Rose, 7 centimètres sur 10, à valeur égale à la pièce d'identité nationale, le permis de conduire fait davantage office d'acte de décès que de permis pour la liberté. Son rose vire au rouge car entaché de sang. La date de naissance fait écho à la date de décès et la photo que l'on a prise en souriant est supplantée par les clichés de la morgue. Un petit bout de papier que l'on s'empresse de plastifier pour qu'il dure plus longtemps... Sa durée de vie : 10 ans. Celle d'un conducteur ? Moins longue que celle du permis de conduire. L'irrespect du code de la route, routes dégradées, incivisme des piétons... Autant de facteurs qui tentent, à leur mesure, de donner un sens au nombre exceptionnel de morts sur nos routes. Mais comme pour un enfant grossier qu'on accuse d'avoir été mal éduqué, on soupçonne le conducteur d'avoir été mal formé. Pire, on sait qu'il n'a bénéficié d'aucune formation, l'argent a suffi à effacer toutes ses heures obligatoires d'apprentissage. Et voilà que le bout de papier rose « concubine » sauvagement avec les gros papiers marron. Ces hideux billets de banque qui, à défaut de transporter les milliers de microbes des différents utilisateurs, contaminent la chaîne impressionnante de candidats à la corruption. L'auto-école propose « ses services » pour 7500 dinars en moyenne. Pour 1000 dinars de plus, on obtient le permis sans coup férir, sans sueur sur le front. Ces mille dinars transiteront, le temps d'un voyage, dans les poches du directeur de l'auto-école pour passer dans celles de l'examinateur. Les mille dinars ne suffiront même pas à honorer les futurs frais d'enterrement du nouveau conducteur. La boucle est bouclée. En langage courant, on parle de bakchich, en droit de pot-de vin, en économie de flux de capitaux. Les examinateurs exigeront de ne pas les mettre tous dans le même panier, les directeurs d'auto-école pesteront de n'avoir été que de simples intermédiaires et les candidats prétendront être les victimes du système. Les victimes, les vraies, au nombre de 3205 pour la seule période de janvier à septembre, ne sont plus là pour témoigner du pouvoir du petit papier rose et de ses copains les billets de banque.