«Retrouver ses amis d'antan, sentir le parfum de Tlemcen et parler du bon vieux temps.» Il a 82 ans aujourd'hui et vit à Montpellier (ville jumelée avec la cité des Zianides). Il est Français, mais son coeur est algérien. Il vit très loin, mais son esprit et ses souvenirs sont restés dans la ville de son enfance, Tlemcen. A chaque occasion, il ressuscite ce passé si cher à son coeur et ne ménage pas ses efforts et sa mémoire pour se souvenir, plutôt raconter, car il n'a rien oublié, la grande histoire de celle qui fut nommée «la perle du Maghreb», «La Grenade africaine». Louis Abadie, chercheur en histoire et membre de la Société des gens de lettres de l'Académie du Second Empire, est natif de Tlemcen. Après une carrière de responsable médico-social, il se tourne vers l'écriture et publie de nombreux ouvrages dont beaucoup parlent de l'Algérie. «J'ai écrit 13 ouvrages sur l'Oranie», nous apprend-il. Avec amour et émotion, il aborde ce passé algérien qui lui fait à la fois mal et plaisir. Il a écrit sur Mostaganem, Aïn Témouchent, Relizane, Saïda, Oran, mais aussi et surtout sur Tlemcen, sa ville natale. On lui connaît Tlemcen de ma jeunesse, Tlemcen au passé retrouvé et Tlemcen, au passé rapproché 1937-1962, parus aux Editions J.Mandini en France. Dans ce dernier ouvrage, une citation du cardinal Coffy, archevêque de Marseille attire l'attention: «Si les hommes veulent garder le souvenir de leur passé et faire mémoire des événements qui ont tout particulièrement marqué leur histoire, c'est pour ne pas perdre leur identité devant les bouleversements qui les affectent.» L'occasion nous a été donnée de rencon-trer Louis Abadie, lors d'un «Maghreb du livre», organisé par l'association Coup de soleil en France. Pour cet auteur, ce rendez-vous est très important car il lui permet de «retrouver ses amis d'antan, sentir le parfum de Tlemcen et parler du bon vieux temps». Sur son envie d'écrire sur Tlemcen, il nous dit que cela remontait à très loin, à l'époque où il était au lycée: «Au collège, j'entendais parler de Tlemcen à l'arrivée des Turcs et je me suis dit que cette histoire m'intéressait. Bien plus tard, lorsque j'ai pris ma retraite, j'ai commencé à écrire et ce fut mon premier livre, Tlemcen au passé retrouvé, et depuis, je ne m'arrête plus, j'en suis à mon troisième livre sur Tlemcen, il y a tellement de choses à dire.» Par rapport à ce besoin d'écrire l'histoire justement, Louis Abadie est de ceux, nombreux, qui pensent que «écrire pour sauvegarder une mémoire est un impératif du présent pour aller rechercher dans le passé une histoire, une relation d'événements, le souvenir de personnes. Car à l'heure actuelle, les générations ne se reconnaissent plus; mentalités et habitudes ont changé à une rapidité telle que, si on n'y prend garde, on perd à la fois ses racines et les valeurs auxquelles on est attaché». Selon lui, il faut écrire car «les Français d'Algérie ont des souvenirs de là où ils ont vécu, mais sans parler de guerre, de haine ou de politique». Il nous dira, d'une voix émue «beaucoup de mes meilleurs amis sont en Algérie». Il aimerait sans doute les retrouver et revoir par la même, sa ville natale si précieusement gardée dans son coeur et dans sa mémoire. D'ailleurs, il nous avouera timidement, entre deux questions sur ce passé partagé, son espoir de se voir un jour invité en Algérie, à l'occasion du Salon du livre d'Alger. Un salon dont il a beaucoup entendu parler ces derniers temps. Louis Abadie a beaucoup de choses à dire. Il se fait vieux aujourd'hui, mais continue d'écrire et espère être encore édité. Il fait des recherches et note ses souvenirs, fait partie de plusieurs associations de rapatriés et intervient parfois lors de conférences sur divers sujets, notamment ceux liés aux juifs d'Algérie. Il dit que les autres, tout comme lui, «écrivent des livres pour garder l'histoire de ce qu'ils ont vécu en Algérie, certains avec beaucoup d'amour, d'autres, certes, avec quelque amertume». Selon lui, «l'Indépendance de l'Algérie était inéluctable, mais le fait est que l'on n'a pas préparé les Français à partir». Et pour revenir à l'Algérie justement, il nous apprend qu'il avait contribué, 11 ans après l'Indépendance, à créer à Mascara, des services médicaux-sociaux, des centre PMI et à former des infirmières et des aides soignantes pour les placer dans ces centres nouvellement construits. Il ne manquera pas aussi de revenir à l'histoire en évoquant la présence de 27 tribus juives à Tlemcen et ses environs au XVIe siècle, la destruction de l'université en 1836, les actes de barbarie des uns et des autres et beaucoup d'autres événements puisés de ses nombreuses recherches. Soucieux de transmettre un message de paix, de fraternité et de tolérance, il nous dira: «Je suis contre les relations politiques, c'est au niveau des peuples qu'il faut créer des relations» et d'ajouter: «Les historiens doivent se détacher pour pouvoir écrire l'histoire.» Et concernant leur vie d'avant, il dira: «On vivait modestement, sans avoir la richesse d'aujourd'hui» et de conclure en insistant sur le fait qu'il voudrait contribuer à «abattre la cloison et rallier Arabes et Juifs. Je regrette que les Algériens ne reconnaissent pas le travail des Juifs». Loin de toute cette histoire coloniale qui n'a pas encore tout dit, indépendamment de cette politique complexe qui, très souvent, nous dépasse, et sans vouloir rouvrir les plaies ni attiser le feu de la guerre, on retiendra de Louis Abadie ces paroles: «Riche d'un passé sous les Romains, les Arabes et les Turcs, elle fut capitale intellectuelle, religieuse, carrefour entre l'Orient et l'Europe. Elle eut pour nom Pomaria (les vergers), Agadir (le rempart), Tagrart (le camp), avant d'être Tlemcen (les sources). Et aussi «Tlemcen était une grande cité. Dans le souvenir, elle est devenue encore plus grande aujourd'hui et un modeste ouvrage ne peut la «contenir» tout entière.» Cette année 2011, il est sans doute fier de savoir sa ville natale «capitale de la culture islamique» d'autant plus que sa ville d'aujourd'hui a été jumelée avec sa ville d'hier...