Ces maraîchers sont rapidement parvenus à mettre en valeur des terres sur lesquelles rien ne poussait auparavant. Deux années après la fermeture d'une trentaine de puits qui servaient à l'irrigation de champs de cultures maraîchères, la majorité des agriculteurs avaient mis les voiles vers des cieux plus cléments. Installés sur les terres situées sur la façade maritime de Stidia, ces maraîchers très entreprenants avaient réussi à mettre en valeur des dizaines de parcelles que l'arrachage du vignoble avait livrées à l'érosion. En effet, la bande côtière, qui s'étale depuis la coquette Ouréah jusqu'à la lisière de Sidi Mansour, naguère plantée uniquement de vigne, avait été littéralement transformée par l'arrivée de pionniers originaires du Dahra oriental. Profitant de la présence d'une lagune où se déversaient les eaux domestiques de Stidia, ils étaient rapidement parvenus à mettre en valeur des terres sur lesquelles rien ne poussait auparavant. Maîtrisant à la perfection la pratique du maraîchage, ces jeunes Berbères sont parvenus, l'espace de quelques années, à tirer avantage de la nature des sols et de la présence des eaux d'infiltration en provenance de la lagune. Très vite, les étendues dénudées, sur lesquelles se relayaient de malingres troupeaux de moutons, recevront les verdoyants plants de petits pois, de tomates et d'aubergines. Ces terres, autrefois incultes, se mettront à alimenter les marchés en tomates et en légumes que les enfants prodiges du Dahra savent produire mieux que quiconque. Appliqués et redoutables d'efficacité, ils parviendront très vite à soulever de nombreuses inimitiés. C'est ainsi qu'après plusieurs années de durs labeurs et de sacrifices, ces pionniers seront contraints de quitter les lieux. La mort de l'âme, ils n'accepteront jamais la fermeture des puits qu'ils avaient mis tant d'ardeur à creuser. Des cultivateurs ingénieux Prétextant une infestation – au demeurant jamais démontrée – de leurs tomates, des responsables ordonneront l'enfouissement des puits. Très vite, alors que la terre reprenait son aspect désertique, et que les troupeaux de moutons se remettaient à battre le sol aride en quête de la moindre brindille, les eaux de la lagune – dont le niveau était maintenu grâce aux irrigations – se mirent à monter dangereusement. Ce qui facilitera grandement l'arrivée d'un entrepreneur à qui on avait confié la tâche d'évacuer le surplus d'eaux usées vers la plage située en contrebas. Mais face à une farouche opposition des marins pêcheurs, le projet a été abandonné, au grand dam de ses initiateurs. Le bon sens ayant enfin repris ses droits, les maraîchers qui s'étaient exilés pour la plupart dans le Témouchentois sont revenus en force. En quelques semaines, le temps de creuser les puits et d'installer les tuyaux et voilà que la campagne de tomate de plein champ est relancée. Plus déterminés que jamais, ces jeunes cultivateurs retroussent les manches pour redonner à cette région une fertilité qu'ils sont les seuls à faire fructifier. C'est pourquoi, de chaque côté de la RN11 s'étalent, non sans insolence, d'interminables rangées de tomates. Ingénieux comme leurs aïeuls du temps de Massinissa, les jeunes Berbères du Dahra oriental ont su dompter la nature à la force des bras. C'est sans aucune fierté que, tous les jours, des dizaines de camionnettes emportent vers le marché des centaines de quintaux de tomate, de courgettes et de haricots que leurs mains rugueuses et juvéniles posent avec fierté au fond des cageots. Le soir venu, une fois débarrassés de leurs sueurs et soulagés de leurs guenilles, ils se regroupent dans les cafés de Stidia pour siroter calmement un café bien mérité. Car le lendemain, bien avant le lever du soleil, ils reprendront les chemins des champs de tomates qu'ils apprêtent dans un silence divin.