Lemsajed, qu'on peut littéralement traduire par «les prosternés» est plus connu sous l'appellation de «plage de Guerbès» même si Guerbès n'est en fait qu'un village implanté plus loin en amont. Ses essences remontent à l'époque romaine, période durant laquelle le site s'appelait Paratianis, du nom d'une cité prospère attachée à la Numidie orientale. Paratianis est entrée, presque avec infraction, dans l'histoire et fut souvent mentionnée dans les correspondances de saint Augustin au sujet d'une affaire de droit d'asile retenue dans l'histoire comme «l'affaire Faventius». Aujourd'hui, Lemsajed n'est qu'un petit hameau où vivent une trentaine de familles. Il s'étend majestueusement sur une dizaine d'hectares comme un relais naturel, entre le vert perpétuel d'interminables plaines bordées d'oliviers sauvages et le bleu blanchâtre du récif de la Méditerranée, à moins de vingt kilomètres à vol d'oiseau à l'est de Skikda.Et comme pour mieux préserver son aura, Lemsajed ne se laisse découvrir au visiteur que si ce dernier prend le bon chemin… Pour vous retrouver, fiez-vous aux centaines d'oliviers sauvages. Vous ne pouvez pas vous tromper, car ces arbres ne se tiennent pas à la verticale du sol, mais se courbent tous dans la même direction, vers le sud-est… Oqba Ibn Nafi prosterné Ce sont eux qui donnent au lieu sa dénomination : «Lemsajed est appelé ainsi en référence à ces arbres qui se prosternent, étrangement, tous vers La Mecque. Ils prient. C'est ce que nos ancêtres nous ont appris et on les croit. Regardez, tous ces oliviers sauvages sont courbés jusqu'à toucher le sol. C'est comme s'ils prient Dieu, car ils sont tous orientés vers la kabla», raconte un habitant des lieux. Cette prosternation n'a pas manqué d'insuffler aux habitants de la région tant et tant de mysticisme. «Chez nous, on raconte que ces arbres se sont courbés après le passage de Oqba Ibn Nafi (1). On raconte qu'il s'était reposé ici avec son armée avant de regagner l'Ouest en direction de l'Andalousie. On raconte aussi qu'il avait prié à la tête de son armée pour implorer Allah de l'aider à conquérir d'autres terres. Les arbres se sont alors prosternés et ont prié avec lui et, depuis, sont restés ainsi…», précise, avec une grande conviction un jeune de Lemsajed. Difficile de croire à cette histoire, même si le conquérant musulman avait bel et bien entamé son périple à partir de la Numidie dont fait partie Guerbès et sa région. D'autres habitants, plus cartésiens, avancent que l'inclinaison de ces oliviers fut essentiellement causée par les vents violents connus dans la région. «Le site est très ouvert aux vents du nord-ouest, très violents, dépassant en moyenne les 80 km/h en automne et en hiver, argumente un autre résidant. D'ailleurs, le Sophia, un navire maltais, a été emporté par ces vents en 2008 et s'est échoué sur nos rivages où il gît encore.» La plage des femmes Ce n'est là qu'une infime partie des mystères de Lemsajed et d'autres merveilles attendent encore. Car une fois sur les lieux, vous hésiterez sans doute entre l'appel d'une plage, presque blanche, à l'est, et une étrange masse rocheuse noire, à l'ouest. Les deux espaces sont séparés par une baraque faisant office de poste de secours lors des saisons estivales. Comble de gâchis, le poste a été construit sur l'esplanade d'une mosaïque à décor de cercles entrelacés datant de la période romaine. Les traces encore visibles et qui tentent encore défier le temps et la main de l'homme s'étendent sur plus de trois mètres carrés. La mosaïque n'est désormais qu'un vulgaire parterre. Aucune mise en valeur de la dalle qui l'abrite n'a été faite et les milliers d'estivants qui arpentent chaque été les interminables plages de Guerbès passent dessus sans le moindre soupçon. A moins de 50 mètres à l'ouest encore, les restes d'un four romain se dressent sur la partie la plus culminante des lieux. L'absence de références crédibles laisse supposer qu'il aurait servi de fonderie étant donné la richesse en fer de cette région. Des traces de fer sont d'ailleurs encore visibles dans les alentours. Aucune fouille n'a été menée pour découvrir le secret de ces ruines tout comme Chatt Ensa, «plage des femmes», un étrange bassin qui s'incruste dans la roche poreuse à une trentaine de mètres du four et qui demeure encore inconnu au grand public. «Nos parents racontent que les femmes venaient se baigner ici loin des regards des hommes. Aujourd'hui, il fait la joie des enfants», raconte un jeune de Guerbès. Grotte aux pigeons Le bassin se confond à s'y méprendre avec des rochers plats et noirs qui s'étendent sur une grande superficie. A priori, on a tendance à croire que ce ne serait qu'une excavation naturelle creusée par l'érosion. Ce n'est qu'en s'y approchant qu'on remarque que ce bassin a été volontairement taillé par l'homme. Des traces d'ornementation très adroites, datant certainement de la période romaine prouvent que c'est bien l'homme qui a taillé cette roche pour en faire un bassin. Long d'une vingtaine de mètres sur six mètres de large, le bassin — ou piscine — est profond de deux mètres, et aménagé de cinq paliers, sous forme d'escaliers menant tous à son centre, comme pour servir de sièges. Le bassin proche de moins de trois mètres de la mer peut facilement accueillir les eaux lors de la saison des grosses vagues. Il peut aussi être empli grâce aux cuvettes creusées sous la roche par l'érosion et qui disposent presque toutes de connexions sous-marines. De cette piscine, on peut aussi apercevoir, plus à l'ouest Ghar Hmam, «la grotte aux pigeons» qui s'ouvre au même niveau de la mer sur la façade d'une longue falaise. L'entrée par mer est large de deux mètres. On emprunte alors, en nageant ou en se servant d'une barque, un couloir long de plus de neuf mètres. A l'intérieur, on découvrira des nids de pigeon et d'autres volatiles marins. Seule contrainte, il reste difficile de quitter les eaux pour se tenir debout. La randonnée peut encore se prolonger vers l'ouest pour découvrir l'embarcadère romain de Oued Saboune, les mines de fer et de marbre, ou à l'est, vers l'immense cordon dunaire de la zone humide Guerbès-Sanhaja qui reste à elle seule une autre virée. Une féerie naturelle plutôt.
Note de renvoie : (1) Général arabe envoyé en 670, à la tête des armées musulmanes, par Muawiya Ier, calife omeyyade de Damas dans le but de propager l'Islam et d'étendre ses territoires.