Ce qui indique que la procédure va se poursuivre pour décider de la suite à donner à la plainte déposée par Ahcène Kerkad contre le général Nezzar pour «suspicion de crimes de guerre». Durant quarante-huit heures d'audition, l'ancien ministre de la Défense algérien (1991 à 1993) a eu à répondre à une longue série de questions portant essentiellement sur les aspects politiques et militaires dans la gestion de la crise qu'a connue le pays de 1990 jusqu'en 1999. Sans doute pour situer les responsabilités du prévenu. Ainsi, comme le montre le procès-verbal de l'audition dont El Watan détient une copie, le procureur fédéral Laurence Boillat a demandé à K. Nezzar ce qu'il pouvait dire «au sujet du conflit qui a touché l'Algérie durant les années 1992 à 1999 ?». L'ancien ministre de la Défense a eu une réponse surprenante : «Je ne suis pas concerné par ce conflit. Pourquoi me posez-vous cette question ? Je ne suis pas celui qui a déclenché ce conflit. J'était ministre de la Défense.» Khaled Nezzar demande au procureur ce qu'on lui reproche : «Je dois savoir ce qu'on me reproche. De la suspicion, c'est un terme bien trop vague. Moi je n'ai pas les mains sales. Est-ce qu'il y a des plaintes contre moi ?» Les débats s'engagent ainsi entre le procureur et le prévenu sur des questions d'ordre politique liées à la crise dans laquelle a sombré l'Algérie une décennie durant. Le procureur fédéral suisse voulait savoir : quelles étaient les fonctions du général avant 1992 ? Son opinion au sujet du Front islamique du salut, de quelle manière il avait participé au coup d'Etat de janvier 1992, ses fonctions durant la période de 1992 à 1999. K. Nezzar répond qu'il était «commandant des forces terrestres, puis chef d'état-major. J'ai été officier de l'armée française, j'ai déserté l'armée française pendant la guerre d'Algérie en rejoignant les maquis. Le FIS est un parti totalitaire qui prônait une loi que j'abhorrais». Le prévenu récuse l'appellation «coup d'Etat» : «Je ne suis pas d'accord pour l'appeler coup d'Etat (…). Chadli Bendjedid déclare encore aujourd'hui qu'il a démissionné. Personne ne l'a poussé à démissionner. J'ai été ministre de la Défense, pourquoi l'aurais-je poussé à démissionner ? J'ai été parmi ceux qui prônaient l'arrêt du processus électoral, c'est vrai, ceci dans l'intérêt de mon pays, mais je n'ai rien à voir avec la démission de Chadli Bendjedid.» Ensuite, le procureur interroge M. Nezzar sur «le type de décisions qu'a pu prendre le Haut-Comité d'Etat et comment étaient-elles mises en œuvre», avant de poser la question centrale sur «le rôle de l'armée dans le régime politique de 1992 à 1993». «Les gens mis dans les camps étaient arrêtés dans les rues» Nezzar prend la défense de l'institution militaire : «Dans une situation de subversion, l'armée a été appelée par le HCE à participer à la contre-subversion, soit à la lutte antiterroriste (…). L'engagement de l'armée était décidé au niveau du HCE. Il a été décidé de créer des camps d'éloignement sous tutelle de la justice, dont certains étaient gérés par l'armée. Il devait y avoir quatre ou cinq camps. Pendant une période, ces gens étaient éloignés parce qu'ils créaient de l'insécurité (…). Les gens mis dans les camps étaient arrêtés dans les rues. C'était la justice qui décidait systématiquement qui devait être placé en détention.» Dans sa longue réponse, le général Nezzar reconnaît l'existence de dépassements «Il y a toujours des dépassements et c'est très difficile de les régler. Je précise qu'un dépassement pouvait aller jusqu'à donner la mort (…). S'il y a eu des dépassements de la part des autorités, ça ne pouvait être que des dépassements d'individus isolés (…).». Mais «comment expliquer que des personnes isolées, alors qu'elles étaient placées sous un commandement, aient pu commettre des dépassements ?» demande le procureur. Nezzar répond en racontant une histoire : «Il y avait un barrage sur la route, la plupart des personnes ont été tuées. Le chef de l'unité a pris les gens blessés et les amenés dans un hôpital du village voisin. Mais entre-temps, il a vu une personne vêtue d'un habit islamique en train de rigoler. Il a pris cet homme et l'a abattu d'une rafale !» Sur son rôle dans la lutte antiterroriste en tant que ministre de la Défense et en tant que général-major, Khaled Nezzar répond au procureur : «Comme j'avais un état-major qui fonctionnait, moi je m'occupais du ministère de la Défense, je ne donnais pas d'ordre à l'état-major, il était rodé (…).» Sur la question de la torture, Nezzar répond au procureur qu'en 1988, «une vingtaine de personnes ont été enlevées et torturées. Des mesures ont été prises et des enquêtes menées. Je ne sais pas par qui ces gens ont été torturés, ce n'était, en tout cas, pas l'armée». Durant la période de 1992 à 1999, K. Nezzar dit : «Je n'ai pas connaissance de cas de torture durant cette période. C'était d'ailleurs l'affaire des services de savoir comment ils obtenaient les informations.» Il récuse l'usage systématique de la torture et d'autres exactions et accuse des partis politiques français : «Je sais d'où ça vient, ça vient de certaines personnes du Parti socialiste, des Verts, et ça a fait le tour de la Terre.» Au terme d'une séance de questions-réponses, le procureur dit à Nezzar : «Ahcène Kerkadi a déposé plainte à votre encontre pour avoir été victime d'exactions de la part des services de sécurité dans la localité de Blida et à la caserne de la sécurité militaire de Bouzaréah en 1993. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?» Curieusement, Nezzar dit ignorer l'existence d'une caserne à Bouzaréah, selon l'organisation militaire. «Du moins, je n'en connais pas», dit-il. A la fin de l'audition, Nezzar demande au procureur : «Je viens souvent en Suisse pour quelques jours de repos à Evian. Pourquoi ne m'avez-vous pas pris avant ?»