La peinture de Hakkar se veut un hymne à la femme algérienne et à notre culture ancestrale. Dans les années 1970, elle était semi-figurative avec un penchant pour le symbolisme avec le thème récurrent de visages vus de face et de composition symétrique. Le dessin est donc sommaire et s'apparente presque à la technique de l'affiche, mais l'artiste possède déjà les techniques qui lui permettent de jouer sur la richesse et les vibrations de la couleur. Un des tableaux de l'époque représente des visages entourés de pigeons aux ailes déployées. À l'Ecole des beaux-arts d'Alger, Hakkar a étudié chez Mesli mais c'est à Issiakhem qu'il doit son attachement à la figure humaine qui devient son sujet fondamental à partir des années 1980, lorsqu'il commence à peindre des personnages seuls ou en groupe fondus dans un tissage de signes. L'enchevêtrement de la figure et du signe sera la caractéristique essentielle de l'œuvre de Hakkar, comme chez Issiakhem, mais là s'arrêtent les similitudes entre ces deux artistes et c'est ce qui permet à Hakkar de se tailler une personnalité qui lui est propre. Issiakhem s'intéresse surtout aux veuves, aux mendiants, aux damnés de la terre alors que Hakkar traite davantage de la culture nationale et de ses richesses. Il aborde aussi les questions ayant trait au social, à l'humain et à l'être sur le plan ontologique. La condition et la sensibilité humaines, il les aborde essentiellement à travers la femme dans son rapport à l'amour et son rapport à l'homme, alors qu'Issiakhem les aborde à travers des problèmes plus matériels qu'existentiels. Hakkar exprime l'humain dans ses sentiments et sa sensibilité, dans ses rapports sociaux et dans ses relations intimes, d'amour et d'amitié. La souffrance qu'il aborde est celle des peines psychiques et psychologiques, celle issue de fléaux de la jeunesse mais il n'y a chez lui aucune dramatisation, aucune recherche du tragique, contrairement à Issiakhem. Avant les années 1990, toute sa peinture tournait autour de la culture et de la femme, les thèmes sociaux ne l'ayant intégrés que lorsque le pays a plongé dans le drame terroriste et que les problèmes sécuritaires, économiques et sociaux sont devenus préoccupants. Hakkar aime les ocres mais il ne renie aucune gamme, trouvant dans les verts cette douceur et cette fraîcheur qu'incarne la terre des Aurès où l'olivier couronne les champs de blé qui s'étalent à perte de vue. Il restitue les bleus azurés de la Méditerranée ainsi que les vibrations du ciel qui l'illumine. Il trouve dans les jaunes et les rouges la chaleur solaire qui habite aussi le cœur des hommes, ceux qui perpétuent les traditions et les valeurs des aïeux et leur humanisme séculaire. Les violets et les mauves sont également présents, surgis peut-être de l'observation d'un crépuscule sur le mont Chélia ou de quelques reflets sur les blés des plaines. Peu importe s'ils ont été inspirés par quelque paysage de Khenchela ou de Biskra, ou par une haie de bougainvillées de Sidi Bou Saïd, où l'auteur a vécu durant près de dix années. Donnée fondamentale de l'œuvre, la couleur renvoie à la culture autant qu'à la nature et aux paysages algériens. Hakkar ne traite pas directement de la nature mais sa peinture est substantiellement nourrie de paysages ; en tout cas sa palette est l'expression d'une connaissance intime de la nature. Sans une connaissance intime de la nature peut-on vraiment peindre ? Une peinture nourrie de nature et de culture Une peinture nourrie de la terre du pays, de son eau, de son air, de ses épines et de ses rayons torrides ne peut être que généreuse, riche et exigeante. Tout en s'inspirant des formes et des couleurs de la nature, cette peinture n'y renvoie pourtant pas directement car là n'est pas son sujet. Son sujet est l'homme, pris individuellement ou dans la société où il vit ; l'homme que la peinture algérienne tente – depuis Issiakhem – de cerner dans sa vie et son quotidien pour capter les drames multiples qui l'assaillent et le taraudent. Ajouté au drame économique, il y a le drame moral et existentiel d'une société dont les valeurs anciennes et protectrices ne cessent de s'éroder, la mettant en déphasage, un peu sur la marge de l'histoire. Il y a quelque chose de hagard et de perdu dans le regard des personnages de Hakkar, esseulés ou en groupe, silhouettes bariolées de signes qui avancent ou cherchant à avancer, à s'imposer face au destin et à quelque chose qui semble faire barrière devant eux. Le destin de l'Algérien semble biffé, à cause de ces erreurs et ces opportunités ratées ; mais sur ce chemin de croix, Hakkar met toujours un soleil qui brille, une fenêtre ouverte sur l'espoir. La colère fuse dans l'œuvre dès son esquisse, mais elle est vite apaisée par un appel d'optimisme. Tout en abordant des sujets graves, Hakkar cherche aussi la délectation en art : il ne tombe jamais dans la dramatisation, le cri ou le pathos. Du passé, il dit les guerres, le drame colonial, l'explosion atomique de Reggane. Du présent, il n'oublie pas ses inquiétudes, ses peurs et l'anarchie qui règne dans notre environnement, cet oppressant désordre, cet immense gaspillage de temps et d'énergie, ceux d'une jeunesse qui a perdu nombre de ses repères. Tout ce chaos est jeté en vrac dans l'œuvre, d'un coup, avant d'être tempéré, neutralisé par la couleur et ses douceurs pleines de subtilités. Peuplée d'hommes, de femmes et d'enfants, la peinture de Hakkar dit aussi la banalité du quotidien où l'on vaque à ses occupations, joue au ballon, élève un enfant, ou se repose à l'ombre d'un figuier... Les personnages s'enchevêtrant toujours dans des signes et des motifs qui les rendent indissociables de leur passé et de leur présent, mais ici la revendication identitaire n'est jamais tapageuse, ni exclusive de telle ou telle composante du patrimoine global, arabe, berbère ou moderne soit-elle. Dense, épaisse, riche en matière, la peinture de Hakkar est travaillée avec une pâte épaisse labourée avec un peigne, un racloir, le bout d'un pinceau. Les techniques de grattage et d'empâtement sont caractéristiques des peintres expressionnistes. Exigent sur le plan de la forme comme sur le plan technique, Hakkar ne s'enferme pas dans le signe même s'il le chante, il ne s'enferme pas dans un style même s'il lui est facile d'en trouver un. Dans certaines œuvres, le personnage se tient au centre de l'œuvre, semblable à une imposante figure emblématique. Parfois c'est une Chaouia tatouée qui se dresse comme un totem cerné de codex témoins de temps immémoriaux : alors elle symbolise toutes les mères qui ont eu à lutter pour survivre et élever leurs enfants, comme elle peut renvoyer à nos plus grands symboles féminins, de la Kahina à Djamila Bouhired. La femme que peint Hakkar n'est pas une icône sans racines ni une femme-objet des temps modernes mais une entité humaine chargée d'histoire et de culture. Elle renvoie avec force à notre histoire comme elle témoigne de la richesse et la profondeur de notre culture dont les origines et les symboles se sont perpétués jusqu'à ce jour, preuve de la pérennité de leur sens et de leur beauté. C'est parce que ces motifs berbères sont encore signifiants et chargés que Hakkar les utilise dans ses œuvres, comme une matière vivante qui restitue les strates du passé. La matière ici renvoie aussi à la terre travaillée par l'érosion et par l'aridité, elle renvoie aux craquelures du temps et aux fissures des mauvais jours, tout en évoquant la rugosité de l'écorce d'un chêne, la douceur d'une terre arable ou les aspérités d'un bloc de grès... Elle renvoie à nos plaines fertiles mais aussi aux plateaux stériles où les hommes triment du matin au soir pour en arracher l'épi qui calme la faim. Comme Issiakhem, Hakkar triture sa toile ou son papier, les chargeant d'aspérités, d'accidents et de griffures, qui renvoient à l'humain, à la culture et à la nature. Dans un monde où tout s'abîme, des femmes et des hommes s'accrochent à leur terre et à leur culture. Dans un monde où la notion de temps a été remplacée par celle de vitesse, de célérité et d'efficacité, Hakkar nous restitue des images sécurisantes de notre passé, espérant en perpétuer les valeurs pérennes, celles de l'Homme tel qu'on souhaite qu'il demeure, pas ce clone siliconé qui se profile à l'horizon et dont la silhouette nous effraie déjà. S'accrocher à l'Homme permet de résister au mutant cybernétique qui surgit d'en face. Voilà aussi le sens de cette peinture qui présente des hommes à l'œuvre et des hommes tristes mais jamais brisés, qui présente des femmes tatouées qui ne renvoient point à des archaïsmes ni à des fondamentalismes mais aux traditions d'une culture ancienne dans ce qu'elle a d'utile et de beau. Ici, la modernité est une revendication du passé comme source d'enrichissement. A. E. T. Exposition au Musée d'art moderne et contemporain d'Alger, ex-Galeries algériennes, rue Larbi-Ben-M'Hidi, face à la Cinémathèque jusqu'au 10 février 2013. Né en 1945 à Khenchela. Etudes à l'Ecole des beaux-arts d'Alger de 1963 à 1968. Plusieurs expositions personnelles depuis 1972. Vit et travaille à Alger après avoir séjourné en Tunisie de 1993 à 2003. Œuvres au Musée national des beaux-arts d'Alger et dans plusieurs collections publiques et privées en Algérie et dans plusieurs pays.