C'est devant une très forte assistance de chefs d'entreprise que se sont exprimés Hachemi Djaâboub et Sid Ali Lebib, respectivement ministre du Commerce et directeur général des Douanes à la tribune du Club excellence management et du MDI-Alger, dont ils furent les invités mercredi dernier. Le thème de la rencontre « Premier bilan de la mise en œuvre de l'accord d'association euro-méditerranéen » était certainement pour beaucoup dans l'afflux des opérateurs économiques qui voulaient savoir, chiffres à l'appui, si la première grande vague de démantèlement tarifaire de septembre 2005 doit constituer un motif de crainte ou d'espoir. Bien que la période d'observation soit à l'évidence trop courte (à peine 4 mois) pour faire un bilan exhaustif, le ministre du Commerce et le directeur général des Douanes sont néanmoins sûrs d'un certain nombre de choses. Ils ont d'une part la quasi-certitude que le démantèlement tarifaire total ou partiel qui affecte quelque 2327 produits depuis septembre 2005 n'a aucunement perturbé le marché algérien, comme il était à craindre. Les flux commerciaux avec l'Europe sont restés globalement les mêmes. Le système du contingentement appliqué à une centaine de produits n'a pas non plus suscité de rush, comme on pouvait le craindre, eu égard à la procédure FIFO (premier arrivé, premier servi) qui est appliquée. Hormis une quarantaine de produits, parmi lesquels, le sucre, qui ont vu leurs quotas s'épuiser en seulement quelques jours, environ 60% des marchandises contingentées n'ont été que partiellement (37 produits) ou pas du tout (26 produits) sollicitées. C'est dire que nos importateurs ne se sont pas bousculés au guichet des produits contingentés. Ces hauts responsables en charge du secteur du commerce ont pu également observer, statistiques des Douanes à l'appui, que les recettes douanières (droits de douane et TVA) n'ont pas enregistré une baisse significative. Elles ont même connu une légère évolution. Pour ce qui est des exportations que l'ouverture du marché européen était censé stimuler, le constat de Hachemi Djaâboub et de Sid Ali Lebib est on ne peut plus clair : « Nos exportations stagnent au niveau très bas qui les a toujours caractérisé ». Ce n'est par conséquent pas l'accord d'association qu'il faut incriminer, mais nos entreprises qui ne font rien pour rendre leurs produits exportables. L'exemple de la datte cité par le ministre du Commerce est à ce titre illustratif. L'Algérie qui produit bon an, mal an plus de 400 000 tonnes de dattes ne parvient à en exporter vers l'Europe que 16 000 t en raison de la mauvaise qualité de l'emballage. Le problème est pourtant connu depuis plusieurs années, mais les exportateurs concernés n'ont rien entrepris de sérieux pour y remédier. Le président du Forum des chefs d'entreprise, Omar Ramdane, a saisi l'occasion de cette rencontre pour livrer les conclusions d'une enquête d'opinion sur les premiers effets de l'entrée en vigueur de l'accord d'association, réalisée auprès de nombreux hommes d'affaires algériens. Les conclusions de cette enquête atténuent quelque peu le surcroît d'optimisme affiché par le ministre du Commerce et le directeur général des Douanes, en affirmant que seuls 46% des chefs d'entreprise interrogés étaient satisfaits de cet accord, que contrairement à ce qui est souvent affirmé, seules 44% des entreprises ont vu les prix à l'importation baisser et que pour 25% d'entre elles, ils auraient bien au contraire augmenté. Le patron du groupe Cévital, Issaâd Rabarab, signale même un cas flagrant de concurrence déloyale pratiquée par les exportateurs européens de sucre favorisés par des pratiques de dumping et de restrictions à l'entrée sur leurs marchés de sucre étrangers. Déséquilibre En réaction à cette doléance, Hachemi Djaâboub annonce la très prochaine promulgation d'un décret exécutif interdisant l'importation de produits ayant bénéficié d'une subvention à l'exportation, la pratique du dumping étant proscrite par l'accord d'association. Il est enfin reproché au ministère du Commerce et à l'administration des Douanes de ne pas associer les entreprises aux négociations avec l'Union européenne et l'OMC et de ne pas donner d'informations sur la manière dont le processus est mené. Mais il faut reconnaître que ces administrations ont fait ces derniers mois de gros efforts de communication avec l'édition d'un certain nombre d'ouvrages d'information et l'organisation de rencontres. Le ministre du Commerce et le patron des Douanes promettent d'aller encore plus loin en matière de communication. Dans un brillant exposé, Omar Ramdane note également qu'à bien des égards, l'accord d'association pèche par son déséquilibre au seul bénéfice des pays européens qui se sont ainsi ouverts un marché particulièrement porteur sans qu'en retour ne soient données les compensations économiques, politiques et sociales que l'Algérie était en droit d'attendre. L'Algérie n'a par exemple pas vu les investissements directs étrangers (IDE) promis affluer et les crédits MEDA octroyés à l'Algérie sont insignifiants. Sur le plan de la circulation des personnes, on assiste à un renforcement des restrictions au détriment des Algériens qui sont pourtant des clients attitrés de l'Europe, alors que les flux de marchandises en direction de l'Algérie enregistrent une augmentation considérable. Ces déséquilibres à l'avantage des pays d'Europe ne sont pas propres qu'à l'Algérie, puisque tous les partenaires du Sud s'en plaignent. C'est du reste une des principales raison du dernier sommet de Barcelone auquel la plupart des chefs d'Etat des pays de la rive sud de la Méditerranée n'ont pas pris part comme pour signifier leur mécontentement sur les dérives de l'accord d'association. Pour que la zone de libre-échange puisse vivre et prospérer, il est important que l'accord d'association soit basé, comme son nom l'indique, sur une logique de coopération et non pas de domination comme il aurait tendance à le devenir.C'est à ce vœu qu'on appelle, selon Omar Ramadane, un groupe d'intellectuels et économistes des deux rives de la Méditerranée qui viennent de rédiger une pétition à cet effet.