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PROJET DE LA GRANDE MOSQU�E D�ALGER
Cessons de pol�miquer, il y va de vies humaines
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 10 - 2012


Pr Abdelkrim Chelghoum
(ENG, CHEC, CHEM, MSC, PhD, DIC, DrED)
Il faut cesser de pol�miquer � propos de la Grande Mosqu�e d�Alger. L�enjeu ne porte pas sur des enjeux politiques ou religieux.
Le d�bat sur le projet de la Grande Mosqu�e doit nous interpeller sur le plan technique, c�est-�-dire la s�curit� des personnes et le co�t prohibitif induit par la nature du sol. Il existe un probl�me de risque majeur relatif � la stabilit� de l�ouvrage par rapport au site choisi. Bref, il y va de vies humaines. Voil�, personnellement, pourquoi je me sens concern�.
Pr�ambule
J�ai publi� une contribution dans les quotidiens nationaux Le Soir d�Alg�rie, El Khabar reprise par El Watano� j�ai d�velopp� certaines observations relatives au site d�implantation de la Grande Mosqu�e d�Alger. Le Soir d�Alg�rie en date du 15 septembre 2012 a ins�r� la r�ponse de l�autorit� de tutelle du projet intitul�e �R�ponse � la contribution du Pr Abdelkrim Chelghoum parue le jeudi 23 ao�t 2012� sign�e par deux fonctionnaires de l�Anargema, �tablissement en charge de la r�alisation de l�ouvrage. Le directeur g�n�ral dudit �tablissement a lui-m�me tenu une conf�rence de presse le 17 septembre 2012 au forum du quotidien El Moudjahid. Je m�abstiens d�entretenir la pol�mique, et j�inscris r�solument mon apport dans une perspective visant � positiver le d�bat en l�orientant vers une probl�matique exclusivement technique, celle o�, de toute �vidence, je me sens le mieux � l�aise.
A propos de l�inconsistance de l��tude des sols...
Concernant le principal point de discorde relatif � la consistance et aux limites des param�tres ressortant des r�sultats de l�investigation g�otechnique conduite sur le site par le groupement LNHC-LCTP, soulignons qu�il s�agit d�une �tude classique purement statique avec un compl�ment de g�ophysique qui ne refl�te en aucun cas l�importance et la complexit� comportementale de l�ouvrage projet�. Certes, des sondages carott�s jusqu�� une profondeur exceptionnellement importante compl�t�s par des sondages pressiom�triques ont �t� ex�cut�s au cours de cette campagne, mais cette approche demeure valable seulement dans les cas classiques de la g�otechnique statique. A l�instar des caract�ristiques g�otechniques et m�caniques des diff�rentes couches de sol �valu�es apr�s analyse des carottes de sondages, les r�sultats pressiom�triques permettent en g�n�ral d�appr�cier la qualification des sols en place en mesurant leur module E d�une part et en �valuant leur pression limite d�autre part. Cela donne une id�e g�n�rale sur la d�formabilit� et la portance des couches de sols investigu�es sous chargement statique seulement. Cela nous am�ne � introduire un aspect �minemment important qui concerne la rupture instantan�e du massif de sol lorsque celui-ci est harcel� par une vibration intense comme celle induite par un s�isme s�v�re (magnitude 7 et plus sur l��chelle de Richter ou 10 et plus sur l��chelle de Mercalli), il s�agit l� du ph�nom�ne �liqu�faction�.
A propos de la liqu�faction des sols : risque de liqu�faction et effets d�vastateurs...
L�appellation �liqu�faction� se trouve galvaud�e r�guli�rement par les experts de l�Anagerma qui affirment que ce ph�nom�ne est inexistant sur le site choisi occultant ainsi l�adage populaire �ne jamais vendre la peau de l�ours avant de l�avoir tu�. Aussi, est-il important de donner quelques explications succinctes et p�dagogiques sur l�origine, la nature et les cons�quences d�coulant de ce ph�nom�ne ainsi que les conditions de son d�clenchement. La liqu�faction se produit g�n�ralement dans les sols satur�s (sableux ou autres) situ�s pr�s des rives des oueds (oued El-Harrach par exemple) ou en bord de mer (c�est le cas du site de Mohammadia) dans les conditions de sollicitations sismiques �lev�es. Elle provoque de grands d�placements entra�nant in�luctablement la ruine imm�diate et sans pr�avis de tous les ouvrages par rupture de leurs fondations due � de fortes interactions ainsi qu�� une chute drastique de la capacit� portante du massif de sol concern� avec l�apparition de tous types de d�sordres g�otechniques (tassements excessifs incontr�lables, basculements, glissements importants, �coulement du sol, �pandage lat�ral, etc.). Plusieurs crit�res peuvent �tre utilis�s pour appr�cier, dans le cadre d�un avant-projet grossier, le ph�nom�ne de liqu�faction comme les crit�res historiques, g�ologiques et g�otechniques. Mais il est important de noter que seuls des essais sur triaxial dynamique (CU) au laboratoire calibr�s, corr�l�s et crois�s mutuellement avec les r�sultats obtenus in-situ (SPT-CPT) sont fiables pour l��valuation du potentiel de liqu�faction des couches de sol concern�es. C�est l� l�un des volets fondamentaux de l��tude dynamique des sols dont apparemment inexistante dans l��tude �labor�e sur le site. Dans le cas o� ces essais auraient �t� effectu�s par le ma�tre de l�ouvrage ou le ma�tre d��uvre, il serait utile d�en informer l�opinion publique, r�sultats obtenus et d�tails d�usage, � savoir �nom du labo, identification de l�appareil utilis� et identit� des techniciens et sp�cialistes responsables des essais�. L�autre volet qui marque la diff�rence entre une �tude g�otechnique statique (c�est le cas de ce projet) et une vraie investigation dynamique r�side dans les conditions de charges sismiques �lev�es (s�isme s�v�re) qui entra�nent syst�matiquement la d�t�rioration des caract�ristiques m�caniques et g�otechniques du sol harcel� par ces vibrations. Il en r�sulte un changement global et local de la texture, la granulom�trie des sols ainsi que l�enchev�trement des particules avec l�apparition de beaucoup de vide dans la nouvelle configuration du massif sol. Ainsi, la but�e initiale constitu�e par les sols dans leur �tat statique courant sera momentan�ment discordante avec un effet direct sur la capacit� portante entra�nant une r�duction drastique de sa valeur (cas du stade de Baraki). L�exploitation de la carte g�ologique �labor�e au d�but des ann�es 1930 montre que la r�gion en question qui c�toie le monast�re St- Josep est constitu�e par un comblement alluvionnaire avec un l�ger recul du rivage initialement mitoyen au monast�re comme indiqu� sur la carte. Cet aspect g�omorphologique est, par ailleurs, parfaitement illustr� et corr�l� par les coupes et les profils lithologiques des sondages ex�cut�s sur ce site par les laboratoires choisis par le ma�tre de l�ouvrage. Au vu de ces profils, il ressort que le site en question est constitu� d�un m�lange de d�p�ts limoneux, sableux, remblai et alluvionnaire sur une profondeur de plus 43 m, donc un sol l�che et mauvais comme illustr� sur la carte g�ologique (ci-jointe). Dans ce cas particulier, il est ais� de conclure que les sols en place (identiques � ceux de Zemmouri, Corso Dergana, le caf� Chergui, Si Mustapha, la zone abritant la cit� des 1200-Logts � Boumerd�s, les r�gions de Ouled Fayet, Bab Ezzouar, Hamiz, Mahelma,�) sont de parfaits amplificateurs d�ondes sismiques repr�sentant un grand risque pour les ouvrages quelle que soit leur typologie. Faut-il souligner qu�il serait risqu� de s�enhardir � classer le sol dans une cat�gorie simpliste et fig�e S1, S2 ou autres et � d�clarer que c�est un sol parfait, formidable et m�me rocheux sans cette indispensable r�elle investigation dynamique. En liaison avec cette probl�matique, se pose la question de savoir si une tomographie sismique du site avec un relev� d�taill� du relief souterrain illustrant clairement les diff�rents �horizons g�om�caniquement d�finis� a �t� �labor�e.
A propos des failles actives de l�Alg�rois...
Les responsables et experts de l��tablissement en charge du projet font �tat de �l�absence de faille � proximit� du site� en s�appuyant sur une r�currence de 1000 ans. H�las, la r�alit� est autre, car il est �tabli que l�agglom�ration d�Alger est quadrill�e par cinq failles sismiques potentiellement actives (F1, F2, F3, F4 et F5,) en plus de l�oued El Harrach qui, luim�me, repr�sente une faiblesse g�ologique avec une embouchure contaminant lat�ralement toutes les couches sableuses pr�sentes dans cet environnement. Puisqu�il a �t� annonc� que le site de Mohammadia a �t� s�lectionn� parmi 8 autres sites investigu�s dans l�agglom�ration alg�roise, il serait tout simple, pour lever toute ambigu�t�s, de publier la liste de ces terrains et les PV techniques subs�quents.
A propos d�isolateurs
La conception des isolateurs sismiques pr�vus au niveau de la superstructure de la salle de pri�re et la technique de leur mise en place rel�vent en g�n�ral d�un savoir-faire av�r� en la mati�re. La rigidit� �lev�e en compression et en rotation de ce type d�isolateurs a-t-elle �t� r�solue sur le plan conceptuel ? Comment la composition des diff�rents composants intervenant dans la fabrication de ces isolateurs a �t� d�termin�e et impos�e au constructeur ? Qui est le sous-traitant de cette partie de l�ouvrage ? Il a �t� dit aussi que cette technique est applicable �galement pour les bons sols malgr� son co�t prohibitif, pourquoi alors ce proc�d� n�a-t-il pas �t� incorpor�, � titre d�exemple, dans la conception et la r�alisation de la plus grande tour d�Europe The Shard r�ceptionn�e le 5 juillet 2012 en plein centre de Londres avec 11 000 murs rideaux de fa�ade �quivalent � 8 terrains de football, 11 hectares de planchers habitables, des h�tels, des galeries, des bureaux, des restaurants et des commerces accessibles � un nombre important de personnes et dont le poids propre est au moins 100 fois celui de l�ensemble de l�ouvrage constituant la Grande Mosqu�e d�Alger ?
A propos de r�f�rentiels de conception de contr�le et de suivi
Rappelons, pour m�moire, que le r�f�rentiel national alg�rien est obsol�te dans le cas de ce projet, pourquoi le choix s�est-il port� sur l�utilisation les Euros codes (je pr�sume l�Euro code 8) plut�t qu�un code �labor� dans un pays soumis � une activit� sismique comparable � l�Alg�rie, l�UBC Am�ricain, le code japonais, le code canadien le code new-z�landais. Le choix retenu a-t-il �t� dict� par le ma�tre d��uvre allemand pour lui faciliter la t�che ? Quels sont les r�f�rentiels et DTU utilis�s pour le suivi et le contr�le de toutes les phases du second �uvre (VRD, plomberie, chauffage, �lectricit�, c�blage, rev�tement horizontaux et verticaux climatisation, les mat�riaux utilis�s autres que le b�ton) ? L�entreprise ou les entreprises choisies poss�dent-elles les qualifications et l�exp�rience requises ? Toute cette partie de l�ouvrage est pass�e sous silence alors qu�elle m�rite d��tre clarifi�e pour un projet d�une telle ampleur. Qui est en charge de la mise � jour et de l�adaptation du dossier technique et architectural par rapport aux diff�rents al�as pouvant surgir au cours de la r�alisation ? Rien ne sert d�invoquer la confidentialit� de donn�es qui sont en possession des partenaires �trangers dans le projet, la transparence, en l�occurrence, est une garantie de s�curit�.
A propos de qualifications de l�entreprise retenue pour la r�alisation du projet...
Sans se perdre en conjectures sur la notori�t� internationale de l�entreprise s�lectionn�e pour la r�alisation du projet pr�sent� par le responsable de l�Anagerma comme �une grande multinationale ayant un �norme chiffre d�affaires et un grand savoir-faire� comment celle-ci a-t-elle �t� contrainte de sous-traiter l�ex�cution des fondations profondes (pieux et parois moul�s) � l�entreprise italienne Trevi ? Nonobstant l�aspect r�glementaire (le taux du projet sous-trait� est de l�ordre de de 30% du co�t de l�ouvrage), c�est la comp�tence technique de l�entreprise retenue-oblig�e � recourir � la sous-traitance pour cette partie sensible de l�ouvrage qui se pose. Sur un registre connexe, le directeur g�n�ral de l�Anagerma a affirm� que 10 000 travailleurs alg�riens seront recrut�s pour les besoins de ce projet sans pr�ciser, toutefois, les ratios par cat�gories de postes pourvus. Encore une fois, comme cela est de r�gle dans les pays de bonne gouvernance, l�opinion publique nationale a le droit d�acc�der � l�information relative � la consommation de ressources nationales d�autant que la transparence qui s�ensuit conditionne le contr�le technique de l�ouvrage.
A propos d��tude d�impact sur l�environnement et de quantification des risques encourus...
De mani�re furtive l�Anagerma laisse entendre que l��tude d�impact a �t� �labor�e. Il est impossible de suffire de cette profession de foi. Il faut �tre plus pr�cis sur les pr�-requis d�une telle d�marche, � savoir l��valuation des risques majeurs, la quantification de la concomitance de deux ou plusieurs risques, l��laboration d�un mini-sc�nario catastrophe en consid�rant l�occurrence des risques, vuln�rabilit� des sites avoisinants... Aucune donn�e concr�te n�a �t� fournie sur cet aspect de la r�alisation de l�ouvrage, ce qui ne peut que conforter les inqui�tudes soulev�es par le projet.
A propos de conventions avec les universit�s nationales...
L�Anagerma a tent� de justifier la bonne gestion du projet par l�argument de la signature de conventions avec diverses universit�s et �coles. Comment l�universit� alg�rienne, qui ne dispose pas de tradition dans ce domaine, peut apporter son concours dans les conditions �voqu�es ? Seul un organe compos� de v�ritables professionnels tous corps d�Etat, y compris le concours de BET ind�pendants �largi � la communaut� universitaire sp�cialis�e peut mener � bien, selon les r�gles de l�art, une mission de supervision technique, mat�rielle, financi�re et juridique. La pol�mique est suppos�e prescrite dans la pr�sente contribution, mais comment faire pour ne pas s�offusquer lorsque le directeur g�n�ral de l�Anagerma laisse imaginer que la qualit�, la fiabilit� et la robustesse de l��tude technique du projet de la Grande Mosqu�e d�Alger peuvent �tre jug�es, appr�ci�es et not�es selon le poids des documents (100 kg) !
Propositions
Plut�t que d��piloguer sur la dangerosit� du site d�implantation du projet de la Grande Mosqu�e d�Alger, il faut s�interroger sur les choix alternatifs pour pr�server des effets d�une gravissime secousse sismique, le maximum de vies humaines et, cons�cutivement, de biens mat�riels. Il est �vident, dans cet ordre d�id�es, qu�il est pr�f�rable de diff�rer le projet de quelque temps plut�t que de devoir se livrer demain � une comptabilit� macabre des morts. Voici les propositions que je consid�re �tre de mon devoir de formuler � l�intention de l�autorit� de tutelle :
- surseoir, encore qu�il est temps, � l�ex�cution des travaux sur ce site et proc�der � un autre choix plus judicieux, r�sistant et coh�rent par rapport aux diff�rents risques majeurs identifi�s ;
- �laborer en premier chef les �tudes pr�alables d�impact, de danger et des diff�rents risques potentiels ;
- mettre en place un organe pluridisciplinaire compos�s d�experts tous corps d�Etat ayant l�exp�rience et les qualifications requises pour discuter, appr�cier et juger les options techniques d�gag�es ;
- cet organe sera compos� de personnalit�s techniques ind�pendantes, de repr�sentants de BET et laboratoires priv�s et publics avec les r�f�rences �tablies de leurs qualifications.


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