La rareté de ce produit-phare de l'artisanat a contraint des centaines de bijoutiers à mettre la clé sous le paillasson. Des milliers d'emplois se perdent chaque année à cause de ce trafic qui bénéficie aux réseaux transfrontaliers basés notamment en Tunisie, en Italie et en France. Le constat est amer : le corail algérien, une richesse estimée à près de 200 000 tonnes, dont un peu plus de 48% du corail rouge mondial produit chez nous, se meurt. À petit feu. Sous les eaux troubles où sévissent des pilleurs sans scrupules qui bradent cette fortune à valeur ajoutée à 800 et 1 500 euros le kilo (selon la qualité et la provenance) et à 15 000 euros la pièce de corail avec la branche, sauvagement arraché, sur le marché noir. Chaque année, estime-t-on, près de 2 000 kilos et des dizaines de pièces en branches sont frauduleusement exportés vers la Tunisie, puis l'Italie, avant qu'ils ne soient mis en vente dans les quartiers huppés des capitales européennes. Et chaque année, ce sont 250 à 300 personnes qui sont arrêtées, présentées devant les tribunaux et écrouées pour cette activité prohibée, notamment à l'est du pays, où ce créneau est essentiellement basé. Ce trafic, qui s'amplifie davantage, n'est pas sans conséquence sur l'économie algérienne, surtout sur l'activité artisanale qui subit un manque à gagner criant sous le coup d'un “commerce” qui dépasse nos frontières. Les dernières statistiques rendues publiques par les services de sécurité, notamment par la Gendarmerie nationale qui communique au quotidien les saisies et les affaires liées à ce double crime économique et écologique, font état de l'existence de grandes complicités au niveau des villes côtières où le trafic de corail fait l'objet d'un braconnage sans limites. Pourtant, en 1998, l'Algérie a décidé d'interdire l'extraction du corail et, du coup, la préservation de cette richesse. Une interdiction qui entrera en vigueur dès février 2000. Cette mesure n'a jamais été du goût d'une mafia qui continue à dévaster ce patrimoine pour le mettre à la disposition des réseaux aux ramifications assez complexes. Parfois, les trafiquants bradent le corail sur le sol algérien à 70 000 et 80 000 DA le kilo avant qu'il ne soit revalorisé une fois arrivé à destination. Très développée, la filière tunisienne est connue pour la transformation de cette matière première en produits semi-finis qu'elle exporte en Italie à raison de 1 500 dinars tunisiens. Sérieusement menacée, cette ressource est mise en veille sous prétexte de lui donner le temps pour se régénérer. Entre-temps, les réseaux de pilleurs poursuivent leur sale besogne et exposent les pépinières corallifères à une pêche agressive et ravageuse. Parallèlement, les bijoutiers algériens trinquent et recourent au marché informel pour s'approvisionner. Ont-ils un autre choix dès que la pêche du corail a été interdite pour une période de… 15 ans ? Au fait, ce trafic possède ses filons internes chargés de spéculer sur le prix du corail destiné aux produits artisanaux et aux bijouteries. Cédé à des prix astronomiques que les budgets des commerçants locaux ne supportent pas, le produit est alors détourné par les filières externes qui mettent le prix, sachant que le corail algérien est très prisé pour sa qualité. Quand bien même il y aurait disponibilité, nos bijoutiers et autres artisans ont souvent droit à un corail de très mauvaise qualité (10 000 DA le kilo !). Ce qui se répercute inéluctablement sur leur activité et, du coup, sur leur réputation. Le corail algérien fait également le bonheur des contrebandiers en contact avec les fabricants de matériel médical, comme les prothèses, d'où la prolifération d'embarcations sauvages qui mettent le paquet pour se servir sauvagement, au grand dam des législations en vigueur, et servir les clients étrangers, “clés en main”. Il faut noter que ce trafic génère, annuellement, un gain brut de 30 à 50 milliards aux braconniers. Depuis le renforcement des dispositifs de contrôle et de surveillance aux frontalières terrestres, les fournisseurs recourent à d'autres voies d'acheminement. D'où l'approvisionnement de certains pays européens à partir du Maroc où le corail algérien est également transformé par des ciseleurs pour le brader en Europe.