La prospérité, dit-on, montre les heureux, l'adversité révèle les grands. Ceux qui ont écrit les pages tourmentées et douloureuses de la guerre, en savent quelque chose. De ses origines modestes, il a gardé l'humilité et la bravoure. Visage rond et joufflu, il est rieur et parfois moqueur, donnant à la discussion des humeurs exquises. Il est porteur d'un nom qui sonne comme deux prénoms : Sid Ali Abdelhamid est issu d'une vieille famille algéroise. Lorsqu'il commence à raconter sa vie, riche en péripéties, il évoque le quartier où il est né en 1921, non loin de Sidi Abderrahmane, le saint patron d'Alger. Il a vu le jour à la rue Caton, du nom de ce célèbre homme politique romain conservateur jusqu'au bout des ongles qu'on surnommait le censeur, qui avait averti dans un de ses nombreux écrits : «Il faut devenir vieux de bonne heure pour rester vieux longtemps.» Sid Ali s'est-il inspiré de cet adage ? A bientôt 88 ans, l'homme, à l'élégance harmonieuse et la verve flamboyante, se fie à sa mémoire phénoménale pour nous livrer son conte de faits. Pour descendre en nous-mêmes, il faut d'abord nous élever, et Sid Ali sait de quoi il en retourne, puisque les sauts périlleux, il les a appris aussi ailleurs que dans un gymnase où, brillant athlète, il comptait parmi les meilleurs. Son physique conservé, il le doit sans doute à l'activité sportive qu'il pratiquait assidûment. Une famille modeste Issu d'une famille modeste et nombreuse, Sid Ali se souvient avoir été très près de ses parents. De ses études primaires ou des cours d'arabe à l'école Chabiba d'Alger, créée en 1921 par des mécènes algérois, il garde des souvenirs vivaces. Encore plus du jour où il décrocha en 1935 son certificat d'études, après avoir côtoyé Mohamed Laïd Al Khalifa qui officiait à l'école de la rampe Vallée. «Il y avait Hatab, El Okbi, Habib Réda, les futurs chanteurs Abderrahmane Aziz et Abdelhamid Ababsa, Roudoci et bien d'autres.» Son père Mohamed était ouvrier patissier : «Il exerçait rue d'Affreville chez les colons. Un jour, une crise d'asthme l'empêcha d'aller au travail. Comme c'étaient les fêtes de Noël, ses employeurs ne pouvaient tolérer cette absence. Il a été licencié sur le champ, sans autre forme de procès», explique-t-il avec un sens et un souci du détail constants et jamais gratuits. A quelque chose malheur est bon. Mohamed ouvrira sa propre pâtisserie aidé par son fils Sid Ali et les autres membres de la fratrie. Son frère aîné lui dégotera du travail en qualité de facteur télégraphiste. Il y restera jusqu'en 1943 avant de démissionner, pour éviter la conscription. On était en pleine guerre. Jeune, Sid Ali était un sportif accompli, influencé par ses frères aînés qui, eux-mêmes, pratiquaient l'athlétisme et la gymnastique. L'aîné, Abderrahmane, était secrétaire du Mouloudia d'Alger. C'est vous dire l'atmosphère sportive qui régnait chez les Abdelhamid. Que ce soit à l'AGVGA, aux Dragons Gymnastes d'Alger ou à la section de basket-ball de l'USMA, Sid Ali a eu ses heures de gloire. «Grâce à la gym, j'ai participé en Belgique à des concours, mais aussi à Fès en 1937 où on a défilé avec le drapeau marocain en entonnant l'hymne du PPA.» «On a été arrêtés, mais l'intervention de nos dirigeants, Zani Mahmoud et Medad Arezki, nous a fait éviter des conséquences fâcheuses», se souvient-il en multipliant les sourires entendus. Son entrée en politique ? «Jeunes, nous étions animés du sentiment nationaliste qui a trouvé un terreau fertile avec la venue de Messali, le congrès musulman et la naissance du PPA. Grâce à mon métier de postier télégraphiste, j'ai pu approcher Hocine Lahouel, Messali et Kehal Arezki. Je leur apportais des dépêches et, par curiosité de jeunesse, il m'arrivait de les ouvrir et de les lire», avoue-t-il. Un facteur bien particulier En 1940, Sid Ali prend contact avec Mohamed Taleb, dirigeant du PPA, qui le fait adhérer au comité d'action révolutionnaire nord-africain. «Ce comité rassemblait un groupe de militants qui, deux années plus tôt, avait pensé que la lutte pour la libération de l'Algérie devait aussi être menée par des moyens militaires.» Lorsque les Américains débarquèrent en 1942, la pression sur les jeunes s'accentua. «On s'activait alors pour inciter des jeunes à ne pas répondre à l'appel du service militaire, à ne pas faire de souscription pour la guerre et à acheter des armes, car la sensibilisation à l'indépendance était déjà entamée. Un groupe de jeunes nationalistes, comprenant Abdoun, Asselah, Cheikh Ahmed Benhocine, Ali Hallit, Temam et moi-même, s'est réuni à la médersa Erachad à la rue Médée. La répression n'allait pas tarder, puisque les militants furent arrêtés, dont Benkhedda, Debaghine, Bencherchali, Djemaâ et Mezghena, suivis par Ferhat Abbas et Abdelkader Sayah.» Le 30 septembre 1943, jour de l'Aïd, une manifestation est organisée. Quelques mois après, et à l'initiative des Taleb, Sid Ali est mis à contribution dans la création d'un journal L'Action algérienne qui n'est pas une feuille ronéotypée, mais une édition en caractères d'imprimerie : un vrai journal quoi ! «On a loué une épicerie à Fontaine Fraîche, qui faisait office de local ; on y vendait même du vin destiné à la clientèle du quartier, en majorité française, et ce, pour éviter les soupçons. On n'y est pas resté longtemps. On s'est déplacés à la rue d'Affreville dans un logement loué par mon père qui ignorait toutes nos activités. J'étais constamment traqué par la police.» En 1946, Sid Ali est désigné responsable du PPA pour le Grand-Alger. En novembre de la même année, le parti participe aux élections et y décroche 5 sièges, Mezghena, Khider, Debaghine, Derdour et Boukadoum Messaoud. «Naturellement l'administration avait truqué les élections. Cela étant, le parti avait besoin de certaines clarifications que le congrès de 1947 était censé lui apporter. La nouvelle orientation est que le MTLD active au grand jour, le PPA clandestinement, alors que l'OS s'occupait du ??? militaire.» En novembre 1947, Sid Ali accède au bureau politique en qualité de trésorier général du parti. Les élections de 1948, falsifiées par le gouvernement général, ont aussi valu à de nombreux militants d'être arrêtés. Le parti vivra encore des moments déchirants avec la crise dite berbériste de 1949. L'année suivante, l'OS est démantelée. Sid Ali est arrêté le 8 avril 1950. Il subit les tortures à la villa Mahieddine. La veille, il s'était réuni avec Krim et Ouamrane. Il est transféré à la prison de Tizi Ouzou, puis à Barberousse où il rencontre d'anciens prisonniers, Mazouzi et Zerouali, arrêtés déjà en 1945 ! Il est transféré à Blida où, parmi les pensionnaires, figuraient Ben Bella, Mahsas, Bouguerra, Benhadj Djillali. Dès sa sortie de prison, Sid Ali songe, avec ses camarades, au congrès qui tardait à se tenir, en raison des tergiversations de Messali. «En 1953, une délégation, composée de Lahouel Hocine, Dahlab, Souyah et moi-même, est partie voir Messali pour le ramener à la raison, mais en vain.» En fait, le zaïm avait demandé davantage de pouvoirs. «La crise est déclenchée début 1954 avec un travail fractionnel de sa part, alors que nous œuvrions pour l'unité et l'action. J'ai été arrêté le 22 décembre 1954 et libéré en mars 1955. De nouveau arrêté le 26 mars 1955 avec l'équipe de l'UGTA, Bourouba, Aïssat et d'autres, nous avons fait les camps de Bossuet, Berrouahgia, Arcole, Douéra, Paul Cazelles, St- Leu, avant d'être libérés fin octobre 1960. En 1962, on a cessé toute activité politique au FLN parce qu'on était du groupe de Benkhedda, Kiouane et Saâd Dahlab.» En 1962, il se retire de la politique Sid Ali travaille chez Bata comme chef du personnel. De juillet 1962 à mai 1975, et avec l'émergence de Sonipec, il est PDG de l'entreprise. Puis il est désigné responsable de la brasserie de Réghaïa. «J'y ai trouvé une dette de 720 millions et une gestion qui laissait à désirer. J'ai concrétisé le projet de limonaderie en me débrouillant auprès des banques. Après la nationalisation je me suis retrouvé directeur d'usine jusqu'en 1982.» Il est désigné directeur des eaux minérales. Il n'y fera pas de vieux os. Il finira conseiller au ministère avant de prendre sa retraite en 1988. Que pense-t-il de son parcours mouvementé ? «Ce qu'on devait faire, on l'a fait en toute conscience et on a atteint notre but, l'indépendance qui a beaucoup apporté.» L'euphorie de juillet estompée, le constat est plus nuancé. La colère l'emporte. «Le pays n'a pas été dirigé comme il le fallait en 1962. On a préféré les complaisants et les béni-oui-oui. Les dirigeants se sont beaucoup compromis dans le régionalisme et le népotisme. Les syndicats n'ont pas du tout joué leur rôle, en considérant les entreprises comme leur bien privé. Aujourd'hui, c'est vrai qu'on est déçu de la façon dont est géré le pays. L'exemple n'est pas donné par le sommet.» Comme on dit, la victoire est belle mais il est encore plus beau d'en bien user… en plus d'un travail de mémoire appréciable qui consiste à éditer des livres se rapportant à l'histoire contemporaine de notre pays, en faisant connaître ses acteurs, l'association du 11 Décembre dont il est membre actif, n'est pas peu fière d'avoir été à l'origine de la baptisation de l'hôpital de Bab El Oued ex-Maillot, du nom de Lamine Debaghine et de l'université d'Alger qui porte désormais le nom de Benyoucef Benkhedda… Parcours Sid Ali Abdelhamed est né en 1921 à La Casbah où il a poursuivi ses études primaires avant de décrocher son certificat d'études. Il aidera son père patissier avant d'opter pour les PTT où il est engagé en qualité de facteur télégraphiste. Sportif, il sera champion en gymnastique dans la lignée de ses nombreux frères, eux aussi athlètes émérites. A l'adolescence, il s'éveille à la conscience nationale et se rapproche des militants qu'il côtoie. A 25 ans, il est membre du BP du PPA en qualité de trésorier général. Sa vie militante est chargée. Il sera arrêté à plusieurs reprises et ballotté de prison en prison. A l'indépendance, il se retire carrément de la scène politique, occupant des postes administratifs jusqu'à sa retraite, en 1988. Il est actuellement membre de l'association du 11 Décembre.