Hallucinant ! Le ministre de la Culture et de la Communication français qui déclare au journal de TF1, à 20 h en direct, qu'il n'est pas un pédophile mais un homosexuel… et qui précise, à une heure de grande écoute, les yeux dans la caméra, «j'ai couché [en Thaïlande] avec des hommes, mais ils avaient mon âge… peut-être cinq ans de moins». Et les médias, les élites, les membres du gouvernement Sarkozy, les responsables de son parti, l'UMP, de s'émouvoir de ce courage, de cette sincérité. Jusqu'au Parti socialiste français qui recule après avoir dénoncé, dans un premier temps, «le tourisme sexuel» pratiqué par Frédéric Mitterrand. Mais qu'arrive-t-il donc à ces élites politiques et intellectuelles françaises. Est-ce une complicité générale ou bien ont-elles atteint un niveau de tolérance et d'humanité que nous, les barbares, ne pouvons même pas concevoir. Humanité ? J'y vois déjà une première objection, celles des victimes du tourisme sexuel à Bangkok, en Tunisie, au Maroc, etc. ou, des bombardements en Irak, en Afghanistan et ailleurs. Tolérance ? Une autre objection : si l'homophobie est dénoncée, l'islamophobie, par exemple, progresse. Sans parler de la tolérance zéro envers les immigrants. Ce qui ne cesse d'étonner est que cette «tolérance» semble se concentrer uniquement sur le domaine sexuel. Elle fonctionne comme une addiction où le drogué demande des doses de plus en plus fortes pour retrouver ses sensations : on élève la barre de plus en plus haut, (ou de plus en plus bas, c'est selon), pour faire reculer toujours plus les limites de la permissivité sexuelle. Mais reprenons les choses à leur début. Nous allons voir que c'est très intéressant. Tout a commencé avec l'affaire Polanski. L'affaire Polanski Polanski, c'est un «grand cinéaste» d'origine polonaise, franco-américain. Il est devenu Français, pour fuir, il y a 30 ans, en 1978, les Etats-Unis et une condamnation de pédophilie. Il avait en effet violé là-bas une fille de 13 ans. Mais le 27 septembre 2009, il est arrêté à Zurich, en Suisse, sous le coup d'un mandat d'arrêt international et d'extradition lancé par la justice des Etats-Unis. Aussitôt, une partie influente de l'élite intellectuelle, politique et artistique française crie au scandale. On retrouve toujours les mêmes. Le lobby intellectuel pro-israélien de Bernard Henry Lévy est de nouveau très actif sur cette question. Je dis «de nouveau» car il y a un mois à peine, il s'était fait remarquer par une campagne acharnée contre la candidature de l'Egyptien Farouk Hosni à l'Unesco. Quel lien pourrait donc avoir l'affaire Polanski avec la shoah, le sionisme et tous les thèmes récurrents de ce lobby ? C'est comme si, dans leur délire victimaire, toutes leurs positions les amenaient à trouver, à chercher ce lien. Polanski est juif. Enfant, il a été un rescapé du ghetto de Varsovie, et après ses démêlés avec la justice américaine, il s'est réfugié en Israël. Cela doit-il leur suffire pour l'absoudre. Ils banalisent l'affaire de ce viol sur enfant et soulignent qu'elle est vieille de 30 ans. Argument stupéfiant dans leur bouche, eux qui refusent tout argument de ce genre concernant les criminels nazis. On sent même pointer désormais un antiaméricanisme, nouveau chez eux. Peut-être depuis qu'il y a Obama et quelques déclarations contre la colonisation israélienne. Il reste que c'est très intéressant de voir comment un tel événement, apparemment si éloigné de la sphère politique, suscite à travers les méandres des motivations de chacun, telle ou telle prise de position. Là il révèle les obsessions récurrentes de ce lobby d'intellectuels qui n'arrivent pas à être tout simplement des intellectuels et à être soucieux d'universalité, comme l'étaient Darwin, Freud, Einstein et bien d'autres. Il y a aussi Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangère français qui intervient pour Polanski, ce qu'il n'a pu faire sans l'aval du président Sarkozy, de même que Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication. Encouragés par cette position du pouvoir, les médias se mobilisent pour Polanski, ouvrent leurs plateaux à de nombreux artistes. C'est presque l'unanimité de certaines élites françaises. Les arguments : Polanski est un «cinéaste génial», le crime, s'il y a, est trop ancien, et «la victime, elle-même, lui a pardonné», tout cela mêlé d'un antiaméricanisme nouvelle tendance discret. Mais ils vont tous, de Bernard Henry Lévy à Kouchner, battre vite en retraite et essayer de se faire oublier devant la réaction horrifiée de l'opinion publique, réaction qu'il n'avait pas prévue. L'opinion française découvre, ébahie, le niveau réel de ses élites, leur vision discriminatoire, bref leur morale sociale réelle. Mais c'est Frédéric Mitterrand qui va en payer la note, pour de toutes autres raisons. C'est décidément très intéressant ! En défendant Polanski, il attire l'attention sur un livre qu'il a écrit et qui a paru en 2005 : la Mauvaise Vie. C'est un récit autobiographique où il confie qu'il s'est livré au tourisme sexuel en Thaïlande et au Maghreb et y décrit ses relations sexuelles avec «des garçons». Certes, c'est un récit qui ne fait pas l'apologie du tourisme sexuel et, comme le titre l'indique, Frédéric Mitterrand, avec beaucoup de sincérité, qualifie cette partie de sa vie de «mauvaise vie». Mais si elle a été «mauvaise», il n'en reste pas moins qu'elle a été donc une partie de sa vie. Le rapprochement est alors vite fait entre sa défense de Polanski et ses propres mœurs suivant le principe de «qui se ressemble s'assemble». Le lien est fait d'abord par Marine Le Pen, du parti français le Front national, qui met à profit le 6 octobre une émission en direct de France 2 sur l'affaire Polanski, pour accuser Frédéric Mitterrand de tourisme sexuel et de pédophilie, puis c'est Benoît Hamon, le porte-parole du Parti socialiste français qui dénonce, pour les mêmes raisons, F. Mitterrand. L'émotion dans l'opinion est énorme. Frédéric Mitterrand est obligé de venir s'expliquer. Le 8 octobre, il est au JT de 20 h, de TF1. L'ambiance est surréaliste ! Il reconnaît avoir eu des relations tarifées «avec des garçons» et il déclare, en même temps…, qu'il est «venu défendre l'honneur de sa femme et de ses enfants». Ses dénégations sont pathétiques : il nie que son livre soit un récit autobiographique. Il disait pourtant exactement le contraire en 2005 lors de la sortie de son livre dans des interviews télévisées, où il précisait qu'il «se décrivait [dans ce livre] tel qu'il est, sans masque, sans tricher» et que «son désir avait été de ne rien cacher, d'être honnête» (archives vidéo de l'INA français, interview du 9 avril 2005 à France 3, émission le 12-14, et à France 2). Il nie aussi toute pédophilie mais le vocabulaire utilisé dans son livre est pour le moins ambigu : «garçons», «boys», «petits jeunes» et même «garçonnet» au sujet d'un jeune Tunisien qu'il avait voulu adopter. Mais l'aveu, c'est que, du coup, il «lâche» Polanski en reconnaissant que dans cette affaire «il s'est trop précipité». L'aurait-il fait, sans cette polémique sur ses mœurs sexuelles. Mais, en dehors de ce déballage stupéfiant, l'intérêt de tout cela, c'est ce qui y est révélé, du même coup, sur l'état de la démocratie française. L'establishment, le pouvoir, les médias se mobilisent autour de la défense de Frédéric Mitterrand. C'est que, en effet, il a été nommé par Sarkozy, le président de la République, en toute connaissance de cause. On apprend même que c'est Frédéric Mitterrand qui, honnêtement, avait attiré l'attention du président Français sur son livre, la Mauvaise Vie et lui avait demandé s'il était compatible avec la charge de ministre de la République. Les médias, certaines élites intellectuelles et artistiques défendent, en fait, aussi le ministre de la Culture et de la Communication, celui qui distribue subventions et budgets. Les plateaux des grandes chaînes de télévision sont organisés sur mesure. La veulerie y atteint des sommets. Le fils à papa La polémique sur Frédéric Mitterrand battait son plein quand éclatait une autre affaire, l'affaire Jean Sarkozy. Le fils du président de la République française va être placé à la tête de l'EPAD, l'organisme qui gère le quartier de «La Défense» à Paris, le plus grand centre d'affaires européen. L'EPAD brasse des milliards d'euros, Jean Sarkozy a, à peine, 23 ans. Il est en 2ème année de droit, qu'il triple d'ailleurs. C'est énorme. L'opposition et une partie de la presse en France crient au népotisme. La presse internationale européenne, en Angleterre, en Espagne, etc. va jusqu'à comparer la France à une République bananière. Cette affaire révèle de nouveau la situation de la démocratie française : les ministres, les responsables de l'UMP, le parti du président Sarkozy sont mobilisés pour venir défendre dans les médias le fils du Président. Pas un seul pour dire que ce qui se passe est anormal. Ils ont reçu, d'évidence, un canevas d'arguments qu'ils répètent dans les médias. Ce qui est intéressant de noter ici, c'est combien la tautologie est devenue un des modes de fonctionnement de l'idéologie officielle française et de bien des intellectuels. C'est ainsi qu'il est dit que «si Jean Sarkozy n'était pas le fils du Président, il n'aurait pas été attaqué ainsi». Evidemment ! Son père, le Président, affirme dans une interview, le 15 octobre 2009, au journal le Figaro : «A travers cette polémique, qui est visé ? Ce n'est pas mon fils. C'est moi».[] Evidemment ! Puisque sans le père, le fils n'aurait pas été proposé à ce poste. Le porte-parole de l'UMP, Luc Chatel, va jusqu'à ranger les attaques contre Jean Sarkozy dans la catégorie de la discrimination, du racisme, car, selon lui, interdire à J. Sarkozy la présidence de l'EPAD, cela revient à interdire à quelqu'un «l'accès à un poste en fonction de son origine sociale et de son nom». Il fait même le rapprochement avec l'affaire Frédéric Mitterrand qui a été victime, d'après lui, de discrimination car homosexuel. Fadhila Amara ne veut pas être en reste, et, devant des journalistes médusés par tant de flagornerie, parle de «discrimination de nom patronymique», concernant Jean Sarkozy. D'une seule voix, les membres du gouvernement déclarent que la nomination de Jean Sarkozy a la tête de l'EPAD est un acte démocratique puisqu'il a d'abord été élu conseiller général des Hauts-de-Seine, et qu'il va être élu au conseil d'administration de l'EPAD avant d'être élu à la tête de cet organisme. Ils oublient de préciser que, pour ce faire, il a fallu d'abord que Patrick Devedjian, un autre ministre, quitte son poste à la tête de l'EPAD et qu'on prenne soin qu'il n'y ait pas d'autres candidatures, jusqu'à nommer l'un des candidats potentiels à un poste au CNES français. Bref, l'opinion découvre un régime où l'esprit courtisan se le dispute à la servilité. Dans chacune de leurs interventions, sur un quelconque sujet, les ministres prennent toujours soin de mentionner «les orientations du président de la République», exactement comme dans nombre de pays arabes et du tiers-monde. Le 22 octobre, Jean Sarkozy, annonce qu'il renonce à la présidence de l'EPAD. Il le fait à 20 h, en direct, sur le plateau du journal de la chaîne française TF1. Encore un privilège que de disposer à 23 ans d'une chaîne aussi importante et d'une heure de grande écoute. Il dit qu'il ne veut pas que «sa candidature soit entachée d'un doute», ce qui vaut un aveu. Ce n'est pas la première affaire concernant le fils du président français. Le 10 septembre 2008, il épouse Jessica Sebaoun-Darty, l'héritière des Etablissement Darty. Eclate alors l'affaire Siné. Il est reproché au célèbre dessinateur humoristique d'avoir déclaré le 2 juillet 2008 dans le journal satyrique Charlie Hebdo : «Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !» Le directeur du journal Charlie Hebdo, Philippe Val, licencie alors Siné, coupable, à ses yeux d'«antisémitisme» pour avoir écrit cela. Philippe Val est l'ami de Carla Bruni, l'épouse du président français. Il est aussi l'ami de Bernard Henry Lévy, qu'il encense… Comme le monde est petit ! Le lobby intellectuel pro-israélien soutient Val contre Siné. Il reproche aussi à Siné ses rapports présumés avec l'antisionisme et sa critique de l'Etat d'Israël. La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) porte plainte contre Siné pour «incitation à la haine raciale» mais est déboutée de sa plainte. Il faut rappeler que c'est Philippe Val, directeur du journal Charlie Hebdo, toujours soutenu par le groupe Bernard Henry Lévy, qui avait publié en France «les caricatures du Prophète» et déclenché une campagne à ce sujet au nom de la liberté d'expression. Ce sont donc les mêmes qui vont dénier cette liberté d'expression à Siné. Mais l'affaire se retourne contre les instigateurs. Siné sera soutenu par un large courant des intellectuels français qui dénoncent, comme Pierre Rimbert (le Monde diplomatique du 24 juillet 2008), «l'utilisation de l'argument de l'antisémitisme pour écarter un indésirable», et comme Gisèle Halimi, le «Procès en sorcellerie» contre Siné. Finalement, Siné va fonder le 10 septembre 2008 son propre journal satyrique Siné Hebdo dont le nombre de lecteurs va sans cesse grandir au contraire de Charlie Hebdo qui va entrer en crise. Quant à Philippe Val, il va quitter Charlie Hebdo pour être nommé par Nicolas Sarkozy à Radio France. Trois affaires, et que de points communs. Quand je vous disais que tout cela est intéressant… D. L.