Après avoir connu une dégradation visible de son environnement urbain avec la transformation du nombre de ses artères, jardins publics et parkings en sites de vente de moutons de l'Aïd El Adha, Alger se heurte à un autre problème, celui des toisons de mouton. Des centaines, si ce n'est des milliers de peaux de mouton sont jetées, çà et là, dans les décharges publiques, aux abords des routes, sur les terrasses des immeubles, diffusant des odeurs insupportables, donnant le tournis aux gens de passage. Toutes les localités de la capitale connaissent le même phénomène. Plus de trois millions de moutons ont été sacrifiés à travers le territoire national et autant de peaux abandonnées. Ces pratiques, nouvelles dans notre société, la majorité des personnes interrogées affirment qu'elles ne savent plus comment soigner ces peaux. « Depuis la disparition de ma belle-mère il y a maintenant cinq années, nous emballons ces peaux pour les jeter dans les dépotoirs », a indiqué une femme de la Basse Casbah. Une autre femme affirme qu'elle ne supporte pas voir ces peaux de mouton. « Si on m'oblige à nettoyer ces toisons, je prends la fuite », a-t-elle ironisé. Sa voisine indique qu'elle « expédie » la « hidoura » au bled, chez sa mère, pour qu'elle en prenne soin. Une vieille femme indique que dans les traditions ancestrales, la toison du mouton serait dans les croyances et superstitions populaires bénéfique à la femme pour ses soins. Elle est ainsi utilisée pour adoucir la peau du visage. « Les jeunes filles essuient leur visage sept fois avec l'intérieur de la toison, avant qu'elle ne soit détachée complètement du mouton sacrifié. Cette pratique est très efficace contre l'acné. » Cette femme indique également que dans le temps, elle nettoyait et entretenait les toisons de tous les locataires de l'immeuble où elle réside toujours. Mais aujourd'hui sa santé perdue, elle a emporté avec elle cette tradition. Lala Doudja, une autre ménagère, ajoute pour sa part : « Pour protéger le nouveau-né contre le mauvais œil -surtout quand il s'agit d'un garçon-, on enveloppait le bébé avec la « hidoura » sept fois de suite, nos grands-mères nous disaient que cela chassait les mauvais esprits. » Et de préciser : « Le jour du nettoyage de la toison du mouton est un jour de fête, toutes les femmes de la grande maison se réunissaient sur la terrasse autour d'un verre de thé à la menthe et de délicieux makrout pour laver, astiquer et nettoyer et chaque femme se vantait de la blancheur de sa hidoura. » Combien de peaux de mouton jetées atterrissent aujourd'hui dans les poubelles à travers le pays ? A Alger, la majorité des robes de mouton vont dans les dépotoirs. Un véritable désastre écologique, environnemental et même économique laissé par ces peaux abandonnées dans la nature. Il faut savoir que le coût d'une peau à son état brut, selon un responsable de maroquinerie vêtement label cuir, varie entre 400 et 500 DA. Si on fait un petit calcul : la valeur des toisons de la moitié des moutons sacrifiés est de l'ordre de 750 millions DA de pertes pour le secteur du cuir. Voici un secteur lucratif qui gagnerait à être exploité. Dans le même sillage, louable est donc l'opération de collecte des peaux de mouton de sacrifice initiée par le conseil de la mosquée de Laghouat à travers l'ensemble des communes de la wilaya. Les peaux collectées seront revendues à des opérateurs et le gain de la vente sera versé au compte du conseil de la mosquée « Souboul El Kheir » de Laghouat, via le compte trésor de la wilaya, pour servir ensuite au financement d'un projet de mariage collectif de couples issus de familles nécessiteuses.