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«La question de l'Azawad pourrait contaminer le Niger et la Libye» Professeur Mhand Berkouk. Universitaire, expert des questions sécuritaires et stratégiques
- Le Mali est plongé une nouvelle fois dans une grave crise, avec en toile de fond cette menace sérieuse sur son intégrité territoriale. Pourquoi et comment les choses se sont-elles précipitées aussi dangereusement ? Je crois que le Mali a toujours vécu une crise d'identité et des problèmes de construction de l'Etat. Ces problèmes se sont accentués récemment par rapport à une radicalisation des revendications d'une frange militante de l'Azawad revenue aguerrie de Libye sur le plan de l'expertise militaire et équipée d'armes de combat. Cette nouvelle rébellion n'adresse plus des revendications sociales, économiques et de justice des minorités au nord du Mali, mais défend une thèse identitaire sur le plan politique qui ne reflète pas l'histoire récente du Mali.
- La double proclamation de l'indépendance de l'Azawad et de l'émirat islamique de Tombouctou risque de provoquer une afghanisation de toute la région du Sahel. Peut-on dire que l'Algérie fait face à une grave menace sur sa sécurité nationale ? Ce qui se passe actuellement au Mali est très grave car on voit un problème de construction politique et de l'Etat suite au coup d'Etat du 22 mars. Premièrement, cela risque de déstabiliser davantage tout le pays à cause de l'absence de consensus politique national et de l'absence de cohésion interne à l'armée qui a été la source même de l'instabilité actuelle au nord du Mali. Deuxièmement, le MNLA risque de ne pas préserver son unité à cause de conflits possibles en son sein et en présence de mouvements radicaux qui mélangent l'identité targuie et leur sens de l'islam. Troisièmement, l'apparition de nouveaux acteurs terroristes au Mali (Mujao) ainsi que le développement de rapports fonctionnels entre les réseaux terroristes au Sahel avec ceux du Nigeria et de Somalie constituerait une véritable menace pour la zone qui s'étend du Cameroun au Kenya. En ce qui nous concerne, si l'instabilité au nord du Mali persiste, on verra trois situations possibles : -1) L'afghanisation du nord du Mali avec l'émergence d'un nouveau front international du terrorisme qui pourrait être exploité par quelques pays occidentaux comme prétexte pour une intervention à des fins stratégiques. -2) La somalisation, avec la prolifération des «dieux» de la violence dans une région où le crime organisé et le trafic de drogue sont en nette croissance. -3) L'élargissement de l'instabilité au sens identitaire au nord du Niger, ce qui pourrait créer un nouveau foyer d'inquiétude pour l'Algérie, surtout que la frontière avec la Libye est devenue très difficile à gérer, tout comme celle avec le Mali à cause de l'absence d'une administration sécuritaire centrale dans ces pays.
- D'aucuns soupçonnent Amadou Toumani Touré d'avoir provoqué ce chaos pour se mettre dans la peau de la victime et rebondir après. Qu'en pensez-vous ? Ce qui se passe au Mali est, de mon point de vue, plus grave qu'un simple coup de théâtre politique. C'est une déstabilisation d'un Etat et d'une région et l'ouverture de la boîte de Pandore des insécurités. La question de l'Azawad pourrait contaminer le Niger et la Libye et trace l'idée construite par Mouammar El Gueddafi lors de son serment du Mawlid Ennabaoui, en 2006 à Tombouctou, lorsqu'il parlait de «confédération des Touareg». Il ressemble aussi au préambule de ladite république «Tamujgha» décrétée à Paris en septembre 2007 sur la base du décret colonial français de 1957 sur le Grand Sahara (OCRS). Ce qui veut dire essentiellement que la victime de l'effondrement de l'autorité politique au Mali n'est pas ATT, mais la sécurité de son pays, au risque de déstabiliser toute une région.
- Les réactions des Etats-Unis et de la France à la proclamation de l'indépendance de l'Azawad étaient un peu laborieuses, voire mitigées. Seraient-ils prêts à cautionner un micro-Etat pour peu que ses promoteurs fassent acte d'allégeance au front contre AQMI ? J'estime que le discours diplomatique rejetant la possibilité de l'émergence d'un micro-Etat qui ne serait pas viable dans la région converge avec les craintes de plusieurs pays, dont ceux que vous citez, quant à la transformation de ce territoire Azawad en une véritable couveuse des terroristes. C'est pour cela que l'afghanisation serait une arme à double tranchant : elle déstabiliserait des pays alliés à la France notamment, dont le Niger, le Sénégal et la Mauritanie, sans oublier éventuellement le Burkina Faso. Comme elle pourrait aussi développer des logiques d'attaques au-delà du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest en utilisant le chaos sécuritaire pour former un nouveau radicalisme exportable vers l'Occident, notamment au sein des communautés issues de ces deux zones.
- Qu'est-ce qu'il y a lieu de faire, selon vous, pour éradiquer ou tout au moins juguler cette grave menace ? Vu le caractère transnational de la menace terroriste et du crime organisé, vu le caractère transfrontalier des revendications identitaires et la complémentarité opérationnelle créée par la dynamique de Tamanrasset, il serait très intéressant de songer à la création d'une construction institutionnelle politique, économique et sécuritaire commune aux pays du champ sur les principes de la non-ingérence et du respect absolu du principe de l'intangibilité des frontières et la résolution pacifique des conflits. Cette construction institutionnelle créera éventuellement une conscience collective d'un destin commun de paix et de codéveloppement.