Il est des institutions, parfois invisibles aux yeux les plus attentifs du grand public, mais souvent portées au-devant de la scène médiatique, qui créent par leurs impacts sur les décisions publiques et privées des différences de performance extraordinaires. Tel est l'objectif des “think tank” qui se créent un peu partout dans le monde pour éclairer les responsables sur les alternatives d'action et leurs coûts/bénéfices respectifs. On peut citer, à tire d'exemple, l'“American Enterprise Institute” qui clarifie les options pour la droite US ou “Terra Nova” pour inspirer des politiques de gauche en France. Le “think tank” qui vient de voir le jour en Algérie est centré sur l'entreprise. Nous allons développer les différentes facettes qui constituent ses priorités. En plus des études, des simulations et d'autres méthodologies utilisées propres aux think tanks, il se veut un lieu de rencontres et d'échanges permanents avec tous les acteurs du développement des entreprises. Il collabore également avec toutes formes d'institutions publiques et privées, intéressées par la promotion de la compétitivité de l'entreprise algérienne : associations, laboratoires d'études, etc. C'est un lieu d'approfondissement des analyses, de concertation et de restitution de l'état des lieux et des éventails de choix possibles offerts à nos décideurs d'entreprises et aux pouvoirs publics. L'environnement des pays en voie de développement est tellement pauvre en informations et en analyses que l'on est tenté d'entreprendre d'innombrables tâches fort dispersées. Cependant, en priorisant les champs d'actions, nous arrivons à cibler les activités qui constituent les facteurs-clés de succès de nos entreprises et de nos politiques publiques destinées à les promouvoir. En premier lieu, il est question de diffuser l'idée, généralement acceptée mais trop souvent oubliée lorsqu'on conçoit des politiques publiques, que l'entreprise est le seul lieu de création de richesses. Le reste des institutions établissent un cadre pour que cette activité se déroule convenablement et répartissent la prospérité créée. Loin de constituer une menace, les entreprises publiques et privées sont les seules entités qui fournissent de la valeur ajoutée et qui fondent la puissance économique et politique d'une nation. Seules des entreprises efficaces permettent de créer une richesse économique pérenne sur la base de laquelle on construit une puissance économique et politique nationale. La culture économique algérienne est pleine de préjugés malsains vis-à-vis de l'entreprise privée. Or, une économie de marché se construit surtout avec un secteur privé dynamique et compétitif, sans pour autant évincer l'entreprise publique dans certains secteurs stratégiques où elle peut exceller. En second lieu, le think tank aura à travailler pour faire le point sur l'état des lieux des entreprises algériennes, en commençant par le secteur privé, car les informations sur ce dernier sont mal documentées. Quelle est sa situation en termes de création de richesses, d'exportation, de création d'emplois, etc. ? Dès lors que l'on comprenne son dynamisme, son poids et son apport à l'économie, les regards sur la pertinence de son renforcement peuvent changer. Le secteur informel, pourvoyeur de problèmes, mais aussi de possibilités d'intégration à la sphère formelle est à disséquer plus finement pour mieux comprendre sa logique, ses incitations et sous quelles conditions il peut être progressivement absorbé et réduit à une taille économiquement acceptable. En troisième lieu, l'environnement de l'entreprise doit être examiné sous microscope pour comprendre, restituer les rôles des acteurs et des enjeux et clarifier les alternatives d'actions. Cet aspect est le plus analysé et décrié par les opérateurs économiques privés et publics. Nous avons beaucoup de diagnostics sur les comportements des acteurs externes et souvent les difficultés occasionnées à l'essor de l'entreprise algérienne. Qui n'a pas entendu la sempiternelle litanie sur les problèmes de crédit, de bureaucratie, du foncier, de la sous-qualification des ressources humaines, de l'absence de concertation et le reste. Tous ces tracas sont réels et gênent le développement de nos entreprises performantes. Il s'agit d'en scruter en profondeur les causes essentielles et sortir du simple constat. Les différents acteurs ont leur propre logique qu'il s'agit de décortiquer, d'en comprendre la dynamique pour évaluer les stratégies disponibles. Un simple inventaire de situation est un bon début, mais il est trop insuffisant pour formuler des alternatives crédibles, faisables et capables d'endiguer en profondeur les difficultés recensées. Dans ce domaine, des travaux de “benchmarking” sont indispensables. Durant une longue période nécessaire à la constitution d'une économie de marché hors hydrocarbures, les pouvoirs publics, pour accélérer ce processus, doivent mettre l'entreprise algérienne au centre de leurs préoccupations. Ils doivent l'aider à créer des avantages compétitifs en agissant entre autres sur les systèmes de taxation, sur les accès au terrain et aux crédits, et tenter ainsi de réduire les impacts négatifs des difficultés qui freinent son développement (ressources humaines, hyper bureaucratisation). Cependant, très peu de rencontres sont consacrées aux modes de management interne de nos entreprises alors que cette dimension est aussi vitale que les aspects externes. Différents écrits et discours essayent d'introduire des complexes vis-à-vis du management et des managers étrangers. L'examen approfondi des pratiques des bonnes entreprises peuvent contribuer à détruire le mythe selon lequel il serait impossible à l'entreprise algérienne d'accéder au rang des firmes de classe mondiale. Mais le chemin à parcourir demeure long et difficile. Les embûches sont nombreuses. À cet égard, le think tank a un défi formidable en face de lui. Il s'agit d'identifier les meilleures pratiques mondiales transférables au sein de nos entreprises et de nos institutions dont la mission est de les appuyer. Il est heureux de constater que de nombreuses méthodes peuvent être calquées moyennant des modifications mineures ; d'autres, par chance peu nombreuses, ne pourront pas être dupliquées. Pour les entreprises suffisamment mûres et à la pointe du progrès managérial, le think tank peut faire plus. Il peut aider à identifier les différentes facettes positives de notre culture afin d'adapter le mode managérial de nos entreprises. La dernière étude approfondie sur cet aspect date du milieu des années quatre-vingt-dix. Il s'agit d'aider nos entreprises fortes à progresser et possiblement rejoindre le gotha de l'élite mondiale. Il a un rôle à jouer en termes d'éclairage pour aider à concevoir des pratiques de management stratégique et opérationnel. Evidemment, il ne décide en rien. Il propose seulement des alternatives d'action avec leurs avantages et faiblesses. Mais ce sont les managers responsables qui font des choix. Il fournit les données, les analyses, les outils et laisse les gestionnaires mieux armés pour effectuer des choix d'optimisation. Par ailleurs, nos entreprises contemplent également deux volets importants dans leurs stratégies de collaboration et de partenariat aussi bien interne qu'avec des entreprises internationales. Là également, il est nécessaire de disposer d'éclairages suffisant pour effectuer des choix. Par sa mission, le think tank aura à développer, à simplifier et à mettre à disposition des managers et des pouvoirs publics les meilleures pratiques de partenariat, de transfert de technologie, de management et d'amélioration de l'environnement des affaires. La collaboration inter-entreprises dans notre pays est tellement pauvre qu'elle nous met en situation de compétitivité très faible. Cet agenda n'est pas clos. On n'aura jamais épuisé les thèmes qui intéressent nos managers et nos décideurs publics dont la mission est de les assister à améliorer leurs performances. Des situations de crise peuvent orienter les travaux sur les voies et moyens de résister aux chocs négatifs externes. Des secteurs entiers en difficulté peuvent induire des travaux sur le redressement ou la reconversion des entreprises ou des secteurs. Le think tank a déjà tracé des lignes directrices et des priorités pour ses activités. Mais il demeure à l'écoute et en situation de veille pour ajuster sa démarche et ses priorités. Cependant, l'institution “think tank” ne peut devenir crédible qu'en lui donnant un certain nombre de caractéristiques. La qualité et la scientificité de ses travaux constituent les deux gages majeurs de son sérieux et de sa rigueur, tant aux yeux des pouvoirs publics que des managers. Par ailleurs, son indépendance de pensée et d'agir ainsi que sa transparence complètent en grande partie les dispositions qui lui confèrent un grand respect et une notoriété incontestable, sans lesquels ses analyses et ses activités seraient d'une portée limitée. A. L. (*) Docteur en gestion des entreprises