Les Marocains préfèrent mettre dans le même sac les dirigeants des deux pays quant à la responsabilité de ces frontières fermées, même s'ils savent que le refus d'ouverture vient du côté algérien. Maroc. De notre envoyé spécial
Au Maroc, dès que votre accent trahit votre origine algérienne, le Marocain vous ouvre les bras et vous dit «Mrahba», «Bienvenue dans votre deuxième pays». Avec un accent évident de sincérité dans la voix. Ses bras ouverts amènent immanquablement sur la table de discussion le sujet des frontières terrestres fermées entre les deux pays. Depuis 1994, en effet, 33 millions de Marocains et 35 millions d'Algériens se regardent en chiens de faïence de part et d'autre d'une frontière désespérément close. «Je t'aime moi non plus». Entre ces deux entités que sépare une mince frontière terrestre, un océan d'incompréhension s'est installé. «Il n'y a pas de problème entre les peuples mais entre les dirigeants des deux pays», dit un Marocain de Ouarzazate rencontré dans une manifestation de l'opposition. Même si, par politesse vis-à-vis de leur hôte, les Marocains préfèrent mettre dans le même sac les dirigeants des deux pays quant à la responsabilité de ces frontières fermées, ils savent pertinemment que le refus d'ouverture vient du côté algérien. Cet entêtement des dirigeants algériens à maintenir fermées les frontières ne trouve chez nos voisins ni justification ni explication. «Pourtant le président Bouteflika est bien né au Maroc», assène ce propriétaire chleuh d'un hôtel de Casablanca. Les dirigeants du royaume alaouite, à leur tête le roi Mohammed VI, n'ont jamais raté une occasion de demander leur réouverture. Par contre, à chaque fois que le sujet est évoqué, les dirigeants algériens répondent par un silence fort éloquent ou estiment que cette question n'est pas encore à l'ordre du jour. «La politique est une chose, les rapports humains, les échanges entre les deux pays en sont une autre», estime pour sa part Samir, jeune cadre dynamique rencontré dans le train Rabat-Casa. «Allah yehdihoum», (que Dieu leur fasse entendre raison), dit un taxieur de Rabat en parlant des dirigeants des deux pays. Un avocat, ami de Oussama El Khlifi, l'un des fondateurs du Mouvement du 20 février, pense lui que ce n'est tout simplement «pas humain». «C'est bien dommage. Nous avons tellement de choses en commun», estime pour sa part un cadre du ministère marocain de la Communication. Yacine, jeune Algérien qui fait du business entre les deux pays plaide également pour la réouverture des frontières. «Le voyage par avion me coûte trop cher. Si je pouvais venir par route, ce serait plus rentable», dit-il. Mis à part les contrebandiers et les trafiquants de tous genres qui font leur beurre des deux côtés de la frontière fermée, il serait difficile de trouver quelqu'un qui plaide pour le maintien de la fermeture de ces frontières. Ces deux derniers mois, un très léger réchauffement s'est fait sentir dans les relations algéro-marocaines. La venue de la ministre marocaine de l'Energie à Alger, pour négocier l'achat de gaz algérien et la visite de Abdelmalek Sellal, le ministre algérien des Ressources en eau à Marrakech où il s'est rendu sur le site d'un barrage hydraulique. Cette dernière info, passée presque inaperçue, a été dénichée dans le quotidien marocain Le Matin, qui en a fait état dans ses pages intérieures. A l'heure où le printemps arabe balaie les régimes les uns après les autres, est-on en train d'assister à un rapprochement entre Rabat et Alger qui doivent désormais se serrer les coudes face à la tempête ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. Entre les deux pays, l'heure est plutôt à la confrontation sportive. A l'évidence, le match Algérie-Maroc ne passionne pas seulement les mordus du foot. Avec des relations aussi passionnelles que conflictuelles, le match des frères ennemis ne peut que déborder de son cadre sportif. «Le match Algérie-Maroc ? Le match de tous les dangers», écrit l'hebdomadaire marocain Le Temps dans son édition n° 87. «En sport comme en politique, le Marocain est à l'Algérien ce que le Tutsi est au Hutu : un… frère», ironise l'auteur de l'article dans un humour grinçant. Même si personne ne souhaite que le match se joue à coups de machette comme au Rwanda, ou à coups de cailloux comme en Egypte, l'enjeu est de taille. Le foot n'étant plus que la continuation de la politique par d'autres moyens, la victoire se veut symbolique. Plombées par la question sahraouie, qui peine à trouver une solution acceptée par tous, les relations entre l'Algérie et le Maroc en sont réduites à leur expression minimale. Pourtant, à eux deux, ces deux pays représentent déjà un marché potentiel de près de 70 millions de consommateurs avec des opportunités d'investissement, de coopération, d'échanges, de débouchés pour les produits des uns et des autres. Mais en mauvais élèves de la realpolitik, Marocains et Algériens préfèrent oublier tout ce qui les rapproche pour ne retenir que ce qui les sépare. Le mot de la fin laissons-le plutôt au bons sens populaire maghrébin à travers ce chauffeur de «taxi seghir» de Casablanca qui ironise sur le poste frontière fermé de Zoudj Bghal, Les deux mulets. Tout un symbole. Car il ne faut pas vraiment sortir de Saint-Cyr pour comprendre que ces deux mulets têtus ne représentent pas les peuples…