Le plus vieux et incontestablement le plus pittoresque quartier de Mostaganem, Derb, continue de subir l'épreuve du temps et celle plus insidieuse du lymphatisme ambiant. Construit depuis au moins 12 siècles, sur une colline rocailleuse qui domine le ravin de Aïn Sefra, il est fortement accolé à la ville turque de Tobanna qu'il prolonge avec retenue, jusqu'aux limites de la ville moderne, née à la faveur de la colonisation française. Parfaitement structuré sur le plan urbanistique, il renfermait toutes les institutions et autres structures de vie communautaire. Même la colonisation qui n'aura de cesse de chercher à élargir sa domination multiforme, n'osera s'attaquer à ce quartier populaire où vivaient en parfaite intelligence les communautés juives, arabes, turques et kouroughlies. Entre la synagogue, aujourd'hui occupée par une menuiserie, et la plus vieille mosquée de la cité, construite en 1340-1341 par Abu El Hassan, il y a une distance d'à peine 250 mètres. Parmi les nombreuses commodités ayant survécu non sans difficultés, on peut encore de nos jours retrouver les métiers du textile et de la broderie, la boulangerie, l'ébénisterie et la menuiserie ainsi que tous les petits métiers artisanaux et de proximité. Déviances architecturales Ceci a duré jusqu'en 1985, lorsqu'un wali n'hésitera aucun instant pour entamer l'une des plus grande destruction du patrimoine, depuis la colonisation française. Ce quartier encore florissant subira alors les assauts répétés des bulldozers. Toute la partie Nord du Derb sera, en un tour de main, totalement arrachée à jamais à la mémoire collective. Un trou béant y prendra place, mettant à nu les soubassements de plusieurs bâtisses avoisinantes. Cette lamentable situation perdurera jusqu'à l'année 2001, qui verra enfin l'administration locale lorgner du côté du Derb. Un réaménagement du site sera lancé sans aucune consultation de la société civile, à l'époque représentée par l'association du Renouveau de Mostaganem. Des entreprises seront appelées à reconstruire, selon un plan qui ne laissera aucune place à l'imagination. Ni la structure des immeubles, ni leur architecture, ni leur agencement ne seront soumis à quelque expert que ce soit. Plus de six années après le lancement des travaux, le chantier semble avoir du plomb dans l'aile. Seuls quelques audacieux locataires daigneront s'installer au dernier étage. De l'autre côté de ce blockhaus, les unes après les autres, les maisons les plus fragiles céderont devant les coups répétés de l'érosion diluvienne. En effet, là où l'homme aura mis à nu le torchis, l'eau de pluie n'aura aucune peine à s'engouffrer et à diluer l'amalgame généralement obtenu par un simple malaxage de sable et de terre glaise. La suite, ce sera le départ sans retour des habitants les plus menacés qui sera souvent compensé par l'arrivée d'une faune de repreneurs dont le seul soucis était de s'accaparer à moindre frais un espace d'une valeur inestimable. Les géographes arabes Al Bakri (XIème siècle) et El Idrissi (XIIIème siècle) feront une description élogieuse de la cité. Renforcés dans leurs convictions premières par les déviations architecturales effectuées dès 2001, les néo-propriétaires n'auront aucune gène à en faire autan. Si bien qu'à chaque fois, ce sont de nouvelles agressions à l'harmonie des lieux qui sont consommées sans qu'aucune autorité ne vienne y mettre bon ordre. Car, hormis les activités artisanales qui s'y maintiennent envers et contre tout, il y a ces superbes maisons au style raffiné qui ne tiennent que par la grâce de certaines familles aux moyens dérisoires. Il y a bien eu dans la foulée des travaux effectués dans l'ancienne maison du Cadi, une luxueuse masure mauresque qui, durant la période coloniale, tenait lieu de réceptacle aux belles dames, et qui devait abriter un embryon de musée, mais l'opération ne s'étendra pas aux autres maisons mauresques du quartier. Comme le magnifique palais de Brahim El Abd, dont les « zellige » d'une rare beauté auront résisté à toutes les épreuves. N'ayant rien tenté pour reloger les 4 familles et récupérer ces joyaux immobiliers au profit de la communauté, les responsables ne peuvent ignorer l'issue fatale qui guette ces sublimes demeures d'autrefois. A maintes reprises, lors de visites guidées dans ces maisons à l'architecture consommée, les familles occupantes n'avaient de cesse de réitérer leur volonté de céder ces merveilles chancelantes au patrimoine universel. Une disponibilité qui n'a pas encore rencontré les échos salvateurs qui pourraient enfin mettre à l'abri ces vestiges des temps anciens. Avant qu'il ne soit trop tard. Car, les coups de butoirs des aléas climatiques et des investisseurs sans vergogne, finiront par avoir raison de cette résistance séculaire.