Venu à Oran dédicacer ses livres, Yasmina Khadra, l'écrivain algérien de renommée mondiale, a répondu aux questions intéressées d'un public venu nombreux l'accueillir chez Dar El Gharb. Chez lui, Mohamed Moulessehoul ne suscite pas les mêmes débats passionnés qu'en France. Il dira lui-même au sujet de son texte : « J'ai écrit ce livre pour assagir certains de mes détracteurs. » Révélé au monde en 1997 grâce à sa trilogie policière Double Blanc, Morituri et l'Automne des chimères, il a dû plus tard, après avoir décliné son identité, affronter toutes les critiques formulées autour de la lutte antiterroriste. Militaire de carrière depuis l'Ecole des cadets, l'écrivain s'est déjà fait éditer durant les années 1980. De ce fait la reconnaissance dont il jouit aujourd'hui ne pouvait être que le fruit d'un long apprentissage. C'est ce que lui-même revendique en étalant publiquement son expérience de l'écriture qui remonte à sa tendre jeunesse. « Très jeune déjà, j'ai construit dans ma tête un certain écrivain », déclare Yasmina Khadra pour qui, pourtant, « vivre en Algérie et écrire, c'est mourir deux fois ». C'est sans doute ce qui l'a amené à opter pour l'exil, conscient en outre que le pire ennemi de l'écrivain est justement l'indifférence. La traduction en arabe (faite par Amine Zaoui pour le compte de Dar El Gharb) de son roman intitulé A quoi rêvent les loups ne s'est vendue qu'à 400 exemplaires, alors que les minimums enregistrés dans tous les autres pays où il est distribué ou traduit ne tombent pas au-dessous de 5000 exemplaires. Ces chiffres qu'il a lui-même communiqués traduisent, selon lui, le peu d'intérêt accordé à la littérature algérienne dans son pays qu'il considère pourtant comme étant « robuste et audacieuse ». Il se dit fier des cinq autres écrivains algériens traduits en Amérique latine avant d'évoquer d'autres noms pour illustrer justement la robustesse de cette littérature : Assia Djebbar, Malika Mokadem, Anouar Benmalek, Fatima Bekhaï et Boualem Sensal qu'il a qualifié de génie. A propos d'exil, il va néanmoins apporter des éclaircissements sur le choix du Mexique au tout début de sa retraite militaire et c'était en réaction à certaines suppositions formulées par ses « détracteurs », comme il aime à les qualifier. « Je n'étais pas attaché militaire au Mexique. J'ai été aidé par le Parlement international des écrivains qui m'ont obtenu une prise en charge qui a duré deux ans. » Il ne s'est pas installé en France pour ne pas tomber dans le piège de l'offre et de la demande qui signifie pour lui « écrire n'importe quoi pour survivre ». Pour quelqu'un qui a considéré, parlant de lui-même, qu'« à l'armée, on n'a pas le temps de discourir », il s'est vu, par la force des choses, devenir le porte-parole de la littérature algérienne produite par les écrivains de sa génération. Interrogé au sujet du choix du style du polar à qui il doit son premier succès, il s'est évertué à considérer que, « nous les Algériens, nous avons beaucoup d'imagination, un sens de l'observation et une connaissance aiguë du facteur humain, car on vit pour les autres ». C'est sans doute pour cela qu'il a préféré céder les droits d'un de ses romans à un réalisateur algérien plutôt qu'à un cinéaste franco-britannique. « J'ai perdu le Britannique et l'Algérien, lui n'a jamais fait le film », a-t-il ironisé avant de revenir aux difficultés rencontrées en France tout en nuançant ses propos. « Il ne faut pas être ingrat, ceux qui m'ont édité, fait connaître, etc., sont les Français », devait-il reconnaître et d'ajouter ensuite : « Je n'ai pas été censuré par les éditeurs, mais par une certaine presse française qui voulait imposer une orientation qu'ont d'ailleurs suivie des Algériens particulièrement embrigadés ». Parfois les allusions sont à peine déguisées.