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Le terrorisme a-t-il un fondement culturel ? (1re partie)
Publié dans El Watan le 29 - 04 - 2007

Ces images atroces ont reçu une diffusion planétaire grâce aux médias, en particulier la télévision. La deuxième série concerne l'attentat terroriste, par exemple, celui du 11 septembre 2001.
Nous avons là deux types extrêmes d'exercice de la violence qui cherchent à produire le même
effet : manifester le plus massivement possible la protestation, par la production du sacrifice suprême, avec l'espoir de toucher un ennemi ou un adversaire. Ces deux types d'acte, d'un point de vue extérieur, n'ont évidemment pas la même portée politique. L'un suscite l'admiration et la compassion universelle et produit un effet politique maximum, y compris à l'intérieur même du camp adverse, alors que l'autre limite ses effets à l'intérieur du territoire moral auquel appartient le terroriste. Ailleurs, il provoque l'indignation et le dégoût. L'acte terroriste, en effet, est un défi à des lois primordiales quasiment constitutives de la psychologie humaine. Tout d'abord, il paraît ahurissant et même aberrant sur le plan moral. Si l'acte de tuer, même justifié par de «bonnes raisons», est, en soi, punissable par tous les systèmes moraux et juridiques (1), mais reste quand même compréhensible, l'acte de tuer sans raison, plus exactement sans cause personnelle directe, par exemple de vengeance ou de haine à l'égard de la victime, demeure totalement injustifié, donc incompréhensible. C'est un acte sans motif, puisqu'aucune causalité particulière ne lie l'auteur à la victime. A ce titre, il devient gratuit, donc répugnant. Sur le plan politique, l'acte terroriste ne constitue pas simplement «un défi à la pensée politique», mais à la politique tout court. En effet, c'est un acte qui, à première vue, se retourne contre son auteur, dans la mesure où la victime qui va tomber n'est pas réellement la cible visée. Indépendamment du mauvais effet de propagande qu'il provoque contre lui-même, l'acte terroriste se trompe toujours de cible, ce qui aggrave son côté politiquement aberrant. La question fondamentale qu'il convient de poser est la suivante : y aurait-il, derrière le geste du bonze qui s'immole par le feu et celui des kamikazes qui se sacrifient et sacrifient avec eux des victimes situées en dehors du champ causal de cet exercice de la violence, un fondement culturel, le bouddhisme d'un côté, l'islam d'un autre ?
Nous savons que certains facteurs sont propices à l'acte de barbarie. L'inégalité économique intolérable, la spoliation ou l'exclusion sociale, la domination politique fortifient les ressorts psychologiques de toute forme de violence, y compris le terrorisme. Les formes de ressentiment, issues de la frustration, de l'exploitation ou de l'injustice développent à leur tour l'esprit justicier et l'instinct d'agression, la haine de l'autre et l'instinct thymotique.
Notre question est de savoir si, à côté de ces facteurs, le facteur culturel pourrait entrer en ligne de compte. Pris isolément, le facteur culturel ne peut rien expliquer. On ne peut en effet affirmer péremptoirement : telle religion, telle civilisation, telle culture est, en soi, productrice de terrorisme (2). Cette thèse n'est pas soutenable, alors même que l'on sait que les événements, les textes fondateurs ou les valeurs fondamentales de telle ou telle culture élèvent ou rabaissent à des degrés divers l'appel à la violence ou sa légitimation.
Pour nous limiter au climat monothéiste, il est évident, pour le lecteur des trois textes de l'Ancien testament, du Coran et des Evangiles, que la violence ne reçoit pas le même traitement. Elle se trouve comparativement nettement dévalorisée dans le texte évangélique. La charité, la non-violence, la miséricorde y dominent. Il serait cependant erroné de prétendre, à partir de ce simple constat, que les principes du Texte vont diriger l'histoire particulière ou que l'expérience sera l'exacte réplique du texte initiateur. Dans l'histoire, le christianisme par l'intermédiaire de l'Eglise, des Etats et des peuples qui se rattachent à son aire de civilisation, a produit autant, et certains pourront dire plus, de violence et de barbarie que les autres. Il ne peut donc y avoir de terrorisme par détermination — ou par déterminisme — culturel. Pour agir, le facteur culturel a besoin d'être «politisé», c'est-à-dire qu'il doit s'intégrer dans un contexte particulier social et historique. Tout dépend des circonstances particulières, du contexte concret de telle ou telle société. Il n'existe ni religion, ni philosophie, ni esprit civique, ni civilisation qui, par essence, serait propice au développement du terrorisme. Prenons comme exemple l'Islam. On pourrait être tenté, étant donné la corrélation actuelle évidente entre le terrorisme, en particulier le terrorisme international, et les mouvements islamistes radicaux, d'expliquer le phénomène par référence aux traits fondamentaux de caractère religieux, moral, intellectuel, propres à la civilisation islamique. Le désir absolu de Dieu, de l'éternité, de la purification morale (3), l'unicité absolue du divin dans le corpus coranique, la nature ecclésiale et «totaliste» de la communauté des croyants provoquant immanquablement la confusion des instances politiques et religieuses affirmée dès l'origine de l'Islam, du temps même du Prophète, le caractère illusoire et trompeur de la cité terrestre au regard de la seule vérité de la cité céleste, la responsabilité de l'individu, en charge de lui-même et des autres, à l'égard de Dieu, la valorisation de la violence restauratrice dans le texte coranique et dans les hadiths du Prophète, la familiarité du concept de «jihad» dans la conscience politique et religieuse du musulman, l'obligation de combattre le mal et de restaurer l'ordre divin du monde toujours menacé par les nuisances humaines de toutes sortes, l'impératif de défendre l'ouma islamique, pour la gloire de Dieu, tout cela constituerait autant de représentations, de valeurs, de réflexes mentaux et psychologiques favorables à l'exercice sans limite de la violence et de la terreur. La défense de l'Islam, au service de la gloire de Dieu, constituerait une fin suprême, justifiant tous les moyens. Tous ces arguments sont en eux-mêmes corrects mais ne permettent nullement une quelconque conclusion de principe, sur le plan pratique, comme celle qui consisterait à croire que la culture islamique est une culture de violence sans bornes. A la rigueur, on serait juste en droit d'affirmer que ces convictions fondamentales, dont certaines ne sont pas d'ailleurs scripturaires mais historiques, rendent les formes extrêmes de violence possibles ou qu'elles peuvent aisément servir à les justifier après coup. Mais on ne peut aller plus loin. (A suivre)
– Notes de renvoi :
– 1) Sur la base du principe que nul ne peut se faire justice soi-même.
– 2) C'est la thèse adoptée par la diplomatie mondiale. Elle est, par exemple, admise par la recommandation 1687 (2004), de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, entérinée par la suite par le Comité des ministres. Cette recommandation a été adoptée par l'Assemblée parlementaire, à la suite des travaux de la Commission permanente de la culture, de la science et de l'éducation (rapporteur M. Sudarenkov). Nous lisons dans cette recommandation : «L'Assemblée est résolument opposée à toute tentative de qualifier de terroriste telle culture mondiale, nationale, régionale ou locale. En même temps, dans certaines conditions, n'importe quelle société est capable de sécréter du terrorisme. L'interprétation extrémiste de certains éléments d'une culture ou d'une religion particulière, tels le martyre héroïque, le sacrifice, l'apocalypse ou la guerre sainte, ainsi que les idéologies laïques (nationalistes et révolutionnaires) peuvent aussi être invoquées pour justifier des actes terroristes.»
– 3) Coran, Sourate III, verset 169.
L'auteur est Professeur à l'université de Carthage,
membre de l'Institut de droit international


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