« Ah, être tunisien aujourd'hui ! Car c'est le seul moyen de se sentir algérien en fin de compte. Et si le chroniqueur a toujours évité de parler à la première personne, aujourd'hui, je le fais : j'en rêve. Allumer la télé et voir le président du moment balbutiant des excuses, cherchant le compromis comme une souris dans une mâchoire de dinosaure, proposer la liberté de la presse, d'Internet, de se rassembler, de parler, de disposer de son propre pays. Larguant épouse et proches corrompus, jetant par la fenêtre son ministre de l'Intérieur favori. Ecouter un président répéter «je vous ai compris (Ô la rime gaulliste !), je m'étais trompé, on m'a induit en erreur». Voir le Zinochet de chaque pays «arabe» expliquer qu'il ne va pas se présenter aux prochaines, ni lui, ni son frère, ni sa femme, ni son beau-frère, ni son Premier ministre, tout en préparant un avion privé vers les émirats pour s'y cacher en cas où. J'en rêve oui : voir le pays entier prendre ses chaussures, sortir au matin et se diriger vers la capitale pour lui exiger de choisir un époux et un seul : le Zinochet du moment ou le peuple de toujours. Car ce qui se passe en Tunisie fait rêver partout dans le monde «arabe». On peut jurer que hier, les quarante voleurs dictateurs du monde arabe (si on compte les rois, présidents, leurs épouses, fils ou frères) ont mal dormi, ont passé la nuit à surveiller la rue par la fenêtre du palais, à téléphoner et à sursauter au moindre bruit d'assiette dans les cuisines : un peuple s'est éveillé, un Zinochet s'est excusé, l'effet dominos est possible. Car au fait, les Tunisiens sont partout, bien qu'on essaye de les réduire à des intestins, de la semoule et du sucre. Comme les Algériens, les Marocains, les Libyens ou les Jordaniens ou les Egyptiens. Tous subissent le même sort, le même dictateur, les mêmes fils ou parents de dictateurs et les mêmes discours et les mêmes polices. Les Tunisiens, ce peuple que nous enfermons dans le souvenir des films de l'inspecteur Tahar et dans le préjugé d'un voisin qui vole nos dattes, vient de prouver, après des décennies de soumission, que la dictature ne gagne pas. Même si elle dure deux siècles : il faut une armée pour qu'un Zinochet se maintienne au Pouvoir, une simple gifle peut réveiller un peuple. C'est vous dire qu'il n'y a qu'un seul moyen de changer de pays : il faut se réapproprier le sien propre. Entièrement et par le muscle et la mobilisation. La mort et l'abnégation. Je rêve donc d'être tunisien, chez moi, dans ma rue, avec mon pays derrière le dos et les quarante voleurs en face de moi et de les encercler et de les obliger de baisser les prix, puis les yeux, puis la tête, puis les bras puis et de les entendre me dire qu'il vont partir, redonner le pays à ses martyrs et me laisser moi et mes enfants vivre ici, même si je dois manger mes chaussures en guise de repas et mes ancêtres pour recharger mon courage. J'en rêve. C'est la meilleure formule offerte par la Tunisie depuis des décennies : révolte quatre étoiles, marches et matraques comprises, pour sept jours et une nuit. A la fin, on vous offre un Zinochet en coton. J'en rêve : être tunisien en Algérie !»