«Cause citoyenne» à multiples enjeux, le 17 octobre 1961 a été aussi une grande bataille sur le terrain des archives. Historiens connus ou jeunes chercheurs, ils sont nombreux à avoir pétitionné et milité pour l'ouverture des archives de la préfecture de police et d'autres institutions officielles. Autant que bien des pages dramatiques de la guerre d'Algérie, la répression sanglante a été victime d'une chape de plomb singulière. Parce qu'elle avait impliqué - au travers de la préfecture de police - une institution importante du paysage préfectoral et sécuritaire français, la journée sanglante a souffert d'un dommageable embargo archivistique. Ceci est loin d'être une surprise. Connu pour être particulièrement contraignant, l'accès aux archives en France ressemble au parcours du combattant. Délais de consultation pouvant aller jusqu'à 90 ans, régime dérogatoire, communication de documents au compte-gouttes : la loi sectorielle française - pourtant amendée à maintes reprises - en verrouille l'accès plus que sous d'autres cieux européens. Les conditions d'accès sont encore plus sévères quand il s'agit de la guerre d'Algérie. Depuis une quinzaine d'années, les archives «algériennes» - y compris celles de la préfecture de police relatives au 17 octobre - se font plus «accueillantes». De nombreux chercheurs ont pu y accéder, dont les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster, les français Jean-Luc Einaudi, Emmanuel Blanchard, Sylvie Thenault et la franco-algérienne Linda Amiri (auteur d'une remarquable thèse sur la Fédération de France). Saluée par les historiens, cette ouverture s'est traduite par la soutenance de nombreuses thèses et la publication de plusieurs livres. Autant de vecteurs de connaissance qui ont fait avancer le savoir académique et éclairé la «journée portée disparue» du 17 octobre. Mais cette indéniable avancée dans la bataille des archives ne fait pas oublier la perte accidentelle ou volontaire de nombreux documents. Le rapport Mandelkern remis en 1997 au ministère de l'Intérieur de Jean-Pierre Chevenement avait listé nombre de documents manquants. Des «documents dont l'intérêt aurait dû imposer la conservation, mais qui ont été parfois détruits ou que la mission n'a pu retrouver». Parmi les documents manquants, les archives de la brigade fluviale. Elles ont été détruites, selon les membres de la mission Mandelkern. Le rapport du préfet de police Maurice Papon a connu un sort similaire. «Aucun exemplaire ne semble avoir été conservé dans les archives de la préfecture de police, pas plus qu'à la direction générale de la police nationale». Au moment des faits, L'Elysée et Matignon étaient également destinataires de ce rapport, mais la mission Mandelkern n'en a pas trouvé trace. Autres archives (relative au 17 octobre) signalés «manquants» par la mission Mandelkern, celles du service de coordination des affaires algériennes (SCAA), du service d'assistance technique (SAT) aux Français musulmans d'Algérie (FMA), du centre d'identification de Vincennes (CIV), créé en janvier 1959 pour recevoir les FMA interpellés sur la voie publique. L'équipe mandatée par Jean-Pierre Chevènement n'a pas également trouvé trace des archives de la direction de la réglementation du ministère de l'Intérieur. La mission fait allusion aux arrêtés ministériels prononçant des assignations à résidence ou des mesures d'éloignement à l'encontre d'Algériens.