Dans cet entretien, cet économiste aborde l'avenir du marché parallèle de la devise, la convertibilité du dinar et la problématique des transferts de capitaux vers l'Algérie. Liberté : Comment analysez-vous le marché de changes national ? Camille Sari : On assiste à une quasi- extinction du marché parallèle et une sorte d'officialisation de ce marché. On se demande dans ce contexte pourquoi les autorités n'ouvrent pas des bureaux de change. Il faut que des bureaux de change soient autorisés dans le pays, du moins dans certains endroits (hôtels…). Cela pourrait éteindre plus rapidement le marché parallèle. Actuellement, l'écart entre les taux parallèle et officiel sont faibles, quasi nuls du fait que les réserves de change de l'Algérie se situent à 80 milliards de dollars. Il n'y a pas de pénurie de devises. Les opérateurs économiques peuvent se procurer facilement les devises par le canal bancaire et financer leurs importations (convertibilité commerciale du dinar).Il faut tout de même constater des retards dans la généralisation des paiements modernes. Retirer, payer avec sa carte. Ce système reste encore difficile à mettre en œuvre Comment est déterminée la valeur du dinar ? La cotation du dinar est toujours administrée. Il n'y a pas en Algérie un marché des changes libres. Ce n'est pas la loi de l'offre et de la demande qui détermine la valeur du dinar. Le dinar n'est pas une monnaie convertible (totalement). La convertibilité totale du dinar sera réalisée lorsqu'on pourra échanger le dinar contre d'autres monnaies dans le monde. La valeur du dinar est fixée en fonction d'un panier de monnaies. La formule de ce panier est gardée secrète. Ce sont les autorités qui fixent le taux de change du dinar par rapport aux autres monnaies. Pour le dollar, l'euro, le yen et d'autres monnaies des pays développés, c'est le marché qui fixe leur valeur. Pour la plupart des pays en développement, ce sont les autorités qui fixent cette valeur suivant une formule gardée secrète. Pour le dinar, dans ce panier, la relation dollar/euro prédomine. Quand l'euro monte par rapport au dollar, le dinar se déprécie par rapport à l'euro et s'apprécie par rapport au dollar. On peut constater depuis quelques années que les taux changent entre le dinar et l'euro, le dinar et le dollar ne connaissent pas de variations importantes. L'euro est toujours entre 90 et 100 (90 dinars pour un euro). Les autorités monétaires globalement ont la main sur la situation. Le dinar avait été surévalué à une époque. Le marché parallèle n'a pas accepté cette surévaluation, d'où le développement d'un écart important entre le taux du marché parallèle et le taux officiel. Aujourd'hui, la situation est différente. Le marché parallèle va s'éteindre. À partir du moment où l'écart tombe à 23%, il n'y a aucune utilité à s'aventurer à recevoir de faux billets. Les particuliers et opérateurs se procureront les devises sur le marché bancaire. La difficulté d'obtenir des visas fait qu'il y a moins de candidats à l'émigration. La demande diminue en défaveur du marché parallèle. Par ailleurs, un autre facteur pousse à l'extinction du marché parallèle : la libéralisation du commerce extérieur. On a un excédent des réserves en devises importantes. Les opérateurs cherchent directement des devises sur le marché officiel. Ce processus d'extinction du marché parallèle sera favorisé par la suppression des entraves aux échanges extérieurs : diminuer les taxes douanières, pour dissuader les mouvements frauduleux transfrontaliers, instituer des tarifs douaniers préférentiels au niveau maghrébin à l'instar des autres pôles économiques régionaux (Union européenne, Mercosur, Alena…) Faut-il revoir à la hausse la valeur du dinar, compte tenu de la bonne santé financière actuelle du pays ? La surévaluation du dinar a diminué le coût des importations. Dans le cas de l'Algérie, cela peut pénaliser les exportations hors hydrocarbures… Comment soutenir un dinar fort ? Il faut développer d'autres ressources génératrices de devises comme le tourisme. L'Algérie a un potentiel dans ce domaine. Il s'agit de développer des zones touristiques sur toute la côte en partenariat avec des chaînes internationales pour drainer un flux de touristes plus important. Il s'agit également d'installer des banques algériennes à l'étranger, en particulier en France pour capter l'argent des émigrés. La communauté marocaine basée en Europe, elle, transfère 35 milliards de dollars vers le Maroc. On peut estimer qu'il y a un potentiel équivalent concernant la communauté algérienne établie sur le Vieux Continent. Les banques marocaines pour encourager les transferts ont accordé jusqu'à 12% de taux d'intérêt. Il faut appliquer des bonus pour que les ressortissants nationaux transfèrent leur argent vers l'Algérie, leur donner la possibilité d'acquérir des biens immobiliers en Algérie, en les accompagnant s'il le faut financièrement. Les banques marocaines ont établi des succursales en Europe en partenariat avec des banques françaises. Cela facilite les transferts. L'Algérie peut drainer 40 milliards de dollars correspondant aux transferts de la communauté algérienne basée en Europe pour peu qu'une politique d'accompagnement soit mise en place. N. R.