Maurice Corbel (auteur de Les éclats du djebel - 1979 et Vénissieux la rebelle - 1997) et Ahmed Khenniche (membre de la direction nationale du MRAP, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) ont, dans une étude intitulée Itinéraires : paroles de Vénissians d'origine algérienne (Editions lyonnaises d'art et d'histoire), réalisé une étude sur la problématique d'intégration à Vénissieux, commune suburbaine de Lyon. Cette tentative d'analyse produite à partir d'entretiens avec des Algériens et des Français d'origine algérienne se veut « un outil pour comprendre les risques de repli identitaire » que l'on constate aujourd'hui, soulignent les auteurs. Pourquoi ont-ils choisi plus particulièrement les Algériens et Français d'origine algérienne, une des nombreuses composantes ethniques de la ville de Vénissieux ? La réponse est donnée par le maire de cette ville, André Gérin, qui signe la préface de l'ouvrage. Citant l'islamologue français Jacques Berque « parce que entre les Maghrébins, les Algériens surtout, et la France, se joue en France un jeu plus grave qu'avec les autres immigrés », le député-maire de Vénissieux rappelle que « Lyon et Vénissieux ne découvrent pas les Algériens dans les années 1950. Dès la Première Guerre mondiale, ils sont présents (d'abord, ne l'oublions pas, sur le front dans les rangs de nos armées) dans la région, sur nos chantiers et dans nos usines...Ces hommes participent aux luttes revendicatives, anticolonialistes et pour l'indépendance de leur pays, l'Algérie, aux côtés des ouvriers de la métallurgie, de la chimie et du bâtiment. Il y a eu entre nos deux peuples de riches échanges et l'espoir partagé de vivre dans une société plus fraternelle. » Il ajoute que « dans nos cités, un vaste chantier s'ouvre à tous les citoyens pour reconquérir, notamment les valeurs républicaines et laïques, aider à l'émergence d'un Islam tolérant et populaire pour les croyants, stopper les dérives communautaires, s'opposer à toutes formes d'oppression qui remettent en cause le statut de la femme, l'égalité entre les sexes. En un mot, il s'agit de retrouver le ciment social garant du mieux-vivre ensemble ». A partir de ces entretiens, les auteurs ont reconstitué, dans leurs grandes lignes, un processus d'intégration d'une population algérienne et de ses enfants, des années 1950-1960 jusqu'au début des années 1980. Globalement, jusqu'à la fin des années 1970, les immigrés et leurs enfants nés en Algérie ou en France ont le souci de se fondre dans la société française. Entre parents et enfants, il n'y a pas de rupture dans le souvenir des trajectoires familiales. De leurs entretiens, Maurice Corbel et Ahmed Khenniche relèvent, par exemple, que les mariages mixtes, qui ont longtemps été considérés comme un indicateur d'intégration, seraient aujourd'hui en régression, que la politique de mixité de l'habitat, qui était un autre « processus exemplaire d'intégration » des populations immigrées, a connu un glissement vers une forme de « ghettoïsation » à la française. Le modèle d'intégration mis en œuvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale reposait sur des principes généreux, tels le travail pour tous, le droit à l'habitat social... Depuis, il a connu bien des avatars, notamment depuis la fin des années 1970. « Plus pour des raisons de transformation du système de production économique que pour l'origine des populations immigrées. Avec ce qu'on nomme la désindustrialisation, un modèle d'intégration dans lequel le mouvement ouvrier et ses associations jouaient un rôle fondamental est devenu obsolète », relèvent Maurice Corbel et Ahmed Khenniche. Les Algériens au centre de cette enquête (générations des années 1950-1960) étaient comme les Italiens, les Espagnols et les Italiens dans cette filière d'intégration. Aujourd'hui, c'est l'aspect religieux, l'Islam, qui est souvent mis en avant comme obstacle rédhibitoire à l'intégration des populations d'origine musulmane. Or, « cette question autour de l'Islam est récente », notent Maurice Corbel et Ahmed Khenniche. Et, citant Olivier Roy « l'individualisation de la religiosité et donc la désacralisation de l'espace social » (Vers un Islam européen, Edition Esprit 1999), ils affirment que « c'est le destin plus que probable en France de cette religion. Car on voit mal comment l'Islam échapperait à ”l'acculturation” religieuse, c'est-à-dire ne prendrait pas rang au même titre, ni plus ni moins, que les autres religions dans le paysage français ».