Créer une maison d?édition spécialisée dans le livre pour enfant, c?est d?emblée instituer et alimenter la littérature de jeunesse. InfoSoir : Les 3 Pommes est une jeune maison d?édition spécialisée dans le livre pour enfant, dont vous êtes la directrice. Dans quel contexte a-t-elle été créée ? Jamila Rahal Bereksi : Un contexte dans lequel le livre est marginalisé, en particulier la littérature de jeunesse. Absence de réelle politique du livre, secteur désorganisé et vraiment divisé? Dans quelles conditions sont produits les livres ? Des conditions catastrophiques. Les prix sont exorbitants. Le papier, les encres... tout est importé. La taxation de ces matières est élevée, ce qui est quasiment handicapant. Le réseau de distribution est très mal structuré. Quelles difficultés rencontrez-vous ? Ce sont les difficultés d'un secteur jeune et où tout est à faire : il faut créer un réseau de compétences dans les domaines de l'écrit, de la traduction, de l'illustration. Outre celles que j'ai déjà soulevées, il en existe une majeure : un réseau de distribution fiable. Quelle est la place du livre pour enfant au sein de la société algérienne ? C?est une société majoritairement jeune et avide de tout. De lecture aussi, nous l'avons remarqué lors de différentes manifestations. Le livre, pour peu qu'il soit de qualité, disponible et accessible, a toute sa place. Pour cela, il faut développer le marché du livre. Y a-t-il un marché du livre pour enfant ? Le livre pourrait avoir une place de choix, comme dans toutes les nations civilisées. Développer ce marché n'incombe pas aux citoyens mais aux décideurs et aux professionnels du livre. Cela nécessite des denrées qui ne sont vraiment pas coûteuses : de la bonne volonté et du bon sens. Que faut-il faire pour redynamiser ce secteur ? D'abord une politique cohérente pour promouvoir la production du livre dans notre pays. C'est-à-dire les moyens de production bien sûr, mais aussi l'écrit lui-même. Ensuite, il faut organiser la profession, loin des divisions, des querelles qui ne profitent certainement pas au secteur, mais à une poignée de personnes. Peut-on parler de littérature de jeunesse algérienne, même en termes relatifs ? Pour cela, il faudrait qu'il y ait des contes, des romans, des ouvrages écrits par des auteurs algériens pour nos enfants. Ils existent, mais ils sont si rares ! Nous avons surtout des traductions, des adaptations, mais tout est lié. Les auteurs n'écriront pas si le marché est moribond et si les ouvrages sont destinés à rester entreposés faute de bonne distribution, faute de règles clairement admises... L?on a pu constater, lors du dernier Salon du livre (Sila) un frémissement dans le domaine du livre pour enfant? Il y a eu, en effet, un frémissement, et pourvu que ça dure ! Des éditeurs essaient de se spécialiser dans ce secteur, et ce n'est pas facile, comme vous le voyez. Heureusement, je tiens à le souligner, nous arrivons à trouver des interlocuteurs attentifs au niveau des institutions que j'ai déjà citées. Si les espaces de lecture se multiplient ? et cela semble être leur volonté ? alors le secteur du livre de jeunesse se développera. Quel rapport y a-t-il entre le livre et l?enfant ? Le livre, c'est le rêve, la porte ouverte à l'imaginaire. L'enfant a besoin de cela, d'avoir des héros auxquels il s'identifie, à travers lesquels il vit des aventures fabuleuses. C'est aussi un outil privilégié d'apprentissage, d'accès à la connaissance. L'esprit citoyen, c'est aussi à travers le livre qu'on peut le développer. Parce que nous apprenons notre histoire, nos valeurs communautaires, mais aussi l'histoire de l'humanité, les progrès époustouflants enregistrés par l?espèce humaine dans les domaines des sciences? et pour son émancipation. Le lien est très intime, fusionnel, pour peu que l'enfant ait la chance d'accéder au livre. Un dernier mot? J'ai senti un intérêt certain pour le livre de jeunesse auprès d'institutions importantes, et cet intérêt ne semble pas conjoncturel. Je pense à la BNA avec les bibliobus, au projet de création de bibliothèques en grand nombre? Je pense aussi au ministère de la Culture, aux inspections de l'éducation, à certaines APC, en particulier celle d'Oran qui désire réellement réactiver les bibliothèques municipales, les crèches... Donc pas de bilan pour le moment, mais de sérieuses perspectives. L'accueil qui sera réservé aux collections 2004 sera un indicatif certain.