chers amis. Je m'adresse à vous parce que vous êtes, tous les trois, d'immenses écrivains et que nous avons tissé depuis longtemps d'excellentes relations amicales soutenues par l'estime réciproque que nous vouons les uns aux autres et parce que votre discours anticolonialiste et anti-impérialiste remet d'une façon tranchante et universelle, le colonialisme, donc l'impérialisme et l'esclavage qui a pris aujourd'hui d'autres formes plus perverses et donc plus cruelles parce que astucieusement camouflées et se donnant bonne conscience. Le désastre africain, et dans une moindre mesure les désastres latino-américain et asiatique, ne peuvent que nous édifier chaque jour un peu plus sur le caractère néo-colonial et néo-esclavagiste des grandes puissances. Vous m'aviez envoyé par e-mail un texte-pétition pour le signer. Je l'ai approuvé entièrement parce qu'il pose les vrais problèmes, les vraies questions et qu'il détermine les vraies responsabilités. Paradoxalement, nous, hommes de gauche, savons que depuis l'établissement des premières colonies, la gauche occidentale a eu une responsabilité écrasante dans le développement du colonialisme à travers le monde. Le triomphe du mercantilisme au XVIIIe siècle devait fournir une justification nationale à l'expansion coloniale et encourager la compétition entre les grandes puissances européennes. Les tenants du libéralisme anglais Benthame, Mill, Hume et Adam Smith étaient opposés à la colonisation parce qu'ils considéraient qu'elle n'était pas... rentable. Par contre, en France, ce sont les hommes de la Révolution française, donc présumés de gauche, qui déclarent dans l'article 6 du titre I de la Constitution de l'An III de la Révolution que : « Les colonies sont parties intégrantes de la République et sont soumises aux mêmes lois constitutionnelles. » Même si cette Constitution avait aboli l'esclavage en 1794. Mais aussi, ce sont « les socialistes » européens opposés aux libéraux fondamentalement anticolonialistes qui vont en rajouter pour défendre « la nécessité de civiliser les sauvages ». Parce que la gauche européenne va dès le XVIIIe siècle militer pour plus de conquêtes coloniales. Ni Gladstone et Macanlay en Angleterre ni Tocqueville ou Veuillot en France ne remettent en cause la colonisation. Tocqueville n'écrivit-il pas dans son Travail sur l'Algérie (octobre 1841) : « Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l'Algérie. » Victor Hugo et Lamartine seront eux aussi de véhéments défenseurs de l'Algérie française. C'est comme par « inadvertance » que ces deux grands poètes vont se trouver à la tête de l'idéologie coloniale. Ainsi, Lamartine écrira : « Dans ma grande conviction, de grandes colonisations entrent indispensablement dans le système politique que l'époque assigne à la France et à l'Europe... Que serait la Grèce dans l'histoire sans ses colonies d'Asie, de Sicile et d'Italie ? Que serait l'Espagne, l'Angleterre, la Hollande ? Remettre les rivages et les villes d'Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie... » Ainsi, Victor Hugo fustigeait Bugeaud parce qu'il était lui contre la colonisation de l'Algérie qu'il occupera par discipline militaire : « Je crois, moi, que cette conquête est chose heureuse et grande. C'est la civilisation qui marche contre la barbarie. C'est un peuple éclairé qui va sauver un peuple de la nuit. Nous sommes les Grecs du monde ; et c'est à nous d'illuminer le monde. Notre mission s'accomplit. Je ne chante qu'Hosanna ! » Voilà, chers amis, comment la gauche, dans son ensemble et en particulier les socialistes de Robespierre à Mitterand, a toujours été colonialiste, arrogante et criminelle. C'est pourquoi il nous arrive parfois d'avoir honte d'être... de gauche. Mais les idées marxistes vont ériger l'anticolonialisme en dogme politique, dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Heureusement ! Amicalement à vous trois.