Le ministère de la Culture a, selon des sources informées, refusé de délivrer le visa de distribution à ce livre. L'éditeur et distributeur Edif 2000, qui a déjà importé par le passé des romans de Boualem Sansal dont l'avant-dernier Harraga, ne peut plus, faute de cette autorisation, mettre en vente Poste restante : Alger. Le ministère de la Culture n'a pas motivé sa décision. Il est d'usage en Algérie que l'interdit ne soit pas porté par écrit. Un éditeur nous a certifié, hier, qu'aucune publication ne peut être en circulation en Algérie sans «le visa» du ministère de la Culture et nous a confirmé que plusieurs livres ont été interdits par le passé sans que l'opinion publique ne soit mise au courant. Contacté, Boualem Sansal s'est déclaré surpris. «Il n'y a rien de choquant dans ce livre. Je m'adresse à mes compatriotes avec mes états d'âme d'Algérien. Il n'y a aucune attaque contre qui que ce soit», nous a-t-il dit. L'auteur semblait ne pas trouver ses mots pour expliquer la censure. «Ils autorisent et interdisent comme ils veulent. Cela ne m'étonne pas», a-t-il relevé. Sur 64 pages, dans Poste restante : Alger, Boualem Sansal, qui s'est fait connaître en 1999 par le roman Le Serment des barbares qui a suscité critiques et approbations, raconte l'Algérie d'aujourd'hui autant que la France. «En France, où vivent beaucoup de nos compatriotes, les uns physiquement, les autres par le truchement de la parabole, rien ne va et tout le monde le crie à longueur de journée, à la face du monde, à commencer par la télé. Dieu, quelle misère ! Les banlieues retournées, les bagnoles incendiées, le chômage endémique, le racisme comme au bon vieux temps, le froid sibérien, les sans-abri (…), l'article 4 et ses dégâts collatéraux (…). Mon Dieu, mais dans quel pays vivent-ils ces pauvres Français ? Un pays en guerre civile, une dictature obscure, une République bananière ou préislamique ? A leur place, j'émigrerais en Algérie, il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour non-voyants», est-il écrit dans ce livre. Boualem Sansal, qui use d'un peu de cynisme et revendique une certaine violence dans ses écrits, évoque également «les constantes nationales» avec une manière, sur le fond, discutable et non consensuelle. «Le peuple algérien est arabe. Cela est vrai, mes frères, à la condition de retirer du compte les Berbères (Kabyles, Chaouis, Mozabites, Touareg, etc., soit 80% de la population) et les naturalisés de l'histoire (mozarabes, juifs, pieds-noirs, Turcs, coulouglis, Africains… soit 2 à 4%). Les 16 à 18% restants sont des Arabes, personne ne le conteste. Mais on ne peut jurer de rien, il y eut tant d'invasions, d'exodes et de retours dans ce pays, hors la couleur du ciel, rien n'est figé. Nos ancêtres les Gaulois et nos ancêtres les Arabes sont de ce mouvement incessant de l'histoire, et ça laisse des traces», est-il écrit dans ce livre-pamphlet. Livre qui, selon les critiques de la radio publique France Inter, une dénonciation virulente des mythes fondateurs de la République algérienne. «Avec colère, mais aussi avec beaucoup d'humour, il s'en prend au pouvoir comme aux islamistes, à la prétendue 'arabité” et à l'amnistie qui est censée calmer tout le monde», ont-ils observé. Les critiques littéraire de Gallimard ont estimé, eux, que Boualem Sansal a une certaine «verve rabelaisienne» et saluent sa «vitalité» dans l'écriture. Gallimard a, depuis 1999, édité cinq livres de Boualem Sansal : Le serment des barbares, L'enfant fou de l'arbre creux, Dis-moi le paradis, Harraga et Poste restante : Alger. Qui a lu le livre et qui a décidé de le censurer ? Aucune possibilité d'avoir une réponse précise. Nous avons, à plusieurs reprises, tenté de contacter Mme Zahia Yahi, directrice de cabinet de la ministre de la Culture, sans résultat. La réponse de la secrétaire était que Mme Yahi est «en réunion». Difficile de savoir donc si le ministère de la Culture a prérogative de décider de ce qui peut être lu ou pas en Algérie. Le dernier cas de censure littéraire en Algérie remonte au début des années 1990, lorsque la justice avait décidé d'interdire le pamphlet de Rachid Boudjedra, Fis de la haine, dans lequel l'auteur s'attaquait au parti islamiste, dissous en 1992. Cependant, ces derniers mois, plusieurs publications étrangères ont été interdites de vente en Algérie dont Le Monde diplomatique, l'Intelligent et l'Express. Peu de voix s'étaient élevées pour dénoncer ce retour à petits pas de la censure. «Entre les difficultés persistantes de la presse locale et les censures croissantes de la presse internationale, il devient de plus en plus difficile pour la population algérienne de s'informer correctement. Nous demandons que cette vague de répression cesse», a relevé, en 2005, Reporters sans frontières (RSF). Ingénieur de formation et diplômé en économie, Boualem Sansal, 57 ans, a enseigné à l'université et a occupé le poste de directeur au ministère de l'Industrie. Il a été prié de quitter ce poste en 2003 à cause de ses écrits jugés dérangeants.