Ahmed Rédha Houhou, père du roman algérien en langue arabe, écrivain à la verve satirique, pleinement engagé dans le combat pour l'émancipation de sa société et la liberté de son peuple, intellectuel bilingue, d'une formation singulière, tant à l'école de Jules Ferry, qu'à l'Ecole des sciences légales de Médine d'Ahmed Fayed Abadi. Natif de Sidi Okba, il vit le jour en 1911 dans cette belle palmeraie où repose l'apôtre de l'Islam maghrébin, Okba Ibn Nafaâ, qui porta haut l'étendard de Dieu, jusqu'aux bords de l'Atlantique. D'un milieu aisé, il eut une enfance heureuse et put poursuivre ses études jusqu'au certificat d'études qui lui ouvrit les portes de l'administration des postes. Peut-être que Houhou, aurait pu mener la tranquille existence d'un employé des postes, dans une sous-préfecture coloniale. Mais il était écrit qu'un tournant allait donner à sa vie un tout autre sens. En effet, sa famille décida de s'établir à... Médine. L'antique Yathrib fut, bien sûr, à la hauteur de sa prestigieuse hospitalité. C'est là où le jeune algérien eut à fréquenter l'Ecole des sciences légales de Médine, où il obtint les diplômes nécessaires pour y exercer les fonctions d'enseignant, aux côtés de noms illustres du charaâ et du fiqh. Un tel apanage était rare pour un Maghrébin des années 1930 et n'en souligne que plus le mérite de Houhou. Houhou qui, démentant le stéréotype du « faqih » sombre et revêche qui, plus tard fera florès, signe de nombreux articles dans la presse locale, à l'instar d'El Menhel ou Saout El Hidjaz, qu'il contribue à enrichir grâce à sa connaissance de la culture française. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, il poursuit l'aventure des mots en écrivant plusieurs nouvelles, renouvelant ainsi le genre narratif arabe. Il s'inscrit en cela comme l'un des précurseurs de la littérature romanesque arabe, affirmant ses idées novatrices dans un article critique demeuré célèbre, intitulé « La littérature arabe va-t-elle à l'extinction ? ». Sa contribution et sa renommée fut telle, qu'on le surnomma « le pionnier du récit en Arabie », allant jusqu'à le faire figurer jusqu'à aujourd'hui comme écrivain saoudien, dans l'Encyclopédie de la littérature saoudienne. Peut-être que Houhou aurait pu mener la confortable existence d'un « adib » saoudien bien établi et vivre longtemps entouré de soins et d'attention. Mais il était écrit, qu'Algérien, il ne pouvait que répondre à l'appel de celle-ci, au lendemain des massacres du 8 Mai 1945, Ahmed Rédha Houhou revient au pays et s'établit à Constantine. Constantine, où l'Association des uléma, présidée par cette vive intelligence que fut El Ibrahimi, lui ouvrit naturellement ses portes. Comment pouvait-il en être autrement à la confluence de l'héritage de lutte pour l'émancipation sociale et le renouveau religieux, laissés en legs par Ibn Badis ? Ahmed Rédha Houhou sera enseignant, administrateur, militant infatigable de la cause algérienne, de la cause du peuple et de celle de la femme, dont il n'aura de cesse de dénoncer la double oppression coloniale et sociale. Faut-il rappeler cette Constantine des années 1940 ? Creuset du mouvement national aux repères désormais marqués, s'inscrivant dans un espace communautaire, celui de la cité dans un axe temporel, celui du progrès dans une idéologie nationaliste et dans une rupture, celle de la violence du 8 Mai 1945. Sitôt retourné au pays, Houhou s'illustre, en aîné des Benhadouga et Ouettar, en publiant le premier roman algérien en langue arabe Ghadat de la Mère des cités en 1947. Adepte de la forme théâtrale, dont le succès et la portée dans la société algérienne d'alors ne lui échappe point, il fonde en 1949, la troupe théâtrale El Mazher constantinois avec laquelle il montera plusieurs pièces démontrant son talent de dramaturge proche de son peuple. D'un engagement passionné, il signe article sur article dans l'organe de l'Association des uléma El Baçair, dans sa deuxième collection. Si l'écriture romanesque de Houhou se limita à une seule tentative, il n'en fut pas de même pour son genre de prédilection, qu'est la nouvelle, qu'il cultivera avec une verve insatiable au ton railleur, s'inspirant de l'esprit satirique du terroir de cet éternel Djeha, caricaturant, grossissant le trait, dénonçant, s'esclaffant des travers tant du colonialisme que de sa propre société. Avec l'Ane d'El Hakim, faisant pendant à l'œuvre novatrice de Tewfik El Hakim au Moyen-Orient en 1953, l'Inspirée en 1954 et Portraits humains en 1955, il signe en un court laps de temps l'essentiel d'une œuvre qu'il laissera à la postérité. Il est certain que Houhou aurait pu vivre et écrire parmi sa fratrie des plus belles pages de la littérature. Mais que connaît la bêtise coloniale de la fraternité, de la beauté, des mots et de la liberté ? Comme, plus tard, son frère Mouloud Feraoun, il fut enlevé, traîné, supplicié, fusillé séance tenante, sans autre forme de procès, ce 29 mars 1956. Ses lunettes maculées de sang rouge tombèrent sur cette belle terre d'Algérie. Il existe à Constantine un lycée qu'on nommait d'Aumale, où Ferdinand Braudel, l'historien de la Méditerranée, enseigna et où le Maréchal Juin, le vainqueur du fascisme, étudia. Ce lycée, par-dessus l'abîme, s'appelle aujourd'hui Ahmed Rédha Houhou. Sur son fronton, flotte un drapeau vert et blanc, frappé de rouge.