1. Le plan Marshall, une partie de la solution pour les États-Unis En 1947, les Américains apportent un plan d'aide à l'Europe, le «plan Marshall» du nom du général Georges C. Marshall. Il eut un impact très positif dans la reconstruction de l'Europe. L'intention qui a guidé le plan est exprimée par Marshall, le secrétaire d'Etat américain : «Notre politique n'est dirigée ni contre un pays ni contre les idées, mais contre la faim, la pauvreté, la résignation et le chaos.»L'intention est certes généreuse, mais pourquoi un décalage de près de deux ans après la fin de la guerre ? Pourquoi l'aide américaine n'a-t-elle pas été immédiate ? Le pouvoir financier américain, fortement ébranlé par la crise de 1929, a-t-il été plus prudent en matière de crédits financiers pour l'Europe ? Les leçons de la crise sont suffisamment révélatrices sur ce qui s'est passé sur les aides et crédits débloqués à l'Europe, après le premier conflit mondial, et les difficultés de remboursement qui ont surgi au début des années 1930, comme le gel des capitaux américains par l'Allemagne, le repli sur soi pour pratiquement tous les pays européens, puis finalement le déclenchement de la guerre en 1939. Une contrainte cependant pour les Etats-Unis qui fait qu'un repli après 1945 n'est ni favorable ni tenable pour eux, et ce, à plusieurs titres. Tout d'abord, l'effacement des dettes européennes contractées durant la guerre, l'aide qui a suivi, entre 1946 et 1947, qui ont certes permis d'adoucir les pénuries alimentaires et remettre sur pied des services de base ou apporté quelques modestes progrès dans l'activité économique, demeurent très insuffisants. Le formidable potentiel productif américain d'équipements industriels et de produits agricoles qui a suppléé la destruction d'une grande partie de l'industrie européenne avait besoin obligatoirement de débouchés sur l'étranger. Comme dans les années 1920, il risquait de se créer une situation de déséquilibre entre la forte offre américaine de biens matériels et la demande intérieure. Les Etats-Unis étant le seul pays dont les potentialités industrielles sont excessives par le fait qu'ils ont approvisionné le monde en marchandises de toutes natures (armement, équipements industriels, biens alimentaires, etc.) durant la guerre, et ont été épargnés des destructions de la guerre du fait de l'éloignement de leur territoire des théâtres de guerre. Par conséquent, une prudence excessive en matière d'aides et de crédits entraînerait inéluctablement des effets négatifs sur l'économie américaine. Les Etats-Unis n'avaient pas d'autre alternative. Soit de réduire leur potentiel productif. Ils auront donc à procéder à un ajustement de leur économie à la demande intérieure puisque l'Europe, par les destructions de la guerre et l'endettement n'est plus solvable. Ce qui risque de se traduire par une grave dépression économique (hausse du chômage, chute de la consommation, baisse du PIB) pour les Etats-Unis et pour le monde. Soit d'outrepasser ces réticences d'insolvabilité de l'Europe et aider financièrement et matériellement l'Europe, d'autant plus que les Etats-Unis doivent tenir compte de la politique idéologique du Kominform (qui a remplacé le Komintern, Internationale communiste) de l'URSS en Europe et dans le monde. Il y avait donc une nécessité d'anticiper une situation de risque pour l'économie américaine. Précisément, le plan Marshall constituait «une réponse à la fois économique et politique» sur un double plan. Permettre à l'économie européenne de «se reconstruire par l'absorption de produits américains» et éviter un «réajustement douloureux du potentiel productif américain». Le plan Marshall était une aide très généreuse constituée d'un fonds sous forme d'un don de 5/6 et le reste, 1/6, sous forme de prêt (pour ainsi dire symbolique). L'intention très réaliste se comprend dans le plan Marshall des Etats-Unis, qui répondait à l'Europe et à l'économie américaine. L'Europe devenait ainsi une «locomotive» par ses importations pour l'économie américaine. En plus, le plan Marshall contribuait dans la demande de dollars en Europe et dans le monde, propulsant le dollar comme la première monnaie de compte et de réserve du monde. La hausse du stock d'or américain passait de 2/3 aux 3/4 des réserves mondiales, en 1949. Cette aide, vu le caractère instable d'une Europe d'après-guerre, a été très bien perçue par les masses populaires en Europe. Elle est venue conforter le prestige dont jouissait la superpuissance dans le rôle capital qu'elle a eu dans la «libération de l'Europe» de l'occupation nazie. Ainsi se comprend la place du plan Marshall dans la stabilisation de l'économie américaine, et évidemment sur l'économie mondiale. 2. L'«absorption des Trois quarts DU monde», l'autre partie de la solution La reconstruction de l'Europe n'a pas seule joué dans la stabilisation et la croissance de l'économie mondiale. Dès 1945, la situation géopolitique et géostratégique mondiale avait commencé à se transformer. Ce qu'on avait dit sur les causes de la crise de 1929 et la dépression économique qui a suivi, c'est-à-dire le déséquilibre qui a existé entre les formidables capacités de production industrielle et agricole des Etats-Unis et de l'Europe dès 1927 et les capacités d'«absorption» de cette production cumulée de part et d'autre de l'Atlantique, qui étaient très faibles au regard de la consommation mondiale, avait été néfaste dans l'entre-deux-guerres. La formidable offre mondiale à cette époque ne trouvait pas une l'absorption requise, du fait d'une demande mondiale limitée à la demande occidentale. Les «Trois Quarts du Monde» colonisés ou assujettis, dans une condition de misère extrême, comptaient peu dans l'«absorption mondiale». Précisément, la fin du second conflit mondial va les voir s'affirmer partout dans le monde. C'est le réveil des peuples colonisés. Un vent de libération soufflait pour ces peuples, de l'Asie aux Indes britanniques et néerlandaises, du Levant à l'Afrique du Nord, de l'Afrique du Nord à l'Afrique du Sud. Partout ce sont les mêmes aspirations indépendantistes, les mêmes revendications de libération et de dignité d'existence. Avec ces mouvements de libération, les nouveaux Etats, l'indépendance retrouvée, auront non seulement changé la carte géopolitique et géostratégique du monde mais également influé sur l'«offre mondiale». Par leurs «capacités d'absorption», ils ont contribué à la résorption du déséquilibre entre la formidable production industrielle et agricole, essentiellement américaine à l'époque, dans le monde, et la consommation mondiale. Un progrès qui va amener dans les décennies suivantes ce qu'on appelle les Trente Glorieuses pour les pays du monde, selon, évidemment, chaque pays selon ses capacités. L'Occident surtout, parce que mieux armé sur le plan financier, technologique et organisationnel qui en bénéficiera le plus. Quant aux pays des «Trois Quarts du Monde», en édifiant leurs nouvelles institutions politiques, leurs structures économiques et sociales pour des Etats viables, ils ont concouru par leurs importations de toute nature (équipements publics, constructions, défense, alimentaires, etc.) au développement du commerce mondial. Malgré la multitude de conflits armés dans ces pays, les décennies 1950 et 1960 ont constitué une longue prospérité pour l'ensemble des pays du monde. L'édification de l'Inde, du Pakistan (indépendance en 1947), de la République populaire de Chine (1949) et les pays d'Afrique ont tous été des contributeurs de premier plan dans la croissance économique mondiale. Le complexe militaro-industriel qui a été particulièrement actif dans la grande compétition entre les blocs Est et Ouest dans la constitution d'arsenaux et de vecteurs nucléaires, l'a été aussi dans l'édification de la défense nationale de ces nouveaux Etats. 3. Les « Trois quarts DU monde catalysés et catalyseurs». Un «plan Marshall-bis inversé» pour l'économie chinoise»? On comprend donc pourquoi ni le déséquilibre des années 1920 ni la dépression des années 1930 ne se sont pas répétés. L '«absorption des Trois Quarts du Monde» a joué un rôle central dans la croissance mondiale. Elle a constitué l'autre «partie de la solution au problème économique et financier de la superpuissance américaine… ». L'économie de l'URSS a, elle aussi, été dopée par la demande de ces «Trois Quarts du Monde» dont elle fait partie. Les «Trois Quarts du Monde» ont donc été «catalysés et catalyseurs» dans cette formidable transformation chimique humaine du monde. Ce qu'il y a d'étrange dans ce changement de visage du monde, c'est qu'avant la guerre, des centaines de millions d'êtres humains étaient écrasés par l'assujettissement occidental, un assujettissement où les peuples d'Occident eux-mêmes n'avaient pas véritablement profité des richesses provenant de ces territoires, puisque ceux-ci, colonisés, assujettis, leurs richesses n'ont apporté que convoitises, sentiments envieux, rivalités entre les puissances occidentales et au final ont déclenché le plus grand conflit que l'humanité ait connu depuis sa genèse. Il aura fallu des horreurs inouïes d'un conflit mondial, donc de graves crises dans le monde pour que des peuples se libèrent, que finissent les empires coloniaux, et que les richesses soient plus ou moins adéquatement réparties dans le monde et amener les puissances à tirer profit du renouveau économique mondial. Un renouveau qui a touché tous les aspects existentiels des peuples : politique, économique, technologique, culturel… Les relations internationales comme les institutions mondiales en sont sorties transformées. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que les crises et les guerres de la première moitié du XXe siècle aient fait table rase du passé de l'Europe et ont annoncé un nouveau départ pour une nouvelle histoire européenne. Ces pays, jadis rivaux dans le partage du monde, se retrouvent en train de fusionner leurs structures pour construire une nouvelle Europe. Aujourd'hui, même, après l'«Union européenne», des voix l'appellent à se fédérer et à créer ce qu'on appelle les «Etats-Unis d'Europe». Là encore, c'est à la suite de la nouvelle crise mondiale de 2008 que de nouveaux impératifs interpellent. Le monde a beaucoup changé aujourd'hui. 1945 fait date dans le déclenchement de la transformation du monde. Au point qu'aujourd'hui encore, des pays d'Afrique et d'ailleurs font encore référence au «plan Marshall» de la fin des années 1940. Ils en appellent aux puissances de leurs vœux pour concrétiser d'autres «plans Marshall», comme si ceux-ci pouvaient se décréter par la seule volonté des puissances. Alors que le plan Marshall, réellement, ne s'est pas décrété, mais a été rendu «nécessaire» pour la superpuissance américaine. Les Etats-Unis devaient choisir entre le risque d'une dépression économique et la croissance. Le plan Marshall aura évité à l'Amérique de s'exposer de nouveau à une dépression économique dans les années 1940 et 1950. Aujourd'hui encore, la Chine utilise une autre forme de plan Marshall, ce qu'on pourrait appeler un «plan Marshall-bis inversé». Elle consent à investir ses excédents commerciaux aux Etats-Unis pour que les Américains importent massivement des produits made in China. Malgré la très faible rémunération des fonds souverains et privés chinois (bons de Trésor américain, etc.), la Chine continue à investir en Amérique. Les Etats-Unis, à l'instar de l'Europe des années 1940, constituent une «locomotive» pour la Chine. C'est cette locomotive américaine, par ses déficits commerciaux cumulés avec la Chine, qui a permis en grande partie à la Chine de gravir les échelons en termes de PIB et passer, en 2010, au deuxième rang de puissance économique dans le monde. Ainsi, on peut voir qu'un plan Marshall peut apparaître sous diverses formes, s'habiller selon les conjonctures économiques dans le monde, mais il ne se décrète pas parce qu'il entre dans « les lois de la nécessité».
Note : Cet article est tiré d'une étude qui a pour titre « ECONOMIE MONDIALE : le sens des crises financières sur l'évolution du monde ». Chapitre 3, Partie 3.2. En cours de parution