Le scandale qui secoue depuis le début de l'année la première compagnie nationale a dévoilé un mode de gestion des plus délétères de ce qui fait la seule ressource viable de l'Algérie. Un constat amer qui donne réellement froid dans le dos compte tenu de l'importance de cette société et de son impact sur l'économie nationale. L'Algérie n'avait pas le droit de laisser faire cela, ne serait-ce que pour préserver les ressources énergétiques pour les générations futures. On ne peut disposer de Sonatrach comme on dispose de tout autre entreprise ; il s'agit tout de même de la mamelle nourricière de ce pays qui n'a pas su disposer de ses autres richesses. Au-delà de son caractère purement économique, l'affaire Sonatrach pose réellement un problème de sécurité nationale. Il s'agit d'une atteinte aux biens des Algériens et à un secteur de souveraineté. On ne peut et on ne doit soustraire Sonatrach à sa vocation de veiller à la fois à gérer et à préserver les richesses d'un sous-sol arraché aux colonisateurs au prix d'un million et demi de martyrs. Sonatrach n'est pas une compagnie privée et le pétrole ne lui appartient pas. De l'affaire BRC au scandale éclaboussant les cadres dirigeants en passant par les révélations de cadres sur de graves dérives dans des marchés contractés par Sonatrach, l'on est tenté de croire que la compagnie nationale est au centre d'un tourbillon de malversations et ne peut en sortir sans un bon coup de balai. Toute cette flopée de scandales dirige notre curiosité sur cette fameuse partie de l'iceberg dont tout le monde parle et qui reste cachée. Elle incite en outre à des questionnements sur l'actuelle direction intérimaire. Le caractère intérimaire de cette direction ne fragilise-t-il pas davantage l'image de la compagnie vis-à-vis de ses partenaires ? Certes, la justice ne s'est pas encore prononcée sur le sort de Mohamed Meziane, mais il se trouve que la nature publique et stratégique de Sonatrach, oblige à la nomination d'une direction appuyée, compétente et pérenne ne serait-ce que pour rétablir un climat de confiance et surtout minimiser l'impact du scandale sur la société. A noter que ce scandale intervient dans une conjoncture marquée par un tournant important dans l'avenir des pays pétroliers. Le marché étant ce qu'il est aujourd'hui avec la fluctuation des prix du pétrole, la tendance à l'épuisement des réserves énergétiques et l'apparition de nouveaux concurrents pétroliers sur la scène, les pays producteurs revoient leur copie et s'organisent en fonction de cette nouvelle donne qui favorise la prudence et la préparation de l'après-pétrole. Nicolas Sarkis : « L'Algérie va devenir un importateur de pétrole » Où en est Sonatrach, dans ce tumulte ? Il n'est un secret pour personne que la grande dépendance de l'Algérie des hydrocarbures lui indique de préserver au mieux ses richesses pétrolières et gazières. Mais est-ce réellement le cas ? Les experts disent malheureusement le contraire. Après que la revue statistique de British Petroleum ait prédit, en 2004, que l'Algérie deviendrait un pays importateur de pétrole dans 16 ans, l'expert international Nicolas Sarkis vient d'ajouter sa pierre à cette prédiction. Intervenant hier dans les colonnes de notre confrère El Khabar, le directeur du Centre d'études pétrolières et de la revue Pétrole et Gaz Arabes affirme que l'Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. « L'Algérie est le pays qui détient le plus faible taux de production et de réserves à l'Opep… De plus, nous remarquons que du fait de l'augmentation des besoins énergétiques internes, l'Algérie ne pourra pas exporter dans un proche avenir des quantités importantes de pétrole », indique M. Sarkis. Le même expert estime que l'Algérie n'a pas joué la prudence dans l'exploitation de ses richesses : « Non seulement la dépendance aux hydrocarbures a augmenté de 70% dans les années 1970 à 98% aujourd'hui, fragilisant ainsi les équilibres économiques, de plus on décide d'une politique d'augmentation des capacités de production en se fixant un objectif de 2 millions de barils par jour. Certes, cet objectif a été évincé, mais il reste que la production actuelle, estimée à 1,4 million de baril/jour, demeure élevée. » N. Sarkis s'interroge sur cette propension algérienne à vouloir épuiser les réserves : « C'est une erreur que de penser à gagner beaucoup d'argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle », dit-il. Plaidant pour une exploitation rationnelle des hydrocarbures, il signale que les réserves de Hassi Messaoud s'amenuisent et que les nouvelles découvertes ne font que couvrir cette faiblesse pour un temps. « Avec le maintien de sa dépendance aux hydrocarbures, l'Algérie peut se réveiller un jour sur une situation très douloureuse », note M. Sarkis, qui espère que les cadres de Sonatrach poursuivis par la justice soient innocents, sinon « l'impact sera très négatif sur l'image et la réputation de l'Algérie ». A la lumière de ces déclarations, les Algériens ne devraient pas minimiser le coup que vient de subir la première compagnie nationale. Il y va de leur avenir.