Lors de la préparation des différents plans ou programmes d'action, il est nécessaire d'élaborer des prévisions sur un certain nombre de paramètres. Par exemple, lors de la conception du projet de loi de finances, on est amené à anticiper la croissance du PIB, le taux d'inflation, la parité dinar/dollar, etc. C'est en fonction de ces paramètres que l'on peut déduire d'une manière approximative l'évolution des recettes, des dépenses et de nombreuses autres rubriques du budget national. Les méthodes de prévisions peuvent être le résultat de systèmes économétriques sophistiqués (modèles de plusieurs centaines d'équations), d'une simple arithmétique, ou parfois juste d'intuitions de quelques personnes chargées d'élaborer les programmes. L'analyse coûts/bénéfices montrerait qu'on a intérêt à investir quelques ressources sur des systèmes plus sûrs, mais qui ne sont jamais autant précis qu'on le souhaiterait. On remarque que de nombreux paramètres figurent dans les prévisions de la loi de finances 2015. La croissance économique globale serait aux environs de 3,4% et hors hydrocarbures de 4,5%. Le taux d'inflation se situerait à 3%. Aucune information ne filtre sur la méthodologie de calcul de ces données, mais ce n'est pas là notre inquiétude. Les résultats économiques réels proviennent en partie des maniements d'instruments par les décideurs et surtout de ripostes des agents économiques à la manipulation de ces outils. Par exemple, par la bonification de 3% des intérêts accordés à l'investissement productif (projet de loi de finances 2015), on espère booster l'activité économique. Mais la réaction des agents dépend d'une myriade de paramètres (entre autres l'augmentation de l'IBS à 23%). L'activité Normale et L'économie Boostée La nature humaine a tendance à intérioriser et à permettre ce qui serait apparemment peu commun. Si un élève fait une scolarité moyenne sur de longues années, ses parents auraient tendance à accepter cela comme normal. Même si des améliorations sont possibles, on vit avec ce qui devient la norme. Lorsqu'on est dans des situations moyennes, il n'est pas dangereux de tolérer ce genre de performance. Mais lorsqu'on est en position d'obtenir des résultats médiocres, alors il serait dangereux d'autoriser une telle performance. Dans notre pays, les décideurs, les économistes et la plupart des analystes trouvent normal que l'on soit parmi les tout derniers de la classe. Autrement dit, nous avons baissé les bras, nous avons accepté que l'économie fonctionne avec un niveau très important d'injection de ressources précieuses tout en nous restituant des performances médiocres. Les analystes qui relèvent cette anomalie se comptent sur le bout des doigts. Nous allons élaborer, tout en les simplifiant, les mécanismes liés cette conclusion. Toute économie connaît ce qu'on appelle «un taux de croissance naturel» ; c'est-à-dire une augmentation de la production nationale sans intervention de l'Etat, en situation de normalité (pas de crise). Ce taux est fonction de nombreux paramètres, entre autres : le niveau de développement du pays et l'efficacité de sa stratégie économique. Il se situerait entre 1,5 à 2,5% aux USA et entre 5 et 5,5% en Corée du Sud à titre d'exemple. Il commence à être important en Afrique (plus de 7% pour le Botswana). Sans aide de l'Etat, les agents économiques investissent, améliorent la productivité et font croître l'économie. Si l'Etat intervient, la croissance serait boostée. Avec 1% de dépenses publiques en plus, l'économie gagnerait entre 1 et 3% de croissance supplémentaire. Certes, la plupart des investissements, chez nous, sont contenus dans les dépenses de l'Etat (logements) ; ceci réduirait mais n'invaliderait pas le mécanisme. En résumé, sans aide de l'Etat, en situation normale on obtient une croissance moyenne de l'activité économique. Lorsque l'Etat injecte davantage de ressources, on amplifie l'activité économique. Mais où est le problème ? Nous l'expliquons dans ce qui suit. On Banalise l'Inacceptable La lecture de la loi de finances nous laisse perplexe. De nombreux responsables et commentateurs trouvent normal qu'avec une injection massive de ressources, on obtient des résultats anormalement bas. En effet, les dépenses d'équipements vont connaître une croissance de plus de 48%. Les dépenses totales de l'Etat vont être boostées de 15,7% (avec une inflation de 3%) et la production nationale hors hydrocarbures ne vas croître que 4,5%. Ainsi, le Botswana dont les dépenses publiques vont croître de moins de 5% en termes réels va connaître une croissance forte (entre 8 et 12%), à titre d'exemple. Notre économie, qui va connaître une dose de croissance des inputs (hors hydrocarbures) de plus de 22%, aura une croissance de 4,5%. Nous avons permis à nos entreprises économiques et à nos institutions de fonctionner avec un très faible niveau d'efficacité. Nous sommes dans la situation d'une famille qui accepte que leur enfant soit parmi les derniers de la classe alors qu'il a les capacités de faire nettement mieux. Pourquoi acceptons-nous cet état de fait ? Uniquement parce qu'on a fonctionné de cette manière pendant de nombreuses années. Ces données doivent nous mettre sur une trajectoire de 12% de croissance annuelle. Mais puisque par le passé d'énormes ressources injectées avaient abouti à une croissance nettement en deçà de ce qui serait normal pour une économie à performance moyenne, nous avons intériorisé ces données. Elles deviennent la norme. Au lieu de chercher les voies et moyens d'améliorer les performances, on fait des prévisions très pessimistes, voire inacceptables pour une économie même moyenne. La famille accepte que l'enfant soit parmi les cinq derniers et règle ainsi définitivement son problème. Avec ces prévisions et ce volume de ressources mobilisées, on n'a pas besoin d'une restructuration du secteur économique public ni d'une amélioration du mode de fonctionnement des institutions de l'Etat ; «tout se passera normalement, tel que prévu». Sauf que nous prévoyons d'être parmi les tout derniers de la classe !