autres, l'affaire désormais célèbre du foulard des jeunes musulmanes françaises tournant en polémique, et qui a abouti à la loi antivoile, loi interdisant le port de signes religieux ostentatoire aux écoles publiques. Il y a là aussi la loi sur la nature de l'occupation (les bienfaits ?!!) adoptée par l'Assemblée nationale en France, etc. Dans le même ordre, mais d'une manière différente, vient l'élection à l'Académie française, l'institution la plus célèbre et la plus en vue de celles qui forment l' « Institut de France », le sanctuaire des valeurs intellectuelles, scientifiques, littéraires et artistiques françaises et gardien de son patrimoine dans ces domaines, de l'Algérienne Assia Djebar. En faisant abstraction de toutes les réactions et positions exprimées vis-à-vis de cette élection, pouvons-nous considérer l'entrée d'Assia Djebar à l'Académie fondée par le puissant Richelieu, l'homme qui détenait le pouvoir des deux mondes politiques et spirituel, une sorte de réparation française, un repositionnement envers la littérature écrite en français par des Algériens ? Lui ouvrira-t-elle de nouveaux horizons ? C'est là la question. Sa réponse est conditionnée dans tous ses états par la lecture de l'événement bien situé dans ses contextes : local, régional et international d'un côté, et civilisationnel, culturel et politique de l'autre. Il serait sinon un non-événement. Enfin, et en célébrant le 43e anniversaire du recouvrement par l'Algérie de son indépendance, nous nous demandons le plus innocemment du monde si Assia Djebar, la musulmane, issue d'un milieu musulman, aurait été promue éternelle si elle portait un foulard (et nous ne disons pas un hijab/voile).