« L'homme-narcisse, en voulant faire le monde à son image, est amené non seulement à détruire les autres, mais également à se perdre, fasciné qu'il est par lui-même. » Eugène Enriquez Ces derniers temps, les hommes au pouvoir ne semblent plus préoccupés par le destin de la nation. L'échec magistral auquel ils sont confrontés n'a pas été suffisamment puissant pour les convaincre à plus d'humilité. Seul leur désir de persistance a fini par leur dicter un lifting constitutionnel pour le moins scandaleux sous d'autres cieux. Pourtant, il ne s'agit pas de faire ici le menu des déboires du pouvoir ni de faire son procès. Cela est fait quotidiennement, à juste titre, par la presse, par des intellectuels et par des hommes politiques de tout bord. Il n'y a plus grand-chose à dire là-dessus, sinon d'inutiles redites. Il s'agit plutôt maintenant de se demander pourquoi notre société sécrète-t-elle ces valeurs qui font que le statut du « zaïm » à vie soit à ce point désiré par le chef et par tous les prétendants potentiels. L'image majestueuse du guide vénéré est trop prégnante dans l'inconscient collectif ; elle piège l'ego et le sublime s'il la réalise et ce, au détriment de tout autre considération. Là où il est, l'Algérien veut être chef absolu et le rester jusqu'à la fin de ses jours. Aujourd'hui, avec le dernier amendement constitutionnel, nous n'assistons probablement pas tant à une fracture entre une majorité d'un peuple qui aurait souhaité l'alternance et un pouvoir décidé à s'éterniser qu'à un choc entre une nouvelle et frêle idée de démocratie portée par une élite esseulée et une mentalité ancienne bien ancrée dans les profondeurs de la société. Il faut dire que notre société aime tellement les prophètes que les faux y sont légion, qu'elle aime tellement la force qu'elle est souvent liberticide, qu'elle aime tellement la ruse que le droit n'est plus qu'un épouvantail. A contrario, notre société a tellement peur de l'innovation que sa foi en est devenue intolérante, elle a tellement peur de l'avenir qu'elle se complaît dans l'opportunisme, elle a tellement peur de l'insécurité qu'elle se réfugie dans l'immobilisme, elle a tellement peur de l'inconnu qu'elle préfère la superstition aux vraies questions. Si notre inconscient collectif avait honoré la science, l'écriture ou l'esprit d'entreprise, les Algériens auraient mis leur énergie à devenir des hommes de science, des écrivains ou de vrais entrepreneurs. Pour le moment, la réalité démontre que notre idéal collectif a été façonné autrement. C'est la société qui éduque l'individu dans le culte de ses valeurs même si, hélas, elles ne sont plus d'actualité dans le monde et surtout ne peuvent nous conduire au développement. Chez nous, rien ne semble plus légitime que d'être au pouvoir et de faire ce qu'il faut pour y rester. De ce point de vue, le président de la République est en plein accord avec l'esprit général sinon de la nation, du moins de sa génération. Comme le sont d'ailleurs la plupart des leaders politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition. C'est là que gît le mal. Et c'est de là qu'il faut l'en extirper si l'on veut une Algérie nouvelle. Max Planck disait qu'« une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convainquant les opposants et en leur faisant entrevoir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants mourront un jour et qu'une nouvelle génération, familiarisée avec elle, apparaîtra ». Peut-être que l'idée de démocratie trouvera son chemin avec une nouvelle génération. Encore qu'il lui faudrait engendrer une classe politique à la hauteur de ce défi. Vaste programme ! L'auteur est : Ancien responsable du PRA