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Une mystification dans le sens du poil
Le village de l'Allemand, un roman de Boualem Sansal
Publié dans El Watan le 22 - 01 - 2008

Voici un roman dont l'ambition est d'instruire et de « sensibiliser les Algériens à la Shoah ». L'auteur considère qu'il lève un tabou sur une mystérieuse participation de transfuges nazis faufilés parmi les moudjahidine.
Pour l'auteur, tout commence en 1980 quand il découvre le village de l'Allemand, autrement dit Aïn D'heb, près de Sétif, où son attention est attirée par une singulière propreté des lieux. Ce n'est pas normal, pense-t-il, pour une localité du Far West sétifien. Il fait son enquête et découvre que ce village était dirigé par un Allemand, supposé nazi. Réfugié en Egypte après 1945, il est « envoyé en Algérie par les services secrets de Nasser pour aider l'Armée algérienne ». A partir de cette construction fantasmatique, il étend l'étiquette de « nazi » aux jeunes Allemands qui ont rallié l'Armée de libération nationale. Il confie à Christine Rousseau du quotidien français Le Monde du 18 janvier que le cas de cet Allemand « n'est pas isolé ». Il explique que « certains… ont même occupé des places importantes après l'indépendance ». Cela fait partie, dit-il, de l'histoire secrète. Et Boualem Sansal lance un réquisitoire contre le FLN accusé de vouloir construire une histoire « unique, lisse, propre et sans aspérité ». Pour éviter les confusions géographiques, Aïn D'heb c'est l'ancienne La Fontaine, plus proche de Tiaret que de Sétif. Situé dans une zone riche en alfa, ce village au tracé linéaire attire une colonie de familles réfugiées d'Alsace-Lorraine en 1872 après l'annexion de leur région par Guillaume. La Fontaine prend alors le sobriquet moqueur de « village des Allemands » (allemands au pluriel), car ces Alsaciens, mal accueillis par les autres colons en raison de leurs origines, parlaient un patois proche de l'allemand. Il est vrai que tout roman se fonde sur la liberté créative. Mais c'est pousser trop loin que jeter le discrédit sur ces jeunes moudjahidine allemands qui ont rallié la guerre de libération nationale dans un élan romantique. L'auteur leur fait injure en les confondant avec la génération du IIIe Reich. Les nazis ne pouvaient pas avoir de sympathie pour la cause algérienne puisqu'ils ont connu, à leurs dépens, la combativité des soldats algériens et maghrébins durant les deux guerres mondiales. Par ailleurs, ce ralliement n'a jamais été un secret de l'histoire de l'Algérie, comme le suggère M. Sansal. Le sujet a été largement traité par de nombreux chercheurs algériens et français. Personne n'a jamais relevé de connivence entre ces recrues qui ont fui la légion étrangère dans les années cinquante et soixante et les vieux nazis. Simple question de date de naissance ! En réalité, ces recrues n'ont pas été nombreuses mais ont attiré l'attention pour le côté singulier de leur aventure. Démobilisés après l'indépendance, ils ont occupé des postes dans divers secteurs de la vie civile : agriculture, santé, douanes. L'un des plus célèbres d'entre ces Allemands fut sans doute ce fameux gestionnaire, créatif et dynamique du parc naturel du Djurdjura à l'origine du sauvetage de plusieurs espèces animales en voie de disparition, en particulier l'aigle royal de la Haute Kabylie. Son rêve était de réintroduire la panthère de la forêt de l'Akfadou, décimée au début du siècle. Il faut noter par ailleurs que tous ces anciens de l'ALN ont renoué très tôt avec leurs familles en Allemagne. En tant que ressortissants de leur pays d'origine, ils se rendaient librement en Europe et dans leur ancienne patrie sans la moindre inquiétude aux frontières. Ce qui prouve bien qu'ils n'avaient rien à se reprocher sur le registre des accusations formulées par M. Sansal qui ne s'est pas posé la question toute simple de savoir par quel miracle un criminel de guerre a-t-il pu échapper au filet planétaire de la traque anti-nazi. L'auteur déplore, par ailleurs, que les autorités algériennes occultent la Shoah et fait le procès de la télévision nationale accusée de « n'avoir jamais diffusé le moindre document sur les camps d'extermination des juifs ». Pour une question de principe, il appartient à tout pays souverain d'élaborer en toute liberté ses textes d'enseignement et le choix de ses programmes TV. Et dire que la chaîne nationale a fait l'impasse sur la Shoah est un mensonge. Il faut, en effet, rappeler que même à l'époque du FLN parti unique, et au moment où M. Sansal découvrait Le village de l'Allemand vers 1980, la télévision algérienne diffusait, en toute liberté, une longue série hollywoodienne sur le sujet au titre sans ambiguïté de « la Shoah » en version française. Il faut rappeler aussi que dans les archives de la télévision algérienne subsistent ces « tables rondes » de haut niveau animées par l'écrivain Nourredine Aba sur le procès de Nuremberg. M. Aba, témoin majeur des faits, maîtrisait bien son sujet puisqu'il fut, en 1945, accrédité comme journaliste algérien par l'état-major des forces alliées pour la couverture du procès des dignitaires nazis. Ces programmations étaient d'ailleurs en harmonie avec le discours des responsables politiques algériens qui se sont toujours démarqués de l'antisémitisme. Il faut rendre justice à ces responsables qui ont toujours transcendé le danger de l'amalgame entre judaïsme et sionisme par principe et par respect aux nombreux amis que compte l'Algérie au sein de la diaspora juive. Il est une certitude que certains auteurs fondent leurs succès sur une plate-forme de justicier, donneur de leçons et victime à la fois. Cette démarche regrettable est souvent facilitée par une écoute de complaisance.

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