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Nadia Matoub : « Mon combat pour la mémoire de Lounès »
Publié dans El Watan le 23 - 06 - 2017

« Depuis la mort de Lounes, j'ai subi tous les dénis : je n'étais sa femme légitime. Il ne m'a jamais aimé. Je n'étais pas une victime et je n'avais jamais été blessée. Je n'avais même plus le droit de rentrer dans ce qui était notre maison. Tout ce que je pouvais dire n'était que mensonges et manipulations. Je ne sais pas comment j'ai pu tenir toutes ces années mais je me suis interdit de flancher pour lui. Pour Lounes mais aussi pour mes sœurs et mes parents que j'avais entraînés bien malgré moi dans ce tourbillon infernal ».
Ce sont les propos d'une femme certes profondément blessée mais sereine et apaisée. Les paroles d'une femme qui, du statut de victime, s'est retrouvée dans celui de coupable idéale et de pestiférée à qui l'on demande, au mieux de se taire, au pire de se faire oublier. Ce mardi 19 juin 2017, Nadia, la veuve de Lounes Matoub, a accepté de nous ouvrir les portes de sa maison et celle de son cœur pour nous raconter son long combat pour revenir à la vie. C'est le témoignage d'une femme qui se bat depuis 19 ans pour retrouver sa place. D'abord une place dans la vie puis une petite place dans le cercle familial de son mari d'où elle a été exclue.
Le propos est mesuré mais le ton sans ambages : « Je suis une victime mais je ne veux plus réagir en tant que victime. Maintenant je me bats. Lounes aurait aimé que j'aie mes droits donc je me bats pour les avoir. J'ai des choses à faire pour préserver son combat et sa mémoire. Mon but est de reprendre ma place. Je suis la veuve de Lounes et je veux être l'une des gardiennes fidèles de sa mémoire», dit Nadia Matoub. La jeune femme essaie d'apporter des réponses, d'expliquer cet effacement programmé et ses longues années de déni dont elle se dit victime : « Les gens ne comprenaient pas l'état dans lequel je vivais. Ils n'avaient aucune idée des blessures physiques et du traumatisme psychologique que je venais de subir. J'ai fini par comprendre que la mort de Lounes avait occulté tout le reste.
Pour toute la Kabylie, il n'y avait rien d'autre que cette mort traumatisante », explique Nadia Matoub assise dans le salon familial sous un immense portrait de son mari. Le conte de fée qu'elle venait à peine d'entamer avec l'élu de son cœur s'est tragiquement achevé en ce début d'après-midi du jeudi 25 juin 1998. Un séisme d'une magnitude sans précédent va secouer la Kabylie et toute l'Algérie. Au sortir d'un virage, sur la route d'Ath Douala, au lieu-dit Tala Bounane, la voiture de Matoub Lounes, monstre sacré de la chanson berbère, est la cible d'un feu nourri de la part d'un groupe armé. Le chanteur résiste et riposte avec sa kalachnikov mais il sera achevé à bout portant d'une balle dans la tête après avoir été blessé. Touchée de plusieurs balles au ventre et à la hanche, sa femme, Nadia, est laissée pour morte. Ses deux sœurs, Ouarda et Farida, gisent sur la banquette arrière, grièvement blessées.
« La vie continuait sans moi, sans Lounes »
Après l'attentat qui a coûté la vie à son mari, Nadia est clouée pendant 40 jours sur un lit d'hôpital. Les dix premiers jours elle est pratiquement inconsciente. « J'avais des douleurs atroces et des fièvres incessantes consumaient tout mon corps à cause des infections que je faisais », se souvient-t-elle. Les médecins, notamment les deux chirurgiens qui l'opèrent, sont inquiets et ne lui accordent pas beaucoup de chances de survivre. Seulement, Nadia est une battante comme son rebelle de mari. Elle s'accroche à la vie. « Je m'accrochais à la vie comme le noyé à une planche de salut. Je me battais pour survivre aidée par cet instinct de survie présent dans tout être humain », dit-elle. Au bout de 40 jours de soins à Tizi Ouzou, Nadia est évacuée à l'hôpital militaire d'Ain Naadja mais elle se sent mal à l'aise au milieu de tous ces uniformes militaires.
« Cela m'inquiétais plus qu'autre chose. J'ai préféré alors revenir à Tizi malgré le peu de moyens qu'il y avait là bas », dit-elle. La première fois qu'elle pose les yeux sur un décor qui n'est pas une chambre d'hôpital, elle est choquée de voir des gens vaquer le plus normalement du monde à leurs affaires. Elle prend conscience que la vie, finalement, ne s'est pas arrêté ce satané 25 juin 1998. Elle continuait finalement. Sans elle et sans Lounes mais elle continue. « Malgré tout, malgré la mort de Lounes, la vie continuait. Depuis l'attentat, la vie s'était arrêtée pour moi. J'étais dans un autre monde », raconte Nadia qui sortira de l'hôpital sur des béquilles le 6 août 1998. A la maison conjugale où elle se rend, l'accueil est plus que glacial et avec la belle famille, les choses tournent très vite au vinaigre.
« J'ai même eu une crise avant de tomber par terre. Je n'étais pas encore rétablie. Je tremblais sur mes béquilles. Je ne comprenais pas ce qui se passait et ne réalisais pas encore tout ce qui m'arrivait ». Elle passe quand même la nuit à Taourirt-Moussa mais le lendemain, le 7 août, à 10 heures du matin, une voiture vient la conduire chez ses parents. Elle entend des cris de femme qui réveillent toutes ses peurs et ses angoisses. Encore profondément traumatisée, elle ne supporte ni cris ni bruits et part se reposer chez ses parents. A son prochain retour dans la maison conjugale, il y a aura encore d'autres conflits. « Dès qu'on a vu arriver la voiture qui me ramenait, on a fermé toutes les portes. J'ai été insulté à travers un mégaphone. J'ai donc dû faire demi tour et m'en aller », dit-elle.
De victime à coupable désignée
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Nadia tente tant bien que mal de régler quelques affaires courantes. Elle est reçue par le procureur, répond aux convocations des gendarmes, contacte des avocats mais les portes se ferment devant elle les unes après les autres. La mort de Matoub Lounes est devenue un sujet tabou. « J'étais seule et très affaiblie moralement et physiquement. J'étais une victime mais quelque part, on avait décidé de me sacrifier », dit-elle.
Nadia décide de partir en France mais là bas aussi, le terrain lui est devenu hostile. « Je ne savais pas que la propagande qui avait été menée contre moi avait pris autant d'ampleur. Dans la communauté kabyle puis au sein de le presse française. Certains titres comme Libération ou Le Monde reprenaient à leurs comptes toutes les insinuations qui faisaient de moi une coupable, une complice dans l'assassinat de mon mari et non une victime. Avec le recul je me dis que ce qu'on avait fait subir à cette jeune femme de 22 ans, blessée, traumatisée et esseulée est vraiment criminel », soupire Nadia. Seule et affaiblie, Nadia Matoub ne pouvait compter que sur le soutien de sa proche famille et deux ou trois amis.
« Quelques rares amis, comme Mohamed Bessa, m'avaient apporté énormément de soutien. J'ai commencé à demander des droits de réponse. Et au lieu de m'occuper de mes soins, je passais mon temps à répondre aux uns et aux autres », se rappelle-t-elle. Avec un avocat, ses droits de réponse passaient plus facilement dans les médias. Vint ensuite le fameux document du « Maol », un obscur mouvement « d'officiers libres » passé maître dans l'art de la théorie du complot. « Je n'y comprenais rien à leurs thèses sauf qu'à la fin on émettait des doutes sur moi. Ma plainte contre eux n'avait pas abouti car le serveur de leur site était domicilié en Angleterre. Avec tout ça, il fallait continuer les soins pour nous trois. Ouarda avait fait d'autres opérations pour les multiples fractures de son bras et on avait opéré également Farida pour lui extraire deux balles qu'elle avait dans le dos », dit Nadia dans un long soupir de lassitude.
La jeune femme se met à l'écriture et publie un livre témoignage. « Un peu dans la précipitation car, quelque part, j'avais envie de parler. J'évoquais l'attentat mais c'est aussi un témoignage de ce que j'avais vécu avec Lounes. A vrai dire, je n'ai pas de grande satisfaction par rapport à ce livre. C'était surtout un besoin de m'exprimer à cette époque. Même dans l'urgence », avoue Nadia. La sortie du livre ne l'épargne pas des attaques. « On cherchait des détails dans le livre. On n'essayait pas de me contredire. Il y avait une vraie de volonté de me casser et de m'effacer… »
Au printemps 2001, la Kabylie gronde d'une révolte que le pouvoir tente de noyer dans un bain de sang. C'est ce moment que choisit Nadia Matoub pour rentrer de France. « J'avais juste envie d'être là. Parmi les miens, avec tout ce qui se passait en Kabylie. J'ai fait à ce moment là, une autre tentative d'aller à Taourirt. A l'époque, la seule autorité, c'était les « Arrouch ». Je me suis donc adressée à eux. A ceux de Bouzeguene pour prévenir ceux d'Ath Douala que j'allais passer à la maison pour que tout se passe bien. A ma grande surprise, on me répond qu'il ne valait mieux pas que j'y aille. Ta belle mère ne veut pas de toi ! J'étais perdue, je ne savais si je devais me mettre en colère, crier ou pleurer », raconte Nadia.
Lettres d'insultes et de menaces
Pourtant, pour elle les choses sont claires. Elle ne demandait pas d'autorisation. Elle cherchait juste à prévenir de son passage. « Je suis partie me recueillir sur la tombe de Lounes puis en voulant rentrer à la maison, un membre de la fondation m'a barré la route en se mettant sur mon chemin les bras ouverts. Il me dit : « on t'a seulement donné l'autorisation de te recueillir sur la tombe. Pas plus », dit-elle. Pour Nadia Matoub, en dehors du conflit familial, c'est toute la société qui était disposée à accepter le déni qui la frappait. « Pour eux la famille seule souffrait, moi, je n'étais qu'une étrangère qui devait retourner dans son coin et se faire oublier au plus vite. On essayait de m'effacer mais pour moi, c'est une partie de Lounes qu'on essayait de gommer. Parce que je faisais partie de sa vie, qu'on le veuille ou non », dit-elle encore.
En France, Nadia continuait à recevoir des lettres de menaces et d'insultes courageusement anonymes. « Il y avait même des tracts distribués contre moi à paris. J'ai déposé plainte pour menaces de mort mais qui n'ont pas abouti », dit elle. La maladie de son père survient comme un nouveau coup du sort. Elle va se consacrer à lui jusqu'à son décès en 2003. Une nouvelle période difficile s'ouvre devant elle. « Quelque part, je perdais mon deuxième et dernier protecteur.
A partir de là, j'ai commencé à avoir des soucis de santé. Mon fragile équilibre psychologique était rompu. J'avais des crises de panique, d'angoisse, je me cloitrais à la maison. Ma vie se résumait à des soins au milieu d'une grave et profonde déprime », dit-elle. Nadia va rentrer dans un long tunnel qui va durer de 2003 jusqu'à 2007 et ne va s'en sortir que grâce à une poignée d'amis qui vont essayer de lui maintenir la tête hors de l'eau. A partir de 2007, la femme du Rebelle décide de se battre. « Je ne voulais plus mourir sans avoir obtenu que justice soit rendue à Lounes en premier puis pour moi et mes sœurs », dit-elle. Rentrée en 2008, elle tente de relancer l'affaire en compagnie de Me Hanoune, son avocat. Elle dépose plainte contre X pour tentative d'assassinat contre elle et ses sœurs mais cela n'aboutit car, lui dit-on, c'est le même dossier que celui de l'assassinat de Lounes. « J'ai vu un juge d'instruction qui avait promis de tout reprendre depuis l'enquête depuis le début. Quelque temps après, on apprend qu'il y a un procès.
Cela se passe en 2011. J'avais alors compris que, même s'il y avait des bonnes volontés au niveau de la justice, il y avait aussi une volonté politique de liquider au plus vite cette affaire », raconte encore Nadia Matoub. Entretemps les jours et les années s'écoulent et elle se rend compte qu'elle n'a aucun projet de vie. « Je ne savais plus comment ce que c'était que de travailler pour gagner sa vie. Je n'avais plus de futur. Juste un passé morbide et un présent déprimant. J'ai essayé de travailler, de faire quelques stages, quelques formations. Mais une chose est restée valable pour moi : après mon bac, je voulais faire littérature française, et je m'étais dit que ce serait vraiment une victoire que de reprendre mes études », dit elle.
Nouvelles études, nouveau départ
Elle entame donc des études pour une licence de littérature française après 16 ans d'interruption. « C'était pour moi une grande victoire que de reprendre mes études, de me battre année après année. Je me réconciliais avec celle que j'étais. Je recommençais à avoir confiance en moi. Finalement je pouvais faire quelque chose », estime Nadia qui tout doucement tente de se reconstruire. « Même pour défendre Lounes il fallait d'abord que je sois forte moi-même. Capable de me défendre moi-même. Après tant de dénis, j'existais de nouveau. Niée dans mon existence même je ne pouvais même pas faire mon deuil.
D'ailleurs, les premières années après la disparition de Lounes, personne ne m'a jamais présenté ses condoléances. On dirait que je n'étais pas sa femme. On présentait ses condoléances à la famille mais pas à moi. Je me battais au sein de la société non pas pour imposer la parité homme femme mais pour trouver une place entre une mère et une sœur. La société est favorable à ce déni car dans nos traditions, la femme doit s'effacer après la mort de son mari.
On comprend la douleur de la mère mais pas celle de l'épouse », raconte encore Nadia. Elle commençait à retrouver sa force et sa confiance. Dans l'adversité, elle en était arrivée même à douter que Lounes l'ait aimé un jour. « Je doutais de ma propre histoire. Il y a deux ans, j'ai replongé dans les derniers textes que Lounes avaient écrit quand on était en France. 7 ou 8 textes dans lesquels il exprimait son amour et l'un d'eux m'a fait pleurer. C'était comme un séisme pour moi.
On m'a tellement détruite au point de me faire oublier l'amour qu'il avait pour moi. Cela m'a redonné de la force. Je commençais à me réconcilier avec mon histoire et j'ai décidé de reprendre ma place. Ma place d'épouse et ma place en tant que personne en dehors de ce lien. Beaucoup de choses nous liaient et lui seul voyait la différence d'âge entre nous. Il avait plutôt tendance à s'appuyer sur ça et me parlais souvent de la force que je lui apportais », dit encore Nadia.
En 2016, le bruit court que la maison de Matoub Lounes va être classée comme patrimoine culturel national. Nadia décide aussitôt de réagir. « Cela m'a donné la force de revenir. J'ai décidé de revenir sur place et de faire opposition. Comment accepter qu'un jour la maison de Lounes puisse devenir propriété de l'Etat algérien, lui qui n'avait aucune existence officielle pour cet Etat ? Demain, s'il y a des conférences ou des commémorations dans la maison de Lounes, il faudra leur demander des autorisations. Son combat et son nom seront récupérés. Il risque même d'être censuré chez lui », s'insurge Nadia. Elle fait une première opposition qui reste lettre morte et décide de revenir à la charge par l'entremise de son avocat et d'un huissier de justice. La direction de la culture s'abstient alors de procéder au classement de la maison du fait du litige qui existe entre la veuve du chanteur et sa famille. La procédure de classement de la maison Matoub Lounes en tant que patrimoine culturel national est suspendue.
« Depuis mon retour, j'ai aussi entamé la procédure légale pour avoir mes droits en tant que veuve. J'ai vécu avec Lounes une année mais je suis en manque de mots exceptionnels pour décrire cette année de vie commune. Ensuite j'ai vécu le pire. Cette année de bonheur je l'ai payé très cher. Je suis une victime mais je ne veux plus réagir en tant que victime. J'ai des choses à faire pour préserver son combat et sa mémoire. Mon but est de reprendre ma place », témoigne Nadia.
Retour à Taourirt-Moussa
Après des années de rupture, les deux parties reprennent langue par avocats interposés. On a décidé de discuter, de négocier. Un arrangement à l'amiable se profile à l'horizon. « L'une de nos premières exigences est que je puisse réinvestir les lieux en toute sécurité. Rien n'est acquis jusqu'à présent. Je dois passer par mon avocat et négocier rien que pour rentrer à la maison », dit-elle. Nadia obtient le droit de remettre les pieds dans la maison conjugale. « J'avais peur de me retrouver là bas, de moi-même, de ce que j'allais revivre. Je n'avais pas envie de replonger », dit-elle. Un rendez-vous est néanmoins convenu. Le 18 juin passé, à 13 heures, Nadia Matoub remet les pieds dans la maison de son défunt mari après 19 ans d'absence. Elle est accompagnée de son avocat, Me Amrani, d'un ami et d'un journaliste.
« C'est ma journée à moi. Je n'avais prévenu personne dans ma famille mis à part ma petite sœur. Je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent. Quand elle arrive enfin à Taourit-Moussa, tout lui paraît différent. « Nous passons bien évidemment par les lieux de l'attentat. Les routes me semblent plus petites, étrangement étroites. Tout a rétréci pour moi. Tout me paraît plus petit ». La visite commence bien évidemment par le tombeau de Lounes. La jeune femme a du mal à retenir ses larmes. « Tout s'est mélangé dans ma tête et dans mon cœur. Je ne savais plus pour qui je pleurais pour lui ou pour moi ou pour nous deux. J'ai fait le tour et je commençais à trembler avant de rentrer dans ce qui était notre foyer. Là où s'était déroulée toute notre histoire. J'avais peur d'y mettre les pieds. Je me suis ressaisie. On a frappé à la porte. Une personne qui travaille dans la maison nous ouvert et souhaité la bienvenue », raconte Nadia.
Je cherchais sa présence, son odeur
Dans la maison où elle a vécu avec son rebelle de mari, il y a beaucoup de changements mais son souhait est surtout d'aller dans ce qui fut leur chambre à eux. « J'ai enlevé mes sandales pour y aller pieds nus, sentir le sol, avoir un contact physique avec les lieux. On m'a donné les clés pour ouvrir ma chambre. Je suis rentrée et j'y suis restée un bon moment. Je m'attendais à retrouver son odeur comme lorsque je vivais avec lui. Il y avait une odeur masculine bien à lui, présente, forte qui m'avait frappé dès le premier jour où j'étais rentrée chez lui. Cette odeur je ne le retrouvais pas. J'ai ouvert l'armoire et cherchais cette odeur dans ses vêtements ou son blouson. Elle n'y était pas non plus. Je retrouvais plutôt des traces, des souvenirs. La disposition de notre lit est restée telle quelle. D'autres choses ont été rajoutées. Je n'ai retrouvée aucun de mes vêtements. Effectivement, j'avais disparue.
C'est la chambre de Lounes. Je suis restée sur un fauteuil à pleurer encore. Ce que je recherchais, je ne l'ai pas trouvé. Lounes n'est plus là physiquement. C'est très difficile d'accepter qu'une personne n'est plus là. Le fait de rentrer à la maison est une étape difficile mais nécessaire pour accepter cela. Je suis ensuite descendue à la Fondation, en bas. Après une entrevue avec un journaliste, je suis encore remontée à la chambre. Toujours à la recherche de cette présence, cette odeur mais en vain. Elle n'était ni sur le couvre-lit, ni sur l'oreiller ni ailleurs. J'ai retrouvé une eau de toilette à lui dans l'armoire et j'en ai pulvérisé un peu sur mon avant-bras. Dans la salle de bains, j'ai trouvé un cercueil drapé de l'emblème national.», raconte Nadia en essuyant une larme au coin de l'œil. Dans la tête de la jeune femme tout avait rétréci sauf la voiture.
« La seule qui me paraissait vraiment énorme, c'est la voiture, ce que j'ai vu en dernier. Quand je suis rentrée dans le garage, je me suis dit, elle est énorme. Elle dégageait une certaine puissance malgré la destruction et les 78 impacts de balles qu'elles portent », dit-elle. « J'ai fait le tour. J'ai regardé au niveau du siège de Lounes, du mien puis derrière là où étaient assises Farida et Ouarda, évitant de revivre dans ma tête ses instants fatidiques. La visite de la tombe, de la maison, de la chambre, c'était déjà assez dur pour moi.
Il a fallu que je me protège. Je suis resté trois heures à la maison puis on a décidé de partir », conclut Nadia Matoub. Un ressourcement longtemps attendu et une conclusion qui s'impose d'elle même. « La vie est cruelle. J'ai compris que c'est fini. Il vaut mieux que je consacre à la défense de sa mémoire qu'à l'entretien de propres mes souvenirs. Je ne peux plus imaginer qu'on se verrait, qu'on se retrouverait un jour. C'est fini. Je vais essayer de retrouver ma place. Je suis la veuve de Lounes et je veux être l'une des gardiennes fidèles de sa mémoire », conclut Nadia Matoub.


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