La famille du défunt Ali Mecili ne compte pas accepter le verdict de la justice française qui a prononcé, le 17 novembre dernier, un non-lieu dans l'affaire de l'assassinat de l'avocat et membre fondateur du FFS. Après le recours déposé auprès du parquet de Paris, l'avocat de la famille menace de faire appel à la justice européenne. «Nous aurons une audience, probablement dans quelques mois, pour avoir une réponse à notre recours. Si le dossier n'est pas rouvert par la justice française, nous sommes prêts à aller jusqu'à la Cour européenne», a déclaré maître Antoine Comte. La décision de non-lieu a été prise par le nouveau juge d'instruction qui a considéré qu'«en dépit d'une instruction extrêmement longue et de multiples tentatives de coopération internationale demeurées vaines, l'information n'a pas permis d'établir des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les faits d'assassinat à l'encontre d'André Mecili». En tout cas, c'est l'argument majeur qu'aurait présenté Anne Bamberger, juge et vice-présidente chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Paris, à la partie civile. La justice française met en avant, ainsi, le refus de coopération des autorités algériennes pour justifier cette décision. «Les deux commissions rogatoires internationales en Algérie n'ont pas été exécutées», précise l'ordonnance de non-lieu. Se disant «révoltée et triste», Annie Mecili a qualifié ce non-lieu de «honte pour la justice de mon pays». Pour la veuve de maître Mecili, «cette ordonnance, reprenant le réquisitoire du parquet, est un véritable aveu d'impuissance de la part de la juge chargée de l'instruction». Si la fermeture du dossier de l'affaire Mecili est maintenue, cela voudrait dire, selon notre interlocutrice, que «la justice française reconnaît par là même à un Etat étranger le droit de paralyser l'action judiciaire en France alors qu'il faudrait justement ne jamais cesser d'en exiger des réponses et, donc, maintenir le dossier ouvert». Même son de cloche chez Me Comte. «C'est honteux pour la justice et les autorités politiques françaises si on considère qu'un assassinat politique commis en France pourrait rester impuni», a-t-il déclaré à El Watan. La raison d'état prime de nouveau ? «Cette affaire, c'est d'abord une affaire d'Etat. On a arrêté l'assassin présumé et on l'a renvoyé en Algérie. On l'a donc, en quelque sorte, renvoyé aux commanditaires de l'assassinat. Ces faits ont été cachés au juge d'instruction en charge du dossier à l'époque et à la famille aussi. On ne l'a su que plusieurs mois après», rappelle Me Comte, faisant allusion à l'arrestation de Abdelmalek Amellou, le 10 juin 1987, et son expulsion vers l'Algérie en vertu de la procédure d'«urgence absolue» sur décision du ministre français délégué à la Sécurité de l'époque, Robert Pandraud, et sur ordre de Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur. «Les arguments de la justice française sont simples : toutes les commissions rogatoires qu'elle a formulées ont été ignorées par les autorités algériennes. On a considéré qu'en l'absence de possibilité de coopération avec la justice algérienne, on ne peut rien faire. Le juge d'instruction ne peut interroger l'assassin présumé ni en France ni en Algérie. Les autorités algériennes n'ont apporté aucun élément qui permette à l'affaire d'avancer», explique encore Antoine Comte. «Malgré cette décision, nous ne désespérons pas que les juges français reprennent cette affaire en main et relancent l'instruction, surtout que ce n'est pas la première fois qu'un non-lieu est prononcé dans ce dossier», a-t-il conclu. Effectivement, une première décision de non-lieu avait été prise le 20 novembre 1992, puis annulée par un arrêt de la cour d'appel de Paris, le 31 mars 1993, qui ordonna la poursuite de l'information judiciaire. «En sera-t-il de même aujourd'hui ? Il m'est difficile de répondre à cette question dans le cadre d'une affaire marquée dès l'origine par la raison d'Etat», regrette Annie Mecili. En effet, cette «raison d'Etat» a été dénoncée dès 1987 par Hocine Aït Ahmed, quelques mois seulement après l'assassinat de son lieutenant, Ali-André Mecili. Cette position demeure, encore aujourd'hui, celle du FFS. Dès l'annonce de l'assassinat de Mecili, le 7 avril 1987, Aït Ahmed avait accusé directement les «services spéciaux» algériens d'avoir commandité l'assassinat. Il insistait sur le fait que son camarade de route avait été «abattu par un vulgaire proxénète sous contrat avec la Sécurité militaire». Deux mois plus tard, les services de sécurité français arrêtaient Amellou, sur lequel était retrouvé un ordre de mission signé par un certain «capitaine Hassani». Un non-lieu attendu ! Depuis l'épisode de l'arrestation, en 2008, du diplomate algérien Mohamed Ziane Hasseni, soupçonné d'être le fameux capitane Hassani avant qu'il ne soit innocenté deux ans plus tard, le dossier de l'affaire Mecili stagne. Cela faisait peur à Annie Mecili. Cette dernière avait un mauvais pressentiment qu'elle avait exprimé à El Watan, lors du recueillement annuel au Père Lachaise, en avril dernier : «Nous devons demeurer vigilants… très vigilants ! Car il peut y avoir toujours un moment où un juge finit par se demander si un dossier aussi ancien, de plus bien embarrassant, marqué par la raison de deux Etats, ne mérite-t-il pas un non-lieu.» Quelques mois plus tard, en juillet 2014, la veuve Mecili avait envoyé une lettre à Christiane Taubira, ministre française de la Justice, où elle exprimait sa crainte de ne jamais voir se dérouler le procès de l'affaire Mecili et réclamer d'empêcher, par voie de la loi, la clôture des dossiers de crimes politiques. «Le nouveau juge d'instruction en charge de cette affaire nous a avisés que l'information lui paraissait terminée et qu'à l'issue des délais prévus, l'ordonnance de règlement pourrait être rendue», avait écrit Annie Mecili dans la même requête, en vain. En attendant la réponse de la justice française au recours de la famille Mecili, une bonne partie de la société civile algérienne établie en France se tient prête à se mobiliser contre une éventuelle confirmation du non-lieu. Nous y reviendrons.