Ce petit village s'est avéré trop exigu pour contenir toute la marée humaine, venue ce jeudi-là. Jeudi dernier, tous les chemins menaient à Agouni Arous, le village d'où tout est parti un certain 18 avril 2001. En effet, Beni Douala, la rebelle et l'épicentre des événements du printemps noir, est devenue, en l'espace d'une journée, le lieu de pèlerinage de tous les assoiffés de liberté et de démocratie. Ainsi, il sont venus de partout se recueillir sur la tombe de Guermah Massinissa, lâchement assassiné une année auparavant, à l'intérieur de la brigade de gendarmerie de Beni Douala. Cet hommage, rendu au premier martyr de la révolte du Printemps noir, et à travers lui aux 109 autres jeunes tombés sous les balles de gendarmes et des CNS, a été des plus émouvants et des plus grandioses. A ce titre, le petit village d'Agouni Arous s'est avéré trop exigu pour contenir toute la marée humaine, venue ce jeudi-là. D'ailleurs, tous les véhicules ont stationné à l'entrée de Tizi Hibel et les gens ont été priés de continuer à pied. Des banderoles noires où on pouvait lire «Gloire à nos martyrs d'hier et d'aujourd'hui», et «Le combat continue» ont été accrochées en différents endroits du petit village. Le service d'ordre, constitué essentiellement de jeunes du village, était impeccable. L'atmosphère était au recueillement et à la solidarité. Outre les jeunes qui ont fait l'histoire du Printemps noir beaucoup de personnalités politiques et artistiques étaient présentes à Beni Douala. Saïd Sadi, Hachemi Chérif, Saïd Khelil ont été aperçus aux côtés de Khaled Guermah, le père de Massinissa. Toutefois, le clou de cette journée aura été, sans conteste, l'apparition de Ahmed Djeddaï, que la foule empêchera de prendre la parole. Il sera ainsi «rappelé à l'ordre» par le service d'ordre et tous les présents qui lui ont signifié que la cérémonie est extra-partisane. Le moment fort de ce premier anniversaire du Printemps noir était indubitablement l'inauguration du tombeau de celui qui est passé désormais à la postérité. D'ailleurs, le mémorial est rattaché à la demeure familiale. Toute la famille Guermah réunie a fait preuve d'un courage remarquable. Elle a trouvé les ressources nécessaires pour exprimer, au-delà de la douleur, des hommages aux autres victimes. Pour Nna Ouerdia, «personne ne sait si l'assassin de mon fils est jugé ou pas. Nous revendiquons un procès devant la juridiction civile, pour la transparence du procès». De son côté Khaled Guermah a demandé aux milliers d'autres Massinissa de poursuivre le combat pacifiquement. Très sollicitée par la presse, notamment étrangère (présente en force), la famille Guermah a démontré une sérénité à toute épreuve, malgré l'atrocité de la douleur. A la fin de cette mémorable cérémonie, l'ensemble des présents a été convié à un couscous servi par le comité du village d'Agouni Arous. Aux environs de 14h, la foule s'est dispersée dans le calme, marquant d'une pierre blanche ce premier anniversaire du Printemps noir. Par ailleurs, dans la soirée de jeudi, la ville de Tizi Ouzou a pris le relais de la commémoration à travers tous les quartiers (la Cnep, les Genêts, les 240, les Corbeaux, le Bâtiment bleu...). Ainsi, la nuit tizi-ouzéenne était illuminée par des milliers de bougies et son atmosphère égayée par des chansons engagées et ce, pour rendre un énième hommage aux martyrs d'hier et d'aujourd'hui et surtout pour exiger la libération des détenus, dont le seul tort est de s'être révoltés contre la «hogra».