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Un Algérien «espion» de Hannibal Kadhafi devant le juge
Arrêté par le DRS, il raconte comment il a rencontré Mouammar Kadhafi, Amr Moussa, Nejwa Karem, George Wassouf…
Publié dans Le Temps d'Algérie le 03 - 06 - 2012

S. Skander, alias Mourad, qui dit être originaire de Annaba, ignorait peut-être qu'il allait être embarqué dans une rocambolesque affaire d'espionnage, lui, qui était parti en Libye en 1996 où il avait, d'abord, pu décrocher un emploi comme barman dans un complexe de détente fréquenté par de hautes personnalités libyennes et étrangères, comme l'ex-premier responsable des services secrets libyens, Abdellah Senoussi, l'aîné de Mouammar Kadhafi, Mohamed, l'ex-secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, et des artistes de renom comme Nejwa Karem et George Wassouf.
Aux enquêteurs du département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui l'a arrêté en Algérie, il a déclaré, selon le dossier judiciaire, que Hannibal Kadhafi, un des fils de Mouammar Kadhafi, l'avait chargé d'une mission «secrète» en Suisse, en Angleterre et en France. Il aurait été chargé de planifier un attentat terroriste contre l'aéroport de Genève et des infrastructures en Suisse pour qu'ils soient, ensuite, attribués à Al Qaïda.
L'affaire a été traitée hier par le tribunal criminel près la cour d'Alger présidée par le juge Omar Belkharchi. L'espion présumé, qui s'est présenté hier devant le tribunal, disant être âgé de 36 ans, avait bénéficié de la nationalité libyenne pour «services rendus», et activait sous une fausse identité, détenait une carte militaire d'officier au grade de capitaine et était armé.
Lors de son audition hier, il a déclaré : «Je suis là pour me défendre avec n'importe quelle langue. Je suis emprisonné depuis 24 mois pour une accusation que j'ignore.» C'était lorsque le président du tribunal l'invitait à s'exprimer en langue arabe au lieu de la langue française qu'il utilisait dans le procès. L'accusé a déclaré lors de son audition qu'en parallèle avec son travail, il avait suivi des formations en langues française, espagnole, russe, anglaise et allemande dans des écoles libyennes et américaines.
L'espion présumé de Hannibal recevait en Libye des personnalités «cagoulées» pour des raisons sécuritaires, pour ne pas être reconnues, selon la taupe. En 1999, il retourne en Algérie pour retirer sa carte jaune du Service national «mais lors de mon absence, les responsables du complexe (en Libye) ont constaté ma compétence professionnelle et sur ce, ils ont décidé de me transférer au complexe Karilou, hautement sécurisé et qui était très proche de la résidence de Hannibal Kadhafi et cela par l'intermédiaire du nommé Kamel Mortada.
Ce dernier m'a informé que je serais recruté chez une personnalité très importante et j'ai découvert qu'il s'agissait du nommé Abdessalem Djelloud qui est un colonel de l'escadron militaire (Seïf El Islam) et il est considéré comme le numéro 2 en Libye», a affirmé l'espion présumé. Un contrat a été signé avec ce responsable militaire.
Un contrat de 3 ans avec un salaire mensuel de 5000 dollars
En juillet 2008, selon les déclarations de l'espion présumé faites lors de l'audience, il sera recruté comme le barman personnel de Hannibal Kadhafi, après l'incident de Suisse, avec un contrat de 3 ans et un salaire mensuel de 5000 dollars. «Eline, la femme de Hannibal, avait maltraité sa domestique et Kamel Mortada, torturé lui aussi avec son frère Issam, n'ont pas hésité à saisir le conseil international des droits de l'homme, ce qui a irrité Hannibal qui est rentré en Libye après sa libération et les a menacés de représailles», témoigne-t-il.
- «Mais tu as déclaré aussi qu'il a menacé de se venger de l'Etat suisse», interrompt le président du tribunal.
- «Oui, exactement», a répondu Skander qui a continué à travailler normalement jusqu'au jour où il décide d'appeler Kamel Mortada pour prendre de ses nouvelles, selon ses dires. «Je ne savais pas que mon téléphone était sous écoute et Hannibal a été mis au courant de mon coup de fil, alors il m'a puni de façon sauvage : je fus pendu par les pieds nus à un arbre pendant 48 heures», dit-il.
«… Monsieur le juge, j'ai été torturé, insulté et on m'a retiré mon passeport et j'ai même été menacé de mort ! Oui, Hannibal en personne m'a convoqué pour me montrer un dossier qui comportait toutes les informations sur ma personne et tout sur ma filiation, même les noms de mes voisins. Tout cela pour me démontrer leur pouvoir et qu'ils ont des yeux partout», ajoute l'espion présumé. L'accusé a, cependant, pu s'enfuir le 7 mars 2010 par le poste frontalier de Debdeb avant de rejoindre sa ville natale à Annaba.
«J'ai vu une jeune Marocaine pendue et torturée avant d'être achevée par balle, j'avais terriblement peur, c'était horrible», lance-t-il. L'enquête de la police judiciaire du département de renseignement et sécurité (DRS) a révélé que le prévenu avait contacté juste à son retour un journal arabophone pour exposer son cas et a ensuite contacté le consulat français à Annaba pour avoir les coordonnées de l'ambassade de Suisse. Il regagne alors la capitale où il contacte l'ambassade suisse où il est hébergé sur place pendant 20 jours et fournit des informations «importantes» sur Hannibal Kadhafi.
L'accusé reconnaît qu'il a effectivement contacté l'ambassade suisse mais juste pour avoir les coordonnées du bureau du conseil international des droits de l'homme à l'ONU pour déposer plainte contre Hannibal pour maltraitance, selon lui. «J'avais inventé le scénario des planifications des attentats pour me venger», dit-il.
- «Lors de tes aveux faits au cours de l'instruction judiciaire, tu avais reconnu qu'ils t'ont fourni une nouvelle puce de téléphone et une somme de 30 000 DA tout comme tu as été instruit de ne pas informer les services de sécurité algériens sur l'entretien», lui rappelle le procureur général. L'accusé avoue que l'ambassade lui a remis effectivement cette somme, mais uniquement pour pouvoir retourner à Annaba, selon lui. Le président du tribunal, à son tour, lui rappelle qu'il n'avait pas saisi les autorités algériennes ni les services de sécurité sur cette affaire.
- «J'attendais d'être convoqué par l'officier de la gendarmerie du poste frontalier de Debdeb qui m'a promis de donner suite à mon affaire mais ça avait trop tardé», a-t-il répondu.
Le parquet a requis hier la peine maximale, soit 20 ans de prison ferme, qualifiant les faits de très graves. Après délibération, le prévenu est condamné à 4 ans de prison ferme.


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