Le nombre des affaires contentieuses civiles, commerciales, foncières ou sociales ainsi que celui des poursuites pénales, qui sont enregistrées annuellement par nos juridictions, semble avoir atteint ces dernières années des seuils insupportables. Les cours et tribunaux sont, en effet, pour la plupart encombrés de dossiers et leurs magistrats soumis à des cadences de travail « stakhanovistes », qui privilégient le rendement quantitatif au détriment de la qualité, nuisent à la sérénité des audiences, perturbent les débats et pour finir usent les magistrats. Cette situation que personne désormais n'ignore est régulièrement et publiquement dénoncée, souvent sans ambages par les avocats et parfois aussi par de hauts magistrats mais de manière voilée, devoir de réserve oblige. La presse qu'un tel phénomène de société ne laisse pas indifférente aborde assez régulièrement la question. De 2001 à 2005, le nombre des affaires pénales inscrites et celui des affaires jugées par les cours et tribunaux se sont élevés à : en 2001 : 1 072 517 affaires inscrites et 938 367 affaires jugées ; en 2005 : 1 489 193 affaires inscrites et 1 323 037 affaires jugées. Le volume des affaires pénales a donc augmenté de 39 à 42% en l'espace de cinq années. Cette augmentation est très importante et rien ne permet de dire que la progression se ralentira rapidement ni que les chiffres se stabiliseront dans un proche avenir à des niveaux raisonnables. Au pénal en tout cas, il est probable que le « volume des affaires » va suivre la courbe démographique et celle des indicateurs sociaux relatifs au chômage, au pouvoir d'achat... « La courbe de la délinquance suit celle de la misère », avait observé un célèbre écrivain du XIXe siècle, sa remarque reste d'une terrible d'actualité. On sait en tout cas que certains de nos tribunaux affichaient pour l'année 2005 des chiffres qu'on peut qualifier de records, parmi ceux qui sont surchargés de dossiers pénaux affaires délictuelles et contraventionnelles nouvelles inscrites, qui sont donc venues s'ajouter au reliquat des années précédentes on citera pour illustrer notre propos, les douze suivants En nous basant sur les données statistiques du tableau ci-dessus et sachant que le nombre « maximum » des journées travaillées annuellement est généralement de 220 (ainsi calculées : 365 jours moins les 8 jours de repos hebdomadaire par mois, moins 30 jours de congé annuel, moins 10 à 12 jours fériés et chômés, moins les congés de maladie, maternité et autres...), on estime qu'il faudrait pour que le tribunal d'Oran puisse « évacuer », comme on dit, ces affaires pénales nouvelles, qu'il rende au cours de l'année pas moins de 105 jugements par jour et par conséquent tenir 8 audiences pénales par mois, en jugeant à chaque audience environ 300 affaires. Ce qui relève à l'évidence de l'impossible, sauf toutefois si l'on prend quelques mesures aussi radicales qu'exceptionnelles, comme par exemple : créer dans la commune d'Oran un autre tribunal, démultiplier dans l'un et dans l'autre le nombre des sections pénales et doubler, voire tripler, le nombre des magistrats et celui des greffiers. Si cela est facile à dire, cela n'est pas aisé à concrétiser : on ne construit pas un tribunal d'un coup de baguette magique et on ne « fabrique » pas des juges et des greffiers comme on fait des petits pains. Il faut aussi rappeler que ce tribunal d'Oran, que l'on cite ici simplement à titre d'exemple, ne fait pas que du pénal, comme tous les autres tribunaux, il a son « stock » d'affaires civiles, commerciales, sociales et de statut personnel que viennent grossir chaque année les affaires nouvelles. Comment réguler ces flux contentieux, la question devient lancinante… Or, il existe des moyens de réguler « en amont » le flux des dossiers pénaux. Ces moyens sont financièrement peu onéreux à mettre en œuvre, ils sont moins exigeants en termes de ressources humaines à mobiliser, ils permettent sans sacrifier l'action publique d'éviter l'encombrement des tribunaux et faire retrouver aux audiences délictuelles et contraventionnelles la sérénité qui leur sied. On sait en effet que le justiciable, cité à comparaître « à 8 h30 » comme prévenu ou en tant que pîartie civile, ou simplement comme témoin, peut se retrouver encore dans la salle d'audience à 16 h ou 17 h, tant le nombre des affaires enrôlées pour chaque audience est élevé ! L'on imagine très facilement, après tant d'heures passées à attendre leur tour, l'anxiété des justiciables convoqués, mais aussi la tension des magistrats qui « tiennent l'audieînce » et l'énervement des avocats venus « assister » leurs clients. Ces procédures plus connues en matière civile et commerciale sous le nom de « modes alternatifs de règlement des litiges » sont en matière pénale appelée « procédures alternatives aux poursuites ». Comme toute autre innovation, elles ont bien entendu leurs détracteurs et ont provoqué ici et là les habituelles protestations des « droit-de-l'hommistes ». Elles ont cependant prouvé leur efficacité partout où elles ont été mises en pratique ; au demeurant, il se trouve que parmi les pays qui y recourent, il y en a beaucoup qui sont des exemples de démocratie, de bonne gouvernance et de respect des droits de l'homme. Parmi ces procédures dites alternatives, la plus connue est « le plaider coupable » du droit américain. Beaucoup de législations européennes s'en sont inspirées. Chaque pays l'a adopté en fonction de ses contraintes, de ses objectifs, de ses traditions et selon les modalités qu'il estimait lui convenir le mieux. L'équivalent du « plaider coupable » américain, s'appelle en France la « comparution sur reconnaissance préalable de responsabilité », en Espagne le « jugement de conformité », en Italie « l'application de la peine sur requête des parties » et au Portugal la « confession ». En ce qui nous concerne, ce qu'il faut d'emblée noter c'est que l'introduction dans notre législation de ces alternatives aux poursuites pénales ne sera pas à vrai dire une véritable innovation. Il convient, en effet, de rappeler qu'il existe d'ores et déjà en droit algérien deux procédures qui participent du même esprit ; il s'agit de « l'amende de composition » que le parquet peut proposer aux contrevenants pour leur éviter des poursuites devant le tribunal et de « l'amende forfaitaire » que les services de police et de gendarmerie pratiquent, comme chacun sait, quotidiennement en matière de contraventions au code de la route (articles 381 et suivants du code de procédure pénale). Il faut rappeler qu'il existe, s'agissant de la délinquance juvénile, une procédure dite de « l'admonestation » – qui fait sourire les sceptiques et hocher la tête aux désabusés – mais que nos juges des mineurs utilisent sans problèmes particuliers ; l'admonestation n'est pas au fond très éloignée de ce que certaines législations ont prévu pour les délinquants majeurs, sous le nom de « rappel à la loi ». La palette des mesures alternatives aux poursuites classiques devant les tribunaux est en réalité très variée. Certaines peuvent être initiées et menées « de bout en bout » par les magistrats du ministère public ; cela pourrait concerner les infractions de moindre gravité. Les autres, que seul le ministère public initierait, seraient toutefois soumises au contrôle d'un magistrat du siège ; la décision de condamnation ne devrait avoir force exécutoire que s'il donne son aval. Mais dans tous les cas, il sera loisible aux délinquants concernés par ces procédures de se faire assister durant toute la procédure par l'avocat de leur choix. On conclura cette modeste réflexion sur les voies et moyens modernes d'alléger la charge des juges du premier degré et par voie de conséquence diminuer la masse des appels et des pourvois en cassation, en notant que ces alternatives peuvent aussi contribuer à ralentir, d'une certaine façon, l'ascension de la courbe représentant l'évolution de la population carcérale. Pour toutes ces raisons, l'enjeu en vaut la peine, me semble-t-il. L'auteur est ancien magistrat