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Un no man's land au cœur du sous-développement
AUX CONFINS DU NORD DE LA WILAYA DE MILA, CHIGARA
Publié dans El Watan le 02 - 09 - 2006

En dépit de quelques atouts agricoles non négligeables, les 18 000 habitants de cette commune vivent le dénuement le plus total. Le taux hallucinant du chômage, qui avoisine les 90%, n'est point une simple vue de l'esprit.
Nichée à 1200 m d'altitude au flanc de l'imposante montagne qui fait office d'ultime frontière au nord, entre les wilayas de Mila et Jijel, la commune de Chigara, qui étend son manteau sur 49 km2, assume mal, voire douloureusement son statut de commune qu'elle a conquis en 1985 à la faveur du dernier découpage administratif. De 13 000 âmes en 1998, la population a atteint à présent les 18 000 habitants, dont 5000 concentrés à mechta Zouabi au centre de Chigara. En plus de mechta Zouabi, les plus importantes densités humaines sont localisées à Ouaziz, Kikba et Bouaâchra où près de 10 000 âmes y résident. Pour survivre à Chigara, les riverains n'ont pour seule alternative que d'investir leurs efforts dans quelques spécificités agricoles du terroir. Ainsi, l'élevage ovin et bovin, l'apiculture de montagne, la céréaliculture et les cultures maraîchères, développés dans la région, n'ont pas forcément valeur d'investissements producteurs de richesses ou d'emplois pour les gens de la localité, mais tout juste un pis-aller devant assurer la pitance à de centaines de familles en proie au dénuement le plus total, affirment des élus locaux. Accessible par le seul CW 4 qui prend naissance en amont de la digue du barrage de Beni Haroun, soit un itinéraire de près de 10 km d'ascension éprouvante de la montagne vers le chef-lieu de commune, cette destination (Chigara) vit l'enfer d'un enfermement qui ne dit pas son nom. Son isolement est d'autant plus implacable avec le manque affligeant d'équipements publics censés prendre en charge convenablement les nombreuses demandes citadines et décentraliser le flux de ces énormes besoins vis-à-vis du chef-lieu de daïra, Sidi Merouane. Et pour cause, Chigara, nous indique son P/APC, Abdelhadid Benchelli, n'abrite que deux institutions : le siège de l'APC en question et un petit bureau des postes. « C'est comme si les compteurs d'ouverture de chantiers pour la réalisation des administrations et des infrastructures publiques ont été bloqués à zéro ». Les jeunes ne sont pas mieux lotis dès lors que les structures sportives et culturelles devant satisfaire les besoins de cette immense frange de la population sont inexistantes.
Absence d'équipements publics
Au plan santé, la localité ne compte qu'un centre de santé, quatre salles de soins, dont une non- exploitée par manque de personnel, et trois pharmacies. Les grandes carences et les insuffisances dont pâtit le secteur de l'éducation sont un facteur supplémentaire dans la précarité et le désarroi qui s'abattent sur la population scolaire, car si de grands besoins ne se font pas pressants au niveau des cycles primaire et moyen, il ne faut pas occulter la nécessité d'inscription d'un lycée qui comblera les déficits patents relevés dans ce palier. « Le parcours du combattant auquel se livrent quotidiennement pas moins de 460 lycéens pour rallier leurs institutions pédagogiques à Sidi Merouane », nous confie le maire, en est la parfaite illustration. Et pour clore le chapitre des tribulations affectant le terrible quotidien des montagnards, disons que ces derniers ont vécu le mythe de Sisyphe dans toute son ampleur à l'occasion de la mise en eau du barrage de Beni Haroun, un certain mois de décembre 2003. L'isolement étouffant de la population qui s'en est suivi, en raison de l'immersion complète du pont de Chigara, véritable cordon ombilical entre les 7 km séparant Chigara de la daïra de Sidi Merouane, n'a d'égal que le profond désespoir et les incommensurables frustrations endurées par les riverains. En clair, ceux-ci sont condamnés à effectuer un long détour de 35 km via Grarem Gouga pour rallier le chef-lieu de daïra, et du coup débourser trois fois le prix d'un ticket en J9, soit 45 DA pour un aller simple. En attendant que le projet très officiel de reconstruction d'un nouveau pont décidé par le président de la République en visite dans la région dans le cadre de la précédente campagne électorale présidentielle fasse son œuvre, les citoyens de cette partie enclavée de la wilaya de Mila auront vu des vertes et des pas mûres. En désespoir de cause, de centaines de familles ont fui les affres du terrorisme, mais aussi le mal-vivre, la misère, la condition sociale qui ramène à un tout autre âge et l'insécurité régnante dans cette bande montagneuse sous le diktat des hordes de l'AIS, nous raconte-t-on. Le cas de l'exode rural massif des natifs de mechta Bouaâchra vers l'agglomération de Sibari, sur les berges du lac de Beni Haroun, dénote si besoin est que les gens de la montagne, abandonnant biens et maisons, avaient soif de paix sociale et de refuges sécurisants où ils pouvaient aspirer à un bout de vie tranquille. Mais, mal leur en prit, puisque entre 1994 et 1995, l'AIS sonnera le glas de ces populations vulnérables. 10 personnes, dont 5 agents de la garde communale, seront assassinées par les hordes sanguinaires de l'Armée islamique du salut, affirment nos interlocuteurs.
Précarité sociale, insécurité et ... terrorisme
Une aile du siège de l'APC, des piles de documents, un camion et un minibus de la commune, seront à leur tour incendiés. Expéditions punitives assez édifiantes sur les capacités de nuisance des ennemis du peuple face à une communauté rurale vulnérable et sans défense. Néanmoins, à la faveur de la paix retrouvée, la région a renoué avec un regain d'activités socioéconomiques avec le retour progressif des habitants vers leurs douars. Dans cette veine, il faut souligner que les villageois sont surtout motivés par la formule du PPDR et l'aide de l'Etat à l'habitat rural. Sur les 2800 demandeurs, 230 postulants ont bénéficié des crédits alloués pour créer leurs propres projets. « Cette formule mise en route en 2004 gagnerait plus en crédibilité si le comité de validation de wilaya venait à octroyer aux candidats potentiels des facilités autrement plus souples », soulignent des cadres de l'APC. Par ailleurs, c'est au registre de l'insoluble équation de l'emploi que les motifs d'inquiétude pullulent. Ce n'est certainement pas avec le menu fretin de 14 postes de pré-emploi (quota de la commune) que l'on parviendra à infléchir le pourcentage alarmant du chômage. En matière d'eau potable, la population est abreuvée à coups de citernes à raison de 7000 l/j distribués par la commune et 10 000 l par l'hydraulique, en attendant la réalisation d'un deuxième forage pour une plus juste répartition du précieux liquide. Or, et c'est là le hic, il semble, à en croire des sources très au fait de la question, que 14 communes dont Chigara, ne figureraient pas au programme de la mise en exploitation de l'AEP du barrage de Beni Haroun destinée de surcroît à l'alimentation de 5 wilayas limitrophes. Le coût exorbitant de connexion au futur réseau d'AEP du barrage de cesdites localités montagneuses au relief accidenté, en serait la raison avancée. Si tel en sera le cas, l'anecdotique réflexion répandue localement, selon laquelle la population de Chigara paie cash pour les erreurs et l'imprévoyance des responsables, s'en trouverait largement confortée. Au fait, Chigara a déjà bien perdu une route, un pont, l'espoir d'un retour vers une vie clémente, et ce n'est pas tout !


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