Pourtant l'Afrique, dans ce qu'elle comptait de peuples et d'élites, avait largement pris la mesure de la condition lamentable de ses peuples, de leur état d'asservissement, elle aura néanmoins pris du retard dans son décollage politique en raison du caractère particulièrement violent de la colonisation, de la destruction totale des ancrages historiques et de la déstructuration intégrale des nations qui la composaient. Il n'est pas dit que le système hégémonique occidental ait été un tant soit peu miséricordieux dans son atman ou clément dans son jugement en Indochine, en Inde, ou en Indonésie mais si l'essence des civilisations a plus ou moins résisté aux assauts dévastateurs des occupants en Asie, si en Amérique latine, les colonisateurs avaient fini par s'extraire de leur matrice européenne, sans pour autant apporter de solutions au drame des peuples natifs, il n'en est pas de même pour l'Afrique. La Conférence de Berlin (15 novembre 1884 – 26 février 1885) qui est la plus gigantesque œuvre d'expropriation de l'histoire de l'humanité et le plus monstrueux acte de spoliation qui ait jamais été commis sur la terre à travers toute sa longue histoire pour ainsi dire depuis Lucy, notre mère à tous, tout en écharpant le continent et ses 30 221 532 km2, a procédé à l'équarrissage de ses nations. Celles-ci ont été réduites à l'état de balayures de tribus, déchiquetées puis reconfigurées et éparpillées en fonction des rivalités et de la voracité territoriale des Etats européens et de la rapacité économique de ceux qui se sont érigés en maîtres du ciel et de la terre. Au bourrage de crâne de l'Eglise, à la schlague des militaires, en passant par la dévastation et le pillage des richesses du sol et du sous-sol, rien ni personne n'a été épargné. Il n'est qu'à voir l'état dans lequel ces pays ont été laissés après la chute du système tyrannique, pour se rendre à l'évidence du désastre généré par « l'œuvre civilisatrice de la colonisation». Les Africains avaient en commun le malheur du colonialisme, ils en partagent à présent les dures rémanences. L'idée d'indépendance avait fini par envahir les cœurs et devenir dans les esprits plus opiniâtre que le chiendent. Peu à peu, les peuples africains vont «prendre goût à la conjugaison du verbe se libérer». Dès son déclenchement, la Révolution algérienne s'était immédiatement arrimée au mouvement d'émancipation mondial et particulièrement africain. Les novembristes, promoteurs de ce tourbillon populaire qui allait connaître un retentissant écho à travers tout le continent, ont inscrit leur action dans «l'irrésistible mouvement de libération nationale», longtemps comprimé, qui a secoué les peuples captifs. Une réaction en chaîne qui entraînera les peuples colonisés, l'un après l'autre, puis l'un à côté de l'autre dans un ouragan décolonisateur. Pour les Algériens, et particulièrement leur diplomatie de guerre naissante, les solidarités à tisser apparaissaient comme le conduit obligé pour parvenir à l'affaiblissement conséquent des puissances colonisatrices en Afrique. Lorsqu'en 1954, le mouvement novembriste avait engagé le peuple algérien dans la voie de la lutte de libération, outre le Maroc et la Tunisie au nord, des pays tel le Kenya, sous la direction de Jomo Kenyatta, s'étaient également lancés dans le combat anticolonialiste. Ce sont ces exemples précurseurs, qui ont fait prendre conscience aux nations d'Afrique que la domination n'est pas une fatalité et que l'esclavage déguisé en travail forcé ne s'éteindront qu'une fois éteintes les peurs, réunies les conditions intellectuelles et jaillies les volontés de mettre à bas l'abomination qui commandait aux âmes et aux intelligences humaines. L'African national congress (ANC), au départ un mouvement ouvrier, en Afrique du Sud, le Rassemblement démocratique africain (RDA) dans ce qu'on désignait à l'époque par Afrique occidentale française (AOF) et dans une moindre dimension en Afrique équatoriale française (AEF), le Parti africain de l'indépendance (PAI), au Sénégal, mené par Mahjmout Diop, le Tanganyika African Association (TAA) en Tanzanie, les associations nationalistes des libéraux du Nigéria, autant de bassins politiques, qui se sont développés à la veille de la grande irruption indépendantiste du deuxième lustre des années 50. Par la violence inouïe que lui ont conférée d'une part l'obstination colonialiste française et d'une autre, la détermination des patriotes, la guerre engagée en Algérie allait émouvoir le monde et attirer toute l'attention des peuples africains. Les solidarités naturelles n'ont pas tardé à resurgir et s'exprimer. Aux pays du monde arabe et musulman qui avaient, dès le départ, apporté leur soutien aux combattants du Front de libération nationale (FLN) se sont joints les mouvements de libération africains puis les pays qui ont arracché leur indépendance en premier. Les puissances colonisatrices, que ce soit la France ou la Grande-Bretagne et dans une moindre mesure le Portugal, troisième indu-occupant de l'Afrique, redoutaient l'extension de l'exemple algérien qui risquait de les placer dans une situation encore bien plus condamnable par la communauté internationale, même si la France, par exemple, bénéficiait des générosités sans limite de l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN). Des solutions partielles et fragmentaires seront proposées aux leaders des mouvements indépendantistes. Certains se verront offrir des «strapontins» dans les représentations nationales. Des sièges seront ainsi dégagés pour des parlementaires issus des colonies à l'Assemblée française notamment. Ces dispositions fortement opiacées ne feront pas perdre de vue les objectifs de liberté que s'étaient fixés les peuples et leurs élites. Des nationalistes africains tel Ahmed Sékou Touré, lequel avait reçu une formation politique en Tchécoslovaquie rejettera d'ailleurs tout compromis avec le colonisateur français. A ce propos, il refusera un fauteuil de député à l'Assemblée tout comme il sera le seul à opter pour l'indépendance quand le général de Gaulle revenu au pouvoir en 1958, demandera de choisir entre la liberté et l'Union française. La colère des colonisateurs contre l'outrecuidant sera proche de l'hystérie Les élites et particulièrement les universitaires regroupés en majorité dans la Fédération des étudiants de l'Afrique noire (FEAN), organisation très proche du Parti communiste français (PCF), se montreront intraitables quant à la question algérienne. Ainsi, quand le PCF, votera les pleins pouvoirs à Guy Mollet en 1956, les adhérents de cette organisation, qui étaient membres du parti, démissionneront et remettront massivement leurs cartes. Ce même Guy Mollet appellera le contingent en Algérie, chose qui n'avait pas été faite en Indochine. Le FLN s'est d'ailleurs promptement rapproché de la FEAN ainsi que des représentations syndicales africaines, ce qui lui assurera une meilleure capillarité sur l'ensemble du continent. Le Ghana et la Guinée (Conakry), indépendants, l'Algérie va élargir son champ d'action et c'est ainsi que la bannière verte et blanche frappée du croissant et de l'étoile, flottera à la toute première réunion des Etats africains, qui se tiendra à Monrovia ( Libéria) alors présidé par M. Tubman… mais après le départ des ambassadeurs pour ne pas irriter le représentant français. L'Algérie sera également, présente à Addis-Abeba à la deuxième réunion des ministres africains des Affaires étrangères. La délégation était composée de Frantz Fanon, Omar Oussedik et M'Hamed Yazid. En 1959, le GPRA ouvrait deux représentations en Afrique, l'une à Accra (Ghana) où elle sera représentée par Frantz Fanon et l'autre à Conakry (Guinée) avec Omar Oussedik. La troisième mission sera à Bamako avec Ali Lounici et Boualem Oussedik tous deux anciens capitaines de l'ALN (wilaya IV). Dès son indépendance, le Congo, qui deviendra le Zaïre, reconnaîtra le GPRA. Serge Michel très tôt engagé dans les rangs du FLN en Tunisie, sera dépêché à Kinshasa, auprès de Patrice Lumumba comme conseiller à l'information. A mesure que se libérait le continent, deux grandes tendances vont surgir : il s'agit du groupe dit de Casablanca et celui de Monrovia. Le premier composé de Gamal Abdel Nasser (République arabe unie (RAU), de Mohamed V (Maroc), de Modibo Keita (Mali), d'Ahmed Sékou Touré (Guinée), de Kwamé N'Kruma (Ghana), et de Ferhat Abbas (Algérie). Le second comprenait les représentants des pays qu'on disait modérés comme, Hailé Sélassié (Ethiopie), le maréchal Aboud (Soudan), M. Tubman (Libéria), Houphouët Boigny (Côte d'Ivoire) et Habib Bourguiba (Tunisie). Ces deux tendances différaient essentiellement par leur attitude vis-à-vis des puissances colonisatrices, et les lignes en matière de politique étrangère pour ne pas dire «distanciation» vis-à-vis des deux camps (capitaliste et communiste). L'Algérie s'est très tôt engagée dans les grands combats menés par les peuples africains. Elle n'attendra pas son indépendance pour participer activement aux grands projets politiques continentaux et à ses nouveaux combats.