Immondices visibles de l'extérieur, possibles présences étrangères au site pendant la nuit. Tel est le visage que semble présenter le musée des ruines d'Hippone à Annaba. Pourtant, à y voir de plus près, tout semble fonctionner le plus normalement du monde. Mais la rumeur enfle dans tout l'Est algérien, concernant la vitrine archéologique de la ville de saint Augustin. Malgré la chaleur étouffante et humide de ce mois d'août, une délégation de touristes polonais, casquettes et bobs vissés sur la tête et appareil photo ou caméscope en main, déambule à travers les vestiges de l'antique Hippone. Emerveillés par le site et par le musée des antiquités, ils cherchent par tous les moyens à immortaliser leur sortie. A Annaba, comme ailleurs, pourtant, on ne parle que de ça : la fermeture du musée reflétant le passé antique de la ville du Jujubier. «C'est fermé, vous ne pourrez pas y accéder, me répètent en chœur beaucoup de Bônois. D'ailleurs, l'endroit est mal fréquenté, il est devenu le lieu de rendez-vous des délinquants des quartiers chauds de Annaba.» La rumeur enfle depuis depuis plusieurs semaines. Certes, à proximité du musée ou de la basilique Saint Augustin, à partir d'une certaine heure de la soirée, en raison surtout de l'absence d'éclairage public, il est fortement déconseillé de rôder dans les lieux. Abderrahmane, chauffeur de taxi pour la ligne Annaba-Guelma, avoue avoir une «montée d'adrénaline» chaque fois qu'il passe devant le musée le soir avec son véhicule. «Un soir, en juin dernier, se souvient-il, j'ai vu trois jeunes, sabre à la main, traverser la rue, grimper sur la barrière du musée et s'introduire à l'intérieur. L'endroit est fréquenté par tous les voyoux de la place d'Armes (quartier populaire de la vieille ville de Annaba, ndlr) et de Boukhadra (quartier populaire à la périphérie sud de la ville, ndlr). Vraiment, je me demande ce qu'attendent les autorités pour réagir. Nous vivons vraiment dans un Etat de non-droit.» LÂCHE Dans le centre-ville de Annaba, tout se dit à propos du musée : abandon, fermeture pour projet de vente à une société archéologique étrangère. «Ce musée, fondé et enrichi par la France coloniale, a été complètement déphasé depuis l'indépendance, raconte Amina, étudiante en lettres françaises à l'université Badji Mokhtar. J'ai entendu dire que le ministère de la Culture voulait le vendre.» Qui colporte ces rumeurs et pourquoi ? Surprise de les entendre, El Hadba Menadjlia, direcrice de la maison de la culture Mohamed Boudiaf les réfute complètement : «Le musée est entièrement ouvert au public, vous pouvez vous y rendre à tout moment de la journée et même de la semaine puisqu'il est ouvert 7 jours sur 7. Je ne comprends pas pourquoi on cherche à nuire comme ça à notre patrimoine, c'est honteux et surtout lâche. Les gens ne savent pas quoi inventer pour détruire tout un groupe de personnes qui œuvrent à préserver ce qu'il reste de la ville de saint Augustin. Allez le constater par vous-même, vous verrez bien que tout fonctionne le plus normalement du monde.» Situé au pied de la colline sur laquelle est perchée la basilique Saint Augustin, le musée des ruines d'Hipponne est accessible à partir de l'axe reliant la station de taxis interwilayas à la RN16 en direction de Souk Ahras et Guelma. Le musée, proprement dit, est divisé en deux parties : un ancien casernement reconverti dans la hâte en 1950 et les ruines, proprement dites, gérées alors par l'académie d'Hippone, une société savante d'archéologues exerçant dans cette ville qui s'appelait encore Bône. Toutes les collections, telles que sculptures, poteries, mosaïques sont montrées au public. INSALUBRE Zahia Benkrirda, directrice du musée, nous reçoit chaleureusement dans son bureau. A la foi surprise et scandalisée, elle explique la réelle situation de ce joyaux qu'est Hippone : «Hippone est le seul musée dans toute l'Algérie qui soit ouvert toute la semaine, même le vendredi. Comme vous pouvez le constater, la partie consacrée aux objets d'art est entièrement entretenue, de même qu'une grande partie du musée. Je reconnais qu'une partie, mais une seule partie seulement du musée est squattée par des SDF, ce sont les thermes, mais je vous avoue que j'y ne mets pas les pieds.» Dans ce qui fut les thermes de ce qui était au temps de l'Empire romain Hippo Regius, les sachets, canettes de bière et autres immondices jonchent le sol. De ce côté-là, aucun touriste ne s'aventure, d'autant que les gardiens sauront empêcher toute tentative. «Personne ne vient ici, affirme l'un d'eux. L'endroit est tellement insalubre qu'il dégoûterait même un habitant des Allemands (quartier populaire situé à la Plaine ouest, ndlr). Vous savez, Mme Benkrirda est une brave directrice, elle entretient bien le musée, elle fait de son mieux pour l'embellir, le rendre accuillant. Je pense que ces rumeurs viennent d'Alger, de la part de gens jaloux de sa compétence, donc, ils cherchent à faire couler le musée et à tout faire retomber sur son dos. Mais nous, nous nous opposerons à tout ça.» Tout en nous faisant visiter le lieux pour lequel elle travaille en son «âme et conscience», Zahia Benkrirda reste fière du travail qu'elle accomplit pour «le bien des Bônois et des visiteurs» : «Le musée est entretenu de ma propre initiative, intérieur comme extérieur. Nous recevons des délégations officielles comme des touristes tant nationaux qu'étrangers. Nous sommes l'un des seuls musées en Algérie à utiliser un affichage régulièrement à jour. Si un éventuel visiteur constate que le musée est fermé, qu'il le signale auprès des autorités, mais je doute qu'un tel événement ait lieu sauf si nous le signalons au préalable et le panneau d'affichage sera là pour le prouver.» NAHCHEM A y regarder de près, le musée semble, à l'exception des thermes de Caracalla, extrêmement bien entretenu, si ce n'est qu'une meilleure prise en charge du patrimoine serait souhaitable, mais ceci n'est plus du ressort de Zahia Benkrirda, selon l'un des gardiens : «L'APC devrait intervenir directement, après tout, Hippone c'est aussi la ville de Annaba, elle fait partie de sa commune. Mais il y a aussi le ministère de la Culture qui est loin de faire correctement son travail. Nahchem (j'ai honte), quand des touristes étrangers veulent se rendre du côté des thermes et que l'accès leur est refusé. Ce n'est pas de notre faute, mais il va falloir remédier à ce problème de squattage.» Zahia Benkrirda veut absolument en finir avec cette idée de délinquants qui font du musée leur lieu de villégiature. «Nous n'avons pas de voyoux ou autre dealers ici, s'insurge-t-elle. Les gardiens vous le confirmeront, pas de gang organisé ni de trafiquants de je ne sais quoi. Mis à part ces fameux SDF, rien de violent. Nous faisons de notre mieux. Regardez ces pierres, regardez ces vestiges d'une époque qui nous paraît révolue. Derrière chaque objet, il y a une âme. Par respect pour nos ancêtres, le musée d'Hippone doit continuer à vivre et progresser, et je fais tout pour le laisser en bon état à nos enfants et petits-enfants.»