Ils sont disséminés dans toutes les villes du pays et emploient plusieurs milliers de personnes. Un programme de lutte contre le commerce informel a été initié par les pouvoirs publics. Si certains marchés informels ont été éradiqués définitivement, d'autres finissent par réapparaître. Ces lieux de négoce illégaux persistent et représentent une tache tenace difficile à effacer. Analyse. Dans les rues des grandes et petites villes, sur des tables ou même par terre, plusieurs milliers de commerçants ambulants opèrent dans le commerce informel et proposent toutes sortes de produits aux passants. Vêtements, literies, bijoux, produits alimentaires et agroalimentaires… tout s'écoule dans les marchés informels, sans respect des règles les plus élémentaires de l'hygiène publique. Cependant, si ce «commerce» fait le bonheur des quelque 50 677 intervenants illégaux, il fait aussi le malheur des commerçants formels. «Le marché noir étouffe l'activité légale ! Aujourd'hui, nous, propriétaires de magasins et opérant dans la légalité, trouvons plus de difficultés à écouler notre marchandise face aux autres commerçants illégaux», confie Mohamed, propriétaire d'un magasin de produits cosmétiques à Alger. Et d'ajouter : «Le pire dans l'histoire, c'est que la plupart des consommateurs préfèrent acheter leurs produits dans le marché parallèle sans se rendre compte que cela peut, dans certaines situations, les mettre en danger, comme c'est le cas pour les produits cosmétiques ou alimentaires». Si ce phénomène affecte l'activité des commerçants légaux, il porte un sacré coup également à tout le secteur économique du pays vu les liens, directs ou indirects, qu'entretiennent les deux commerces. «Le secteur marchand informel s'alimente au début à partir du secteur officiel comme principale source en amont, et entretient des liens directs ou indirects avec le secteur officiel comme principal client en aval. Les critères fondamentaux qui contribuent à cette accumulation du poids de ce secteur sont identifiés à partir des points de transactions où, à chaque étape, une part des flux devient invisible en passant par un autre canal non contrôlé, avant de revenir ensuite dans le premier circuit officiel en fin de parcours, et avec une valeur moins importante», explique l'expert économiste Souhil Meddah. Selon ce dernier, l'apparition et l'émergence des marchés informels sont intervenues il y a quelques années alors que la demande publique était le principal moteur de croissance. «Diverses sous-activités ont fait leur apparition et se sont accrues à partir de la demande progressive à la consommation et un financement tiré à partir des ressources officielles distribuées pour tous les acteurs économiques dont certains sont identifiés et d'autres non.» Pour lui, cette liberté de disposer de sommes plus ou moins importantes sur le marché de la consommation a progressivement favorisé la multiplication des valeurs imperceptibles cumulatives avec le temps, mais qui sont replacées une autre fois dans le circuit officiel une fois passées par le l'espace informel. Eradication Pour sa part, l'économiste Mohamed Achir affirme que l'économie informelle représente en Algérie environ 45% du PNB, selon des statistiques officielles. Autrement dit, «45% du PNB qui n'est ni taxé, ni régulé, ni contrôlé. Cette partie de l'économie non formalisée doit constituer le défi majeur du gouvernement. Ainsi, l'économie nationale est touchée surtout dans les ressources budgétaires de l'Etat, il y a un manque à gagner énorme pour le budget. Aussi, l'informel fausse la concurrence et la croissance des entreprises et crée des distorsions entre les opérateurs économiques.» Souhil Meddah, quant à lui, affirme que ce phénomène entraîne de facto une sous-fiscalisation et un faible niveau de bancarisation. «Les deux aspects sont liés et se traduisent par une limitation de la liquidité sur l'une des phases les plus importantes du soutien économique en ressources financières, et par le fait que les recettes du Trésor public accusent un manque important avec un circuit bancaire limité dans ses ressources pour la création monétaire», explique-t-il. Soulignant que cette situation engendre aussi d'autres effets qui ne sont peut-être pas visibles à court terme, mais qui influent progressivement sur le moyen et long termes par la limitation du rythme de fonctionnement des autres facteurs réels, l'activité économique, la contribution de l'Etat, les collectivités locales, l'emploi, les services, la consommation et l'inflation. Face à cette situation, le gouvernement algérien semble perdre la maîtrise. Et si plusieurs efforts sont marqués par les pouvoirs publics, le résultat n'est toujours pas ressenti. En 2012, les walis avaient reçu l'instruction d'accélérer l'opération d'éradication du commerce informel pour l'intégration des différents intervenants dans le circuit officiel. Cinq ans après, les résultats de cette opération ne sont toujours pas atteints. Ainsi, les marchés anarchiques implantés un peu partout continuent à s'imposer. En effet, aujourd'hui, sur les 1453 marchés informels recensés en 2012 à l'échelle nationale, 403 restent encore à éradiquer, selon les dernières déclarations du ministère du Commerce. Quant au nombre de marchés informels éradiqués jusqu'au 15 juin 2017, il a atteint les 1050, tandis que ceux qui ont réapparu après leur éradication a été de 216. Pour l'économiste Souhil Meddah, si le problème des marchés informels persiste toujours, c'est parce que le champ d'action des pouvoirs publics est relativement limité. Il explique : «Il y a même certains acteurs économiques non commerçants qui évoluent dans le secteur informel sans le savoir : l'exemple des activités entre particuliers, les ventes et achats, le commerce de détail. Et aussi les moyens de paiement bancaire ne sont pas adaptés pour avoir une meilleure traçabilité des flux entre acteurs». Marchés de proximité De l'avis des experts, cette résistance est également due au manque de marchés de proximité, considérés comme la seule alternative aux marchés informels. Seulement, suite à la baisse des ressources financières et les décisions qui ont suivi, dont le gel des projets de réalisation des marchés de proximité, la situation n'a fait que s'aggraver. Le nombre de projets de réalisation de marchés couverts au niveau national est passé de 291 à 80, soit uniquement moins du tiers à réaliser. Jusqu'à fin 2016, le nombre de marchés couverts réceptionnés a été de 21 seulement, alors que pas moins de 44 nouveaux marchés informels ont fait leur apparition, selon un rapport du ministère du Commerce. Pour venir à bout de ce problème, Mohamed Achir assure que les institutions de l'Etat doivent être renforcées et modernisées. Il faut leur donner de multiples moyens et la latitude leur permettant de contrôler la traçabilité des transactions économiques et financières, sans recourir à la répression ou à des mesures autoritaires. «L'intégration progressive des acteurs de l'informel doit être menée à travers une approche progressive, négociable et consensuelle. La formalisation ne peut réussir que si l'Etat propose des solutions fiables, efficaces et non bureaucratiques qui n'augmentent pas en effet les coûts de transaction. Une réforme institutionnelle de l'économie est primordiale pour formaliser et institutionnaliser des marques économiques traditionnelles telles que la finance solidaire et informelle», ajoute-il. L'économiste Souhil Meddah conclut, quant à lui, en disant que le contrôle de ce marché nécessite le recours à d'autres moyens de régulation et de contrôle, comme «les paiements par voie électronique, la révision du système déclaratif pour les catégories à revenu fixe ou précaire avec la révision du poids des subventions dans les fluctuations des prix. L'élargissement du champ de contrôle par l'application des moyens de contradiction et de comparaison dans les détails avec les états déclaratifs des opérateurs défaillants, la canalisation des services et aussi favoriser des grands labels considérés comme des contribuables sérieux».