Les malades nécessitant des soins d'urgence sont contraints de se rendre dans les CHU ou les centres spécialisés pour faire soigner des blessures qu'ils auraient pu traiter au centre de soins le plus proche. Les Aït K. sont effrayés. Leur enfant de deux ans et demi, circoncis depuis 48 heures, saigne. Les parents, affolés, l'ont emmené à la seule polyclinique de la commune. Les infirmiers, après avoir constaté l'ampleur de la plaie, ont préféré appeler le médecin de garde. Ce dernier, après avoir examiné le petit, a signifié aux parents qu'il ne pouvait rien faire. «C'est si grave ?» «Non, c'est que je n'ai aucun moyen d'intervenir. Je n'ai pas le pansement adéquat ni le fil chirurgical nécessaire, car si je dois intervenir, je serais certainement obligé de refaire la suture, et là, je n'ai absolument rien.» Le médecin s'est contenté d'appliquer une solution pour désinfecter. «Voyez-vous, je n'ai même pas le désinfectant nécessaire. Si vous pouvez vous procurer ce produit, vous pourrez le lui faire appliquer au centre de soins le plus proche. Mais pour le saignement, je ne peux pas le toucher, je vous conseille de l'emmener au chirurgien qui a pratiqué la circoncision. A son niveau, il y certainement les moyens nécessaires», soutient le médecin en indiquant aux parents une liste de produits, une pommade et une lotion à acheter pour désinfecter quotidiennement. C'est le drame auquel sont confrontés les malades et leurs parents. Nécessitant des soins d'urgence, ils sont contraints de se rendre dans les CHU ou les centres spécialisés pour faire soigner des blessures qu'ils auraient pu traiter au centre de soins le plus proche, dont la vocation essentielle est de prendre en charge ce type de «bobos». Une maman habitant la cité Faïzi, à Bordj El Kiffan, a été priée de transférer sa fille souffrant d'une petite blessure infectée vers un autre établissement. «On m'a dit qu'il n'y a pas de médicaments», explique-t-elle. Dans une salle de soins située sur une ruelle perpendiculaire à l'avenue Pasteur, les patients sont obligés de se procurer des seringues à l'extérieur pour s'assurer une injection. «Ce n'est pas du tout normal. Nous devons ramener du sparadrap, des désinfectants et des seringues, il reste plus qu'à nous demander de nous soigner nous-mêmes !», lâche une dame à bout de nerfs. Ce problème qui se pose pour le traitement des «petits maux» est ressenti avec acuité lorsqu'il s'agit des vaccins. Les salles de soins ont été détournées de leur vocation principale. Censées fournir les premiers soins, les vaccins et assurer le suivi des traitements préconisés avec assistance (injections, prise de la tension, etc.), elles sont aujourd'hui des «salles d'attente» et de transfert vers les hôpitaux, mais aussi vers les établissements privés. C'est donc la ruée vers l'hôpital à la moindre petite blessure, ce qui crée une tension au niveau de ces établissements dont les services des urgences sont pris d'assaut par des patients qui auraient pu être pris en charge par des centres de proximité. Un coup de pouce pour le privé ? C'est chez le privé que les patients trouvent une prise en charge à temps. Le problème se pose également pour les vaccinations ; les parents font un véritable parcours du combattant pour prémunir leurs enfants avec les vaccin nécessaires. Une mère de famille témoigne : «Cela dure depuis quelque temps. Depuis la raréfaction des vaccins et la pénurie des médicaments, nous ne sollicitons plus les services des centres de soins. Pour le vaccin de mon cadet, j'ai fait appel à un cousin qui travaille dans le secteur de la santé qui me renseigne où je peux trouver le vaccin approprié. Là se pose le problème de la résidence, car parfois dans un centre de soins, on refuse de prendre en charge ceux qui ne résident pas dans le périmètre délimité selon la carte sanitaire.» Mais c'est chez le privé que les parents se résignent à frapper pour éviter ce genre de tracasseries. «Depuis le début des problèmes d'indisponibilité des vaccins, j'ai décidé de faire vacciner mon bébé chez un privé. Certes, cela me coûte excessivement cher, mais je préfère cette dépense supplémentaire aux courses interminables entre les salles de soins où, en fin de compte, on est rarement servi à temps.» Y a-t-il un rapport entre la pénurie de médicaments et l'émergence de salles de soins privées ? L'Intersyndicale de la santé publique n'a pas hésité à faire le lien entre «ce malaise dû essentiellement aux pénuries» et les «lobbies» voulant propulser le privé dans le secteur de la santé. Depuis sa création, au début de l'été, ce bloc de plusieurs syndicats du secteur de la santé a introduit, dans sa plateforme de revendications, des points liés à la gestion des établissements de santé publique et la disponibilité des médicaments. Les établissements privés de santé ne sont plus sollicités uniquement pour les vaccins ; ils offrent aujourd'hui la prise en charge des premiers soins. Si ces établissements font fuir à cause des tarifs exercés, ils restent cependant le seul choix qui se présente devant les patients, vu que leurs services sont disponibles H24 et qu'ils disposent de médicaments et autres équipements. Les services de la protection maternelle et infantile (PMI) et les centres de dialyse illustrent parfaitement cette situation. Des femmes enceintes boudent les «tracasseries» du service public et se font suivre, durant leur grossesse, par des gynécologues privés. «Même si ce suivi consomme une partie de notre budget, je préfère ce désagrément aux interminables attentes aux PMI et aux mauvaises conditions d'accueil», soutient une patiente rencontrée dans la salle d'attente d'une gynécologue à Alger. Les centres de dialyse privés sont également d'un grand support pour les malades nécessitant des séances deux fois par semaine. L'Intersyndicale tire la sonnette d'alarme quant à la dislocation du tissu sanitaire public. «Il y a une mise à mort orchestrée du système de santé publique, pourtant seul à garantir une prise en charge réelle de plusieurs couches de la population, notamment les plus défavorisées. Le privé est le bienvenu, à condition qu'il ne soit pas promu au détriment du système public», a déclaré récemment Lyès Merabet, porte-parole de l'Intersyndicale de la santé publique.