L'Algérie a annulé la dette de 14 pays africains, du Yémen et de l'Irak, soit presque 1,5 milliard de dollars. Enquête sur une stratégie qui ne manque pas de soulever des interrogations, d'autant plus que ce n'est pas la première du genre. - Les Affaires étrangères ont annoncé fin mai l'annulation des dettes de 14 pays africains et celles du Yémen et de l'Irak. Dans quel contexte économique et stratégique l'Algérie a-t-elle consenti à ses prêts ?
J'avoue ne pas comprendre ces annulations et la manière dont elles ont été opérées. En général, dans un pays démocratique, ce genre de décision se construit sur la base d'un consensus partisan, et avec des objectifs dictés par une vision stratégique. Pour les pays africains par exemple, cette décision doit s'inscrire dans une politique africaine qui consiste à faire en sorte que notre pays soit soutenu dans les votes des résolutions qu'il propose, dans les forums internationaux. De même, mettre en valeur la solidarité et la coopération de l'Algérie vis-à-vis de ces pays. Les prêts consentis pour ces pays étaient des crédits bilatéraux, certainement dans le cadre de la coopération.
- Qui a concrètement pris cette décision et qui, juridiquement, est à même d'annuler des dettes détenues sur d'autres pays ?
S'agissant de deniers publics, donc de ressources fiscales, tous les citoyens sont concernés par cette annulation! L'Etat algérien à travers le Trésor public aurait dû organiser un débat auprès du pouvoir législatif (les deux chambres APN et CN) pour qu'une loi vienne couvrir juridiquement cette décision politique. Malheureusement ce n'est pas le cas, une simple décision du Président a été suffisante sous la forme d'une ordonnance, pour procéder à cette annulation.
- La raison officiellement invoquée par les autorités algériennes est celle de la solidarité avec les pays africains d'une part, et les pays «frères» arabes d'autre part. Qu'en pensez- vous ?
Il est très sain de venir en aide à des pays pauvres et de faire jouer des sentiments de solidarité ! Mais entre Etats, il n'y a pas de sentiments, il y a des intérêts et je ne suis pas sûr que notre pays a protégé les siens dans cette affaire. Le Président a dû agir en chef de confrérie et s'est permis de procéder à un don pour sa propre gloire et en son nom personnel. Il serait intéressant d'analyser le comportement de ces pays quand notre pays était en difficulté.
- L'Algérie a-t-elle les moyens économiques d'annuler ces dettes, notamment au regard des mouvances actuelles sur le marché de l'hydrocarbure et du creusement du déficit public ?
Il est clair que notre pays jouit depuis un certain temps d'une certaine aisance financière momentanée... Il est tout aussi clair que cette situation n'est pas le fruit de notre vitalité économique, mais de l'amélioration des prix du marché des hydrocarbures. Ce qui signifie que cette conjoncture risque de se retourner à court terme. La prudence est donc de rigueur et ces décisions intempestives risquent de se retourner contre nous.
- Quels risques peut-on évoquer en particulier ?
Une très forte baisse des prix des hydrocarbures (sous la barre des 80 dollars) nous mettrait dans une situation d'impossibilité de couvrir nos dépenses, ce qui obligera le gouvernement à puiser dans les réserves... C'est le début de la catastrophe économique et sociale qui nous guette, du fait que nous importons quasi tous nos besoins vitaux.
- Cette annonce a été faite alors même que le Président est absent depuis plus d'un mois ? Peut-on voir des avantages internes à cette annonce ?
La gestion du dossier est longue et nécessite la tenue de nombreuses réunions nationales et internationales pour aboutir à sa maturité, ce qui signifie que ce dossier a été préparé depuis au moins quelques années. Que des avantages retombent au niveau national sur le Président et son clan, me semble peu probable, car c'est plutôt le contraire, cependant, le Président peut en tirer une reconnaissance internationale certaine.
- Par ailleurs, depuis 2010, l'Algérie a effacé plus de 2 milliards de dollars de dettes et a octroyé un prêt de 5 milliards de dollars au FMI ? Pourquoi effacer la dette des autres, alors que notre propre déficit public se creuse ? Est-ce un pas de plus dans l'ouverture économique entreprise par l'Algérie ?
Les deux opérations sont à dissocier, car elles ne procèdent pas de la même logique. Le prêt au FMI est un placement rémunéré et sécurisé, et pour ma part je considère que c'est autant de ressources financières qui échapperont à la rapine orchestrée par le pouvoir. Pour l'effacement de dettes des pays débiteurs, il s'agit d'une décision d'opportunité dans un contexte de solidarité internationale sans répercussion directe sur notre déficit public, car cette créance, même vivante, n'est pas sûre d'être recouvrée un jour. Il faut éviter d'introduire des aspects sentimentaux dans ce genre de dossier, c'est une erreur fatale ! Il y a toujours lieu de rechercher les intérêts de toutes les parties prenantes dans cette opération. L'ouverture économique de notre pays ne se mesure pas à l'aune de cet aspect, elle est liée à d'autres exéquaturs.
- A quels intérêts pourrait-on penser pour l'Algérie ?
Les intérêts de notre pays en Afrique, notamment subsaharienne, sont énormes dans tous les domaines. Notre pays dispose de quelque 6000 km de frontières qui, pour la plupart, sont en Afrique, si on excepte les 1200 km de côtes, faisant de notre pays le plus grand d'Afrique. Dès lors, la stabilité et la sécurité de la région deviennent vitales pour nous, pour ne pas risquer une partition du pays, menace contre laquelle il faut nous prémunir. Dans les domaines économiques, culturels et cultuels, notre place en Afrique est indispensable malgré la route transaharienne. Notre pays n'a pas exploité toutes les opportunités de cet investissement resté en jachère.