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140 millions d'euros pour le Trésor public
Publié dans El Watan le 19 - 12 - 2015

Sa prise en charge reste orientée essentiellement vers la dialyse avec très peu de greffes à partir de donneur vivant apparenté (DVA) et quasiment pas de greffe à partir d'un donneur en état de mort encéphalique (DEME). La greffe rénale par DVA étant de loin le meilleur traitement de l'IRCT, on est en droit de se demander pourquoi cette activité n'arrive pas à se développer et ce serait donc un non-sens d'avoir 15 centres greffeurs qui arrivent à effectuer tout juste le même nombre de greffes par an qu'un seul centre performant effectue couramment. Sont-ils correctement structurés ?
Existe-t-il un cahier des charges qui précise avec rigueur les critères que doit remplir un centre pour être autorisé à greffer, à savoir un descriptif précis d'un plateau technique, la composition et les qualifications des équipes médico-chirurgicales, l'organisation de la greffe et les procédures qui en découlent, et enfin les modalités de prise en charge du patient et du donneur en pré- et post-greffe. Si ces conditions sont réunies, les centres seraient en mesure d'effectuer au moins cinq fois plus de greffes que ce qu'ils n'en exécutent actuellement.
Pour la greffe d'organe à partir d'un DEME, les cadres juridiques (loi 85/05 du 16 février 1985 relative à la protection et la promotion de la santé et la loi 90/17 du 31 juillet modifiant et complétant la loi 85/05) et religieux (notamment la proclamation publique en novembre 1985 de la Fatwa par le biais de Cheikh Hammani, en présence de représentants de haut niveau du culte musulman, Cheikh Ghazali, Cheikh Ali Meghribi, Pr Chibane) autorisent ce type de prélèvement pour peu que les conditions de gratuité, d'anonymat et non-refus du donneur de son vivant ou de ses proches parents soient scrupuleusement respectées. La situation est restée en l'état jusqu'à la proclamation du décret 12/167 du 5 avril 2012 portant création de l'Agence nationale de greffe (ANG). Elle est chargée de relancer la greffe d'organes et de tissus à l'échelle nationale et d'en assurer la coordination et le développement.
Cette agence donne l'espoir que la greffe en Algérie va redémarrer sur de nouvelles bases. La contribution du CHU Mustapha au développement de la greffe s'est faite à travers un plan d'action élaboré et piloté par un comité appelé Comité de Greffe, spécialement créé le 11 novembre 2014 par la Direction générale du CHU et en concertation avec Monsieur le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. La mission qui lui a été confiée est de redynamiser l'activité de greffe rénale au sein de l'établissement. Il devait par conséquent cerner les contraintes que rencontre cette activité, d'envisager les mesures correctives, et de préparer un plan pour son développement.
Le défi que le comité a eu à relever est de trouver rapidement la manière et les moyens pour arriver à augmenter significativement le nombre de greffes à partir d'un DVA et de déterminer parallèlement les conditions requises pour le lancement de la greffe à partir d'un DEME. Pour augmenter le nombre de greffes à partir d'un DVA, le comité a arrêté le principe d'effectuer un minimum d'une greffe par semaine sur cinquante semaines équivalent à cinquante greffes pour l'année 2015. Cet objectif est tout à fait raisonnable et réalisable, quand bien même il s'agit de multiplier par 250% le nombre de greffes effectuées annuellement jusqu'à présent.
La réalisation du nombre de greffes projeté a nécessité un examen du plateau technique qui a été jugé suffisant, une révision de l'organisation existante, sans pour autant perturber complètement son fonctionnement. Elle a nécessité également une préparation préalable, notamment pour la mobilisation des ressources qui correspondent au programme arrêté. Tous les besoins exprimés par chacune des structures ont été honorés par la Direction générale du CHU. La coordination des travaux a été confiée au comité.
Enfin, cet objectif ne pouvait être atteint sans la création d'une deuxième équipe de greffe domiciliée au niveau du service de la chirurgie générale (Pr K. Chaou). La mise en place de cette dernière s'est faite à partir d'un redéploiement des moyens existants au niveau du CHU et n'a engendré aucune dépense supplémentaire. Elle a permis en outre, en un laps de temps très court, la formation d'une équipe médico-chirurgicale. Assistée à ses débuts par deux chirurgiens (Prs A. Nakhla et N. Benasla), l'équipe est actuellement entièrement autonome.
Ainsi, le CHU dispose de deux équipes de greffe qui, début décembre, ont atteint l'objectif fixé. Mais surtout, et c'est le plus important, la mise en service de cette équipe avec les améliorations que nous ne manquerons pas d'apporter va permettre au CHU d'envisager un objectif pour l'année 2016 de l'ordre de 80 greffes.
Il est entendu que l'objectif 2017 dépasserait les 100 greffes. Si la mise en œuvre de ces mesures rend le CHU capable d'assurer cette montée en cadence, le maintien de cette performance ne peut être atteint d'une manière permanente sans une mise à niveau de l'ensemble des structures impliquées. Le comité proposerait dans son plan d'action pour l'année 2016 le principe de préparer un cahier des charges dans lequel il spécifiera l'essentiel des exigences pour y parvenir, il pourra se faire assister par des experts externes s'il le juge nécessaire.
Pour l'introduction de la greffe à partir d'un DEME comme activité de soins, le comité, conscient de l'extrême difficulté de sa mise en œuvre car elle dépend en grande partie de nombreux facteurs externes qui sont loin d'être réunis actuellement, a adopté une démarche progressive pour lui assurer un démarrage dans de bonnes conditions. Il s'agit dans un premier volet d'évaluer les capacités du CHU à entreprendre ce type de greffe, d'arrêter et de mettre en application un plan d'action pour apporter les mesures correctives nécessaires.
Cette évaluation a nécessité au préalable de configurer cette activité en deux processus distincts, le processus de prélèvement d'organes et le processus de greffe. Le processus de greffe gardera son organisation telle qu'indiquée ci-dessus. Le processus de prélèvement a été décomposé en sept stations autonomes et complémentaires placées respectivement sous la responsabilité du chef de service compétent. Elles étendent leurs activités successivement de l'accueil du potentiel donneur en état de coma grave jusqu'au prélèvement du greffon et la restitution du corps à la famille dans des conditions respectables.
Elles sont organisées autour de la coordination hospitalière également installée, dont la responsable a bénéficié d'une formation auprès de l'agence de biomédecine. Son rôle est de recenser les donneurs potentiels d'organes, solliciter l'accord des proches parents du défunt pour le don, coordonner et organiser le prélèvement avec les différents professionnels de santé et les équipes chirurgicales de prélèvement d'organes en vue de la greffe. Elle accompagne les proches des donneurs avant et après le prélèvement d'organes.
L'évaluation s'est faite sous la forme de simulation afin de situer les insuffisances de chaque station. Le constat qu'on a pu faire après quatre simulations est que si sur le plan logistique les moyens mis en place peuvent être jugés satisfaisants, des insuffisances ont été constatées notamment en matière de communication, les différents partenaires sont difficilement joignables, d'autant plus que le processus de prélèvement se déroule dans un contexte d'urgence et qu'ils doivent être prêts à intervenir à tout moment du jour et de la nuit.
On note également de légers dysfonctionnements en matière de préparation et d'organisation liés à notre manque d'expérience. Par contre, deux goulots d'étranglement ressortent : l'un se situe au niveau de l'approche des familles ; on assiste là à une quasi-totale réticence des proches parents qui refusent systématiquement d'entendre parler de don. L'autre se situe au niveau de la disponibilité d'équipes médico-chirurgicales dédiées à la greffe.Le personnel existant est insuffisamment formé et informé.
Dans l'immédiat, un programme de formation d'urgence leur a été destiné, il concerne deux médecins et deux techniciens en réanimation, deux techniciens en électroencéphalogramme, un chirurgien préleveur et une coordinatrice du bloc du service des urgences (auprès des services de transplantation à Paris et à Marseille). Le deuxième volet consiste à introduire la liste d'attente des receveurs comme instrument de travail et de prise de décision. Afin de pouvoir bénéficier d'un greffon, tous les candidats à la greffe rénale devraient obligatoirement être inscrits dans un fichier tenu à jour, mentionnant toutes les informations qui les concernent, notamment celles relatives à leur dossier médical.
De par le nombre très important des patients susceptibles d'être inscrits, l'exploitation manuelle de cette liste est quasiment impossible. Le comité a eu donc recours à l'assistance d'un bureau d'études en informatique pour mettre au point un logiciel dédié à la greffe. Ce logiciel, propriété du CHU Mustapha intitulé «El Hayat», est indispensable pour la gestion du processus de greffe utilisable par les différents acteurs participant à la greffe, adapté au contexte et ouvert à toute éventuelle évolution.
Il permet un accès rapide à toutes les données concernant le receveur. Lorsqu'un greffon est disponible, il suffit d'introduire les données du donneur potentiel, El Hayat sélectionne dans l'urgence parmi tous les receveurs celui qui est adéquat pour le greffon proposé. Chaque patient se voit affecter un score de répartition et d'attribution basé sur des critères immunologiques et non immunologiques. Ces critères à instaurer par voie réglementaire permettront à tous les patients de pouvoir bénéficier d'une greffe en toute équité.
En outre, l'exploitation informatique de la liste d'attente permet de donner des indications sur l'incidence et la prévalence de l'IRCT, de mettre en place un système d'évaluation et de prévisions. L'exploitation statistique permet de comparer nos résultats par rapport aux normes et standards internationaux sans avoir à faire des approximations et autres extrapolations. La greffe par DEME dépend aussi de la réunion d'un ensemble d'autres facteurs.
Elle doit en effet disposer d'une logistique adéquate pour l'acheminement des greffons dans le respect des règles d'hygiène et de sécurité (le prélèvement du greffon et sa greffe pouvant se faire dans deux établissements différents, parfois éloignés) d'un réseau qui intègre des centres de greffe performants judicieusement répartis, d'un système de communication permettant la transmission des informations en temps réel, et d'un système de sensibilisation au don d'organes.
Enfin, elle nécessite une organisation fiable pour coordonner l'ensemble des systèmes ci-dessus énumérés et mettre en place les mécanismes pour fixer les règles et standards liés aux bonnes pratiques. L'enjeu est de trouver comment justement mettre en place un dispositif qui permet d'installer des structures fiables capables de concrétiser ce programme ambitieux et parallèlement assurer une augmentation conséquente du nombre de greffes dans les délais les plus courts.
Dans notre précédente contribution parue dans le journal El Watan en date du 13/06/2010, nous avons jugé que réaliser un minimum de 30 greffes rénales par million d'habitants et par an (équivalent à 1000 greffes environ), serait un objectif qui permettrait à moyen terme de réduire considérablement l'impact de la progression de l'IRCT.
La réalisation de cet objectif, si ce dernir est retenu, implique l'adoption d'un plan pluriannuel qui fait participer obligatoirement tous les partenaires de la greffe, de l'autorité politique aux centres greffeurs.Car, quand bien même le centre habilité dispose de tous les moyens, il ne serait pas en mesure d'effectuer autant de greffes devant l'absence des facteurs ci-dessus énumérés.
Par ailleurs, cet objectif ne peut être atteint si on ne dispose pas d'au moins 12 centres de greffe performants qui seraient en mesure de réaliser un minimum de 100 greffes par an. Les différents partenaires se situent sur trois niveaux : le niveau politique, le niveau de soutien et le niveau opérationnel. Les activités d'ordre politique et stratégique traduisent en objectifs, dans la filière de soins concernée, la politique nationale en matière de santé, en déterminant les stratégies pour y parvenir, élaborent les plans pluriannuels (Plan national de greffe) et en contrôle l'exécution. C'est à ce niveau que doit être prise la décision de l'objectif de 1000 greffes rénales par an, à quelle échéance, et avec quels moyens. Les activités d'ordre fonctionnel et de soutien seraient exercées en l'occurrence par l'ANG qui aurait un rôle prépondérant à jouer.
C'est à elle que serait confiée la réalisation des objectifs fixés conformément aux stratégies arrêtées par le niveau politique. Elle serait tenue d'établir les cahiers des charges que les centres doivent observer pour être autorisés à effectuer la greffe, notamment à partir de DEME. Elle devrait assurer la coordination de ces centres et répondre à leurs multiples exigences, en particulier la création d'un environnement tel que requis et décrit précédemment.
Il nous semble judicieux dès à présent d'engager la phase préparatoire et d'entreprendre une réflexion autour des points suivants : la généralisation de la liste d'attente nationale, la sensibilisation au don d'organes (professionnels de santé, grand public, collèges, mosquées, etc.) pour augmenter le nombre des donneurs (on ne peut pas effectuer de greffe si nous ne disposons pas de donneurs), la création d'un réseau national de greffe, la détermination des moyens logistiques pour assurer une interconnexion à l'intérieur du réseau.
Quant aux activités opérationnelles, la démarche la plus plausible est de procéder à la création d'un centre pilote capable de réaliser un minimum de 100 greffes par an et le généraliser par la suite. Pour notre part, nous pensons que les actions menées au niveau du CHU Mustapha autorisent à considérer comme pilote son centre de greffe.
Néanmoins, des mesures en matière d'organisation, de recrutement, de formation et d'un complément d'investissement seraient nécessaires. Elles doivent faire l'objet d'un plan d'action. Sur un autre plan, souvent ignoré, la réalisation de 1000 greffes rénales par an induirait un impact financier et économique. On ne dispose pas de données nationales pour effectuer une évaluation, par contre si on se réfère aux données de la littérature, on peut donner à titre indicatif une estimation de cet impact.
En effet, Info Santé (Le coût de l'IRCT pour la société, mai 2011) donne les coûts suivants : 89 000 euros par an pour l'hémodialyse, 86 000 euros pour la greffe rénale et 20 000 euros sous forme de traitement pour les années qui suivent la greffe. Sur la base de ces coûts, nos calculs permettent de dire : faire bénéficier 1000 patients d'une greffe rénale chaque année sur une durée de cinq ans permettrait d'économiser au système national de soins et de santé l'équivalent de sept cent cinq millions d'euros (705 000 000 d'euros) représentant approximativement quatre-vingt quatre milliards et six cent millions de dinars (84 600 000 000 DA) et l'équivalent de cent quarante millions d'euros (140 000 000 euros) par an représentant seize milliards neuf cent vingt millions de dinars (16 920 000 000 DA).
Chaque année de retard engendrerait une perte équivalente au montant ci-dessus mentionné. En conclusion, l'amélioration de la prise en charge de l'IRCT par la greffe rénale est nécessaire, elle est possible, elle ne coûterait aucun centime au Trésor public. Au contraire, elle permettrait des économies au système national de santé, mais elle est délicate à mettre en place. Elle exige un engagement ferme et une forte implication des pouvoirs publics comme chef de file intransigeant. L'enjeu n'est plus uniquement un enjeu de santé, il est aussi un enjeu économique.


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