Rien ne va plus entre Me Zahia Mokhtari et son client, M. Merah, le père de Mohamed, abattu à Toulouse le 22 mars dernier. A la barre : l'avocate et le conseiller de Mohamed Benalel Merah, président de l'ONG de coaching et de formation, le Conseil du rassemblement et de la différence pour les relations publiques et de développement de la oumma. Rabah Addad. Conseiller du père Merah : Me Zahia Mokhtari a été dépassée par l'ampleur de l'affaire
- Quel est votre rôle auprès du père de Mohamed Merah ?
Nous avons signé un contrat d'accompagnement et de conseil avec lui en mai 2012 après avoir constaté que cette affaire nécessitait plus qu'un suivi juridique. Notre rôle est de l'accompagner sur tous les plans, psychologique, social, dans ses relations avec les médias et les officiels, etc. L'avocate, qui voulait s'emparer de cette affaire, a tout fait pour nous écarter. Elle m'accuse d'être un «conseiller à la présidence de la République» et nous reproche de lui avoir mis la pression. En fait, elle n'a peut-être pas saisi mon rôle. Quant aux pressions, il s'agissait juste de demandes répétées de la part son client de faire avancer l'affaire ! Mohamed Benalel Merah a déposé deux plaintes, les 11 et 12 novembre, auprès du Syndicat national des avocats et du procureur général de la cour d'Alger pour dessaisir maître Mokhtari du dossier et pour exiger la restitution des pièces, dont ces fameuses vidéos relatant les derniers moments de Mohamed Merah avant l'assaut du Raid. Le père a également déposé une requête, mercredi dernier, auprès du tribunal d'El Harrach (est d'Alger) pour la désignation d'un huissier de justice chargé de récupérer les documents que l'avocate dit posséder…
- Mais Me Mokhtari dément être en possession de ces vidéos. Pire, elle accuse le père de vouloir les vendre à des médias étrangers…
Pour les vendre, il faudrait d'abord qu'il les ait ! Je vous rappelle que c'est maître Mokhtari qui a déclaré plusieurs fois à la presse qu'elle avait ces vidéos et qu'elle allait les déposer auprès de la justice française. Et quand le père de Merah a demandé à les voir, elle s'est justifiée en disant : «Non, c'est trop choquant pour toi.» Plus tard, alors qu'il insistait, elle a prétendu que les vidéos étaient en possession des services secrets. Elle l'accuse de vouloir vendre les vidéos pour 25 000 euros à des journalistes ? Nous, au Conseil, nous proposons à maître Mokhtari 50 000 euros pour qu'elle nous les vende et pour qu'on les dépose chez les magistrats !
- L'avocate prétend qu'elle a un enregistrement prouvant que le père lui a déclaré qu'il abandonnait l'affaire…
Il l'a peut-être dit, mais dans un moment de colère face aux tergiversations de l'avocate. La vraie question est la suivante : comment se fait-il qu'une avocate enregistre en catimini son propre client ? C'est une méthode plus que douteuse !
- Dans El Khabar, hier, Me Mokhtari accusait le père de Merah d'avoir refusé de payer les honoraires de l'avocate française Isabelle Coutant-Peyre, qui seraient de l'ordre de 10 000 euros…
Mohamed Benalel Merah n'a pas mandaté l'avocate française. C'est une initiative de maître Mokhtari. Cette dernière a touché 360 000 DA versés par le père de Merah alors qu'elle n'en demandait au début que 130 000. L'autre question à poser concerne ce fameux collectif d'avocats algériens qui la soutient. Où sont-ils ? Qui sont-ils ? Je ne crois même pas que ce collectif existe.
- Pour revenir à ces plaintes contre maître Mokhtari déposées par le père de Merah, que contiennent-elles ?
En plus de dessaisir l'avocate, le père lui interdit à travers ces plaintes de faire de ce cas un fonds de commerce dans les médias. D'ailleurs, il dégage toute responsabilité quant aux déclarations faites par son ex-avocate. Concernant les motifs des plaintes, ils sont nombreux. Le père a le droit de consulter les pièces du dossier. Or, elle le lui refusait automatiquement. Ensuite, l'avocate a privilégié son image dans les médias au détriment de son travail Elle n'a pas respecté la déontologie de sa profession en divulguant des informations privées sur le passé de son client. Nous croyons vraiment que l'avocate a été dépassée par l'ampleur de l'affaire. Nous n'avons aucun problème personnel avec elle, je tiens à le préciser. Nous avons des divergences profondes sur la manière dont elle a géré le volet judiciaire de cette affaire.
- Quelles sont les prochaines étapes de votre démarche auprès du père de Mohamed Merah ?
Récupérer par voie légale les documents constitutifs du dossier, sinon il s'agira d'une dissimulation de preuves, ce que la loi punit. Ensuite, nous lançons un appel aux avocats intègres et compétents pour reprendre l'affaire. La quête du père de Merah n'est pas d'innocenter son fils à tout prix, mais de savoir pourquoi il a été tué sans jugement. Nous respectons le choix du père, et il ne nous importe pas de clamer que Mohamed Merah était un agent ou un martyr ! Nous faisons confiance au système judiciaire français, pays de droit, et nous sommes confiants quant aux enquêtes déclenchées en France autour de cette affaire. Enfin, nous cherchons à alerter les ONG des droits de l'homme sur les conditions inhumaines d'isolement dans lesquelles est détenu Abdelkader, le frère de Mohamed Merah. Il n'est toujours pas jugé et vit une détresse psychologique terrible.
- Maître Mokhtari a déclaré hier qu'elle attaquera le père Merah pour diffamation…
Nous ne pouvons qu'être satisfaits de cette démarche ! Car ainsi nous pourrons lui demander de produire devant la justice les preuves matérielles de ses accusations, comme par exemple les enregistrements qu'elle dit détenir sur le père. Adlène Meddi
Me ZAHIA MOKHTARI. Ex-avocate de Mohamed Benalel Merah : M. Merah ment, comme toute la famille
- Le père de Mohamed Merah dit qu'il vous a dessaisie du dossier les 11 et 12 novembre. Vous affirmez vous être retirée en premier. Qui croire ?
Je me trouvais en France pour m'occuper du dossier quand j'ai téléphoné à Mohamed Benalel Merah pour lui dire qu'il devait de l'argent à Me Coutant-Peyre et qu'il devait aussi verser une somme au juge d'instruction pour lancer la procédure. Il m'a alors répondu que ce n'était plus la peine, qu'il laissait tomber le dossier. Le 19 novembre, quand j'ai signifié mon retrait de ce dossier au tribunal de Paris, j'étais toujours officiellement mandatée par le père de Mohamed Merah ! S'il me l'avait vraiment enlevé, j'aurais dû en être informée par lettre recommandée. Il ne m'a même pas appelée ! J'appelle ça une trahison.
- Même chose avec les deux vidéos : le père de Merah dit que vous les avez. Selon vous, c'est lui qui les aurait. Au final, on croit difficilement à leur existence…
Elles existent. Je les ai vues. Il faut savoir que Mohamed Benalel Merah est toujours entouré de personnes qui veulent me donner des ordres et me dire comment je dois faire mon travail. Un jour, ces personnes me les ont montrées sur un ordinateur portable et j'ai écrit le contenu, car je ne pouvais pas les garder. J'ai plusieurs fois exigé d'avoir des preuves solides. Le père de Mohamed Merah affirme qu'elles sont en ma possession. Je vous assure qu'il ment, comme toute la famille.
- Sortiront-elles un jour ?
Oui, elles finiront pas sortir. Car il parviendra à les vendre. J'ai été témoin d'un enregistrement au cours duquel des journalistes demandaient par téléphone au père de Mohamed Merah s'il acceptait de leur vendre quelques minutes de ces vidéos contre 25 000 euros. Ce qu'il a accepté.
- Qui sont ces personnes ?
Je ne sais pas, mais Mohamed Benalel Merah travaille en coulisses avec elles. Il y a un certain Rabah Addad, qui s'est présenté à moi comme un garde du corps de la Présidence! Quand je lui ai demandé des papiers, il a inventé toute une histoire pour, finalement, avouer sa véritable identité. Ces gens qui accompagnent M. Merah ne sont pas clairs.
- Vous avez parlé de menaces contre votre personne…
Oui, mais cela n'est jamais entré en ligne de compte dans ma décision.
- Vous dites que Mohamed Benalel Merah doit de l'argent à Me Coutant-Peyre. Mais il répond qu'il ne lui doit rien parce qu'il ne l'a pas mandatée…
Me Coutant-Peyre m'a montré deux factures, une de 2000 euros et une de 10 000 euros. La procédure en France exige ces honoraires, c'est comme ça, les factures sont détaillées. Quant à moi, il dit m'avoir versé 360 000 DA. C'est vrai. Toutefois, il ne s'agit pas d'honoraires mais de défraiement. Je lui ai demandé au départ de me verser 250 000 DA pour chacun de mes voyages en France. Je n'ai pas choisi un hôtel 5 étoiles mais un hôtel à 80 euros la nuit, les déplacements coûtent cher, surtout à Paris. Je me suis aussi déplacée à Toulouse… Bref, je ne crois pas que cette somme soit exagérée. Je n'ai, par ailleurs, fait que deux déplacements. Les gens qui me connaissent savent que l'argent n'est pas ma motivation, que je ne suis pas une profiteuse. Mais je vais porter plainte contre M. Merah et réclamer qu'il règle ses honoraires, au moins 60 000 DA, car c'est mon droit.
- Il vous accuse également d'avoir laissé traîner le dossier…
Mais depuis sept mois, du matin jusqu'au soir, je m'occupe exclusivement de son affaire ! J'ai laissé tomber tous les autres dossiers, mobilisé tous mes collaborateurs, parfois jusque tard dans la nuit. J'ai déposé la plainte le 11 juin, il y a eu ensuite les vacances judiciaires et depuis septembre, je n'arrête pas. La dernière fois que je lui ai demandé de l'argent pour payer mon voyage en France, son épouse, qui parle à sa place, m'a dit que ce n'était pas possible. J'ai quand même décidé d'y aller. Non, vraiment, je ne m'attendais pas à cela.
- Qu'est devenu le collectif d'avocats que vous disiez avoir formé pour assurer la défense de M. Merah ?
Mes collègues ont assez vite refusé de participer. Maintenant, je ne peux que leur donner raison. Moi, j'étais convaincue par l'affaire. C'est pour cette raison que je l'ai acceptée et que j'ai continué malgré tout. Mélanie Matarese