Ses amis la savait malade depuis quelques mois déjà. Plusieurs d'entre eux voulaient aller la voir pour s'enquérir de ses nouvelles mais cette dame au caractère de fer refusait les visites. Elle ne voulait pas qu'on l'approche. Elle voulait qu'on garde d'elle les souvenirs où elle avait crevé le grand et petit écrans à jamais. Ne désespérant pas pour autant, beaucoup ont espéré l'a rencontrer à l'occasion de l'hommage qui lui a été consacré en mars dernier, à la salle de cinéma Sierra Maestra, à Alger, et ce, par l'association artistique de cinéma Lumières. Ses problèmes de santé ne lui permirent pas d'assister à son propre hommage. Elle se fera représenter par son fils. Née le 4 avril 1916 à Blida, Keltoum, très jeune, a été attirée par la danse et le théâtre. Maintes fois, elle trouve le moyen de se sauver de chez ses parents pour aller voir et suivre des acteurs et danseurs ambulants. C'est Mahieddine Bachtarzi, qui la découvrit à Blida, en 1935. Ce dernier lui offrit sa chance et, en dépit des préjugés de sa famille. Elle débute véritablement sa carrière artistique à la fin des années 1930. Son professionnalisme est tel qu'elle se fait remarquer par des cinéastes européens qui lui proposèrent des rôles importants. Elle joua tout à fait par hasard dans un film allemand, en 1945, mais sa carrière cinématographique ne commencera que vingt ans plus tard, en 1965, avec Le vent des Aurès de Mohammed Lakhdar-Hamina dans lequel elle tient magistralement le rôle d'une mère qui cherche désespérément son fils emprisonné par l'armée française pendant la guerre. Au déclenchement de la guerre de libération nationale en novembre 1954, elle répond comme tous les artistes algériens à l'appel du Front de Libération National (FLN), pour cesser toutes activités. Après l'indépendance du pays, elle rejoint en 1963, la troupe nationale du théâtre algérien, où elle travaille avec d'illustres comédiens dont entre autres Mustapha Kateb, Rouiched, Allal Mouhib, Hadj Omar, Nouria, Sid Ahmed Agoumi, Abdelkader Alloula. La comédienne prend sa retraite forcée en 1989 alors qu'elle avait encore tant de choses à donner à la culture algérienne. Le regretté Rouiched a réussi à la convaincre en 1991 à remonter sur les planches, pour la dernière fois, dans "Les Concierges". Keltoum était une femme humble ayant formé au sein de son giron deux générations de comédiens. Elle était à la fois exigeante et perfectionniste. Le comédien Madani Namoun a côtoyé la défunte dans les années 60. « «C'était, dit-il, avec une voix étranglée par la douleur, l'une des plus grandes comédiennes, si ce n'est pas la première qui nous a appris, nous autres les comédiens beaucoup de choses. Elle nous a prodigué des conseils un par un. Elle voulait que l'on soit au même niveau qu'elle. A l'époque, nous étions ses chérubins…» De son côté, le réalisateur Ghouti Bendedouche a connu la regrettée Keltoum dans les années 50. Il a eu le grand privilège de lui donner un rôle phare dans un de ses films« Hassen Niya». Comme il le dit si bien, elle était un compagnon de route avec entre autre Mohamed Touri, Rouiched, Mahièddine Bachetarzi. «Nous nous sommes accompagnés dans cette voie qui n'était pas évidente à cette époque. C'est un jour très triste pour nous autres qui l'avons approchée…C'était une grande comédienne. C'était un bonheur de travailler avec elle. Elle était d'une correction exemplaire. C'était une professionnelle née. Elle était toujours prête une heure avant toute répétition. Elle n'était pas avare en conseils. Elle ne se plaignait jamais. Quand nous étions en retard, elle ne nous réprimandait pas…Quelle relève pourra remplacer une dame de la trempe de Keltoum» témoigne-t-il avec un pincement au coeur.