Il a incarné plus, que tout autre président de l'Algérie indépendante, l'expression vivante du pouvoir militaire appliquant la politique de la main de fer. Mohamed Brahim Boukharouba, ce fils d'Héliopolis, va marquer son passage à la tête de la République algérienne en instaurant les fondements d'un régime basé sur la suprématie du militaire sur le politique. Un régime en totale contradiction avec les recommandations du congrès de la Soummam, qui plaça la logique du clan et de la force comme moyen de maintien du pouvoir. Le coup d'Etat de 1965 a été le premier pas engagé de Boumediène pour sortir de l'ombre de la "légitimité historique" personnifiée par Ben Bella. Au-delà du coup de force que cet acte avait constitué, il s'agissait sur le plan personnel pour Boumediène d'une éclosion, le début d'une nouvelle ère pour ce fils de paysan qui avait toujours évolué dans les coulisses du pouvoir personnel de Ben Bella. Il entendait bien profiter de cette opportunité qu'il s'est offert pour se mettre au-devant d'une scène dont il serait seul à diriger les actes. Ce fut donc la fin du “pouvoir personnel institutionnalisé” et le début “du pouvoir militaire personnalisé”. S'appuyant sur la police politique, Boumediène réprime toute velléité d'opposition, Mohamed Khider et Krim Belkacem sont assassinés, et Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed organisent des mouvements d'opposition en exil. “Le président du Conseil de la révolution, ministre de la Défense, chef de gouvernement, Boumediène, s'était imposé comme chef d'Etat et cumulait de ce fait, comme son prédécesseur, tous les postes importants de décision. A ce titre, il se confondait avec l'Etat, le parti – tout comme Ben Bella –- mais avait en plus de ce dernier, et pour lui seul, l'armée", note Abdelkader Yafsah dans son livre La question du pouvoir en Algérie. La cumulation de tous les pouvoirs, a conforté l'image auprès de son entourage et du peuple d'un chef d'Etat puissant et redouté. Le personnage d'homme austère et secret a permis de fabriquer le mythe Boumediène, cet homme qui avait l'œil sur tout et contrôlait tout grâce à la "bienveillance” de la sécurité militaire. L'Etat-armée sous Boumediène a marqué sa primauté sur le parti FLN et mit en place les mécanismes de cette prépotence à travers un mode de gestion baptisé boumediénisme. Embrigadement Boumediène voulait être “l'autorité, le pouvoir, et le régime”. Eprouvés par un Ben Bella personnifiant l'homme-Etat, les masses ne pouvaient contester ce prolongement de la concentration des pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Boumediène usa de tous les moyens pour construire cette image de chef. "Les moyens d'information, sans exception, les officines publiques, les mosquées jouent, à cet effet, un rôle considérable. Ils créent un phénomène de polarisation systématique sur l'activité du chef de l'Etat. Tout y est apporté, le moindre geste applaudi, encensé, chanté et glorifié”, écrit encore Abdelkader Yafsah. La sacralisation du chef a été l'aboutissement d'un processus de légitimation d'un règne qui aura servi à planter le décor d'un système politique qui est la négation même du partage. On assiste alors à l'encadrement de la vie politique, sociale et économique sous le même chapiteau appelé "pouvoir révolutionnaire”. Ce pouvoir sera traduit selon la volonté du Conseil de la révolution sous la présidence de Boumediène, à travers une première étape de "décentralisation” administrative. Ainsi se firent jour la charte communale de 196, puis la charte de la wilaya en 1969 qui conféraient des rôles d'autonomisation de la gestion des structures locales. Toutefois, dans la pratique, les assemblées locales n'avaient point de poids devant l'autorité du maire et du wali. Le pouvoir local reproduit les mêmes pratiques du pouvoir central et il avait pour rôle d'asseoir la légitimité institutionnelle devant apporter la contradiction à la Constitution décriée de 1963, faisant croire au citoyen qu'il participe à la vie politique et sociale. Au lieu d'être le socle de la vie démocratique, le pouvoir local a été l'appendice dont se servait le CR pour mobiliser les masses et les mener à applaudir ses décisions. Il en était de même pour les organisations dites de masses comme l'UGTA, l'UNFA, l'UNPA et l'UNJA. Une ordonnance datée du 12 février 1971 est d'ailleurs venue donner aux permanents du FLN et des organisations annexes un statut comparable à celui des fonctionnaires, en précisant les avantages dont ils peuvent être bénéficiaires en échange de leur soutien inconditionnel à la politique du pouvoir. Ces organisations fabriquent de l'unanimisme à coups de slogans creux et de phraséologie visant à anéantir toute autre pensée contraire à la volonté du régime. La gestion socialiste des entreprises a été l'autre versant de cette politique du tout contrôle et où parti, syndicat, et administration constituaient un seul et même bloc d'allégeance au pouvoir en place. Entre ces mouvements d'encadrement et la phobie instaurée de l'espionnite, le régime ne pouvait espérer meilleur contrôle et embrigadement de la société. Le CR fait sa révolution Après le putsch de 1965, Boumediène promet de donner un coup de pied dans la fourmilière pour en finir avec “l'immobilisme” instauré par Ben Bella. Il lance alors en grande pompe ses révolutions industrielle, agraire et culturelle. Le deuxième président de la République algérienne, qui était toujours en quête de légitimation, misait sur ces trois axes pour mener à bout sa politique de développement. C'est en 1971 que l'orientation socialiste a trouvé son chemin dans la politique économique du pays. Les nationalisations des richesses naturelles, la révolution agraire, l'industrie industrialisante, la planification de l'économie étaient les maîtres mots de la politique de développement à la Boumediène. Leur mise en œuvre connut toutefois un échec, puisqu'elle a été victime de la bureaucratie et des passe-droits. Au socialisme vendu au peuple, faisait face un capitalisme d'Etat et l'apparition d'une bourgeoisie privée qui fleurissait dans l'ombre des nationalisations. La contradiction des discours de Boumediène venait de l'antre même du pouvoir. La culture n'a pas échappé à la vision centraliste que prônait le Boumediénisme. La “révolution culturelle” a quant à elle été basée sur l'instauration d'un monolithisme culturel niant la diversité de l'identité algérienne. L'arabisation selon les préceptes du baathisme n'a pas été sans conséquences sur cette union du peuple tant clamée dans les discours de l'époque. L'identité berbère a été niée par les adeptes du panarabisme, poussant l'affront jusqu'à dire que le berbère est une invention française et accuser leurs contradicteurs de “réactionnaires et de contre révolutionnaires”. Encore une fois, le pouvoir cherchait un autre mode de légitimation en ne faisant qu'un de "l'Islam et l'arabité” la politique culturelle de l'Algérie indépendante n'a fait que suivre la logique de la politique culturelle française en Algérie. L'une se propose d'arabiser, l'autre de franciser. Toutes les deux se proposent l'assimilation du peuple… L'Algérie bascula de “nos ancêtres les Gaulois” à “nos ancêtres les Arabes”, écrit A.Yafsah. Le boumediénisme portait en lui les germes de son déclin, puisqu'il valsait entre socialisme débridé et capitalisme d'Etat face à une population de plus en plus lasse d'attendre la réalisation des promesses du chef du Conseil de la révolution. Sous ses airs d'une union nationale placée sous l'étendard de Boumediène, se cachaient des divisions qui ont même eu raison du tout puissant clan d'Oujda. Boumediène continue, jusqu'à la dernière année de son pouvoir, à tenter de donner une légitimité au coup de force dont il usa pour défoncer les portes de l'histoire de l'Algérie indépendante. Mais au lieu de divorcer avec la force, il en fit un mode de gouvernance. Références : – 1- Rapportée par F. Abbas in Autopsie d'une guerre. – 2- Abdelkader Yafsah : La question du pouvoir en Algérie. – 3- Benjamin Stora : Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance. – 4- Benjamin Stora : Algérie, histoire contemporaine 1830-1988.