Avec neuf ans d'existence, Ouedkniss fait déjà figure de pionnier du web algérien. Plus qu'un succès commercial, le site le plus visité de notre pays est avant tout l'histoire d'une amitié. El Watan Week-end a voulu en savoir plus sur cette success story algérienne. C'est dans un quartier cossu de Kouba, situé dans la banlieue d'Alger, que Ouedkniss a décidé de planter son siège. Kouba comme une évidence pour ces jeunes originaires du quartier. Hichem, Mehdi, Amine, Ahmed et Djamel, 5 lycéens qui, à l'âge de 17 ans, ont voulu développer une idée simple : faire revivre sur internet le quartier de Ouedkniss, à Ruisseau, fermé par les autorités. «On était des geeks», se rappelle Mehdi Bouzid, un des cinq fondateurs du site, «on vient tous du vieux quartier de Kouba». Créé en août 2006, le site naît dans le désert du web algérien, encore balbutiant à l'époque. Une époque où il fallait encore aller au cybercafé pour avoir une connexion internet. «La première semaine je me rappelle que l'on avait eu 70 visiteurs et on était content. On avait copié les liens du site sur msn», plaisante Mehdi, allure décontractée, airmax aux pieds. Aujourd'hui, le site reçoit près de 420 000 visiteurs par jour. «Le premier contrat publicitaire on l'a eu avec une agence immobilière», se souvient un des membres fondateurs. «On a gagné 4000 DA. Pour nous c'était de l'argent de poche, alors on l'a utilisé pour faire une course de karting ensemble et acheter des sandwichs.» Insouciants, les cinq amis continuent leurs études, tout en s'occupant du site. C'est à partir de 2009 que les créateurs du site prennent réellement conscience du potentiel de leur bébé. Crocodile et Boeing 747 Pour développer l'affaire, ils décident de proposer une vitrine pour les commerçants. Contre mille dinars par mois, ces derniers peuvent profiter de la popularité du site pour toucher un maximum de clients. Les débuts sont difficiles, le site gagne peu à peu de l'audience, mais les jeunes entrepreneurs se heurtent à la frilosité des annonceurs qui ne comprennent pas encore l'intérêt commercial d'être visibles sur le net. «Aujourd'hui, il y a des boutiques qui ne vendent que sur Ouedkniss. Nous avons créé un marché», s'enthousiasme Hichem Soudah, autre cofondateur du site qui, après des études en pharmacie, s'occupe désormais à temps plein du site internet. En tout, neuf salariés travaillent au siège de Kouba, divisé en service commercial, marketing et rédactionnel, auxquels s'ajoutent les gérants. A l'intérieur de la villa, les murs blancs, nus et immaculés contrastent avec le sol brillant et les bureaux disséminés dans chaque pièce. La décoration est sans fioritures : un poster et un aquarium peuplé de poissons colorés viennent égayer l'entrée. L'ambiance y est studieuse, entrecoupée par les appels et les passages de clients de bonne humeur. Plusieurs personnes travaillent également à temps plein pour filtrer les nouvelles annonces, vérifier leur véracité. «En ce moment, il y a environ 700 000 annonces sur le site. Et il y en a 10 000 nouvelles chaque jour. Il y a sept personnes qui les lisent toutes pour les vérifier.» Mais parfois, certaines annonces farfelues passent au travers du contrôle. Comme ce plaisantin voulant vendre le Boeing 747 qui était caché dans son jardin, ou le zoologiste amateur qui, fatigué de son animal de compagnie, un crocodile, voulait s'en séparer contre 20 000 DA. «On a donc un autre contrôle avec le signalement des annonces, on contacte l'annonceur pour savoir si on la laisse ou on la supprime», nous précise doctement Ahmed. Projets «Actuellement, nous avons environ mille commerçants qui ont une vitrine chez nous. Tout dépend du marché, mais notre objectif est de grandir encore», se projette Ahmed Bouaouina, un autre membre de la bande des cinq. Croître, progresser, l'entreprise en prend le chemin. «L'effectif pour le moment est incomplet, on aimerait encore recruter des commerciaux pour démarcher les entreprises», prévoit Hichem. Les projets des gérants ne s'arrêtent pas seulement au site Ouedkniss, puisqu'ils ont décidé récemment de créer un site d'information sur l'actualité automobile. L'automobile, qui est la catégorie reine du site Ouedkniss, 60% de son activité concernent les ventes de voiture d'occasion. «L'idée était de créer un espace pour les voitures neuves. On a essayé de combler un manque pour les concessionnaires qui ne trouvaient pas d'espace pour afficher leurs promotions et pour l'internaute pour qui c'était difficile de comparer les prix d'occasion et du neuf.» Une activité qui a fait rebrousser chemin à Leboncoin. Flairant la bonne affaire, le géant du e-commerce français avait tenté de s'implanter sur le marché algérien. En vain, après trois ans d'activité, la succursale algérienne du site hexagonal a dû fermer boutique, constatant la suprématie des sites locaux. 20 millions de centimes Leader incontesté du web algérien, Ouedkniss a été valorisé en 2014 à 4 millions de dollars par le World Report Start-up, un organisme d'études du marché des start-up. Un tel succès attire forcément la convoitise, comme nous le confirment Mehdi et Ahmed : «Dans le milieu des sites internet, ce qui est valorisé, ce n'est pas le chiffre d'affaires, mais le potentiel et la réputation du site. On nous a fait des offres. Certaines personnes nous ont proposé 20 millions de centimes. A ce montant, on se dit que ces gens ne savent pas de quoi ils parlent. Il y en a d'autres qui nous soufflent à l'oreille des sommes tellement énormes qu'on ne les prend pas au sérieux». Mais le monde des affaires étant ce qu'il est, les cinq compères restent toujours attentifs aux propositions. Il y a des offres qui ne se refusent pas, même si le fondateur de Snapchat (l'application qui permet d'envoyer des messages éphémères) a décliné une offre de trois milliards de dollars pour racheter sa start-up. «Nous augmentons le chiffre d'affaires chaque année, donc on ne pense pas à vendre pour le moment», tranche Ahmed. En attendant, les cinq amis continuent leur vie, si Ahmed, Hichem et Mehdi s'occupent quotidiennement de l'entreprise, Djamel a décidé de tenter l'aventure en Chine, tandis qu'Amine travaille désormais pour Microsoft aux Etats-Unis. Ce qui ne les empêche pas de se retrouver parfois tous ensemble sur internet pour une partie de Fifa ou de Counter-Strike. Comme au temps où ils étaient lycéens, au temps où l'on pouvait aller au marché de Ouedkniss à pied.