Plus de 16 000 familles ont été relogées dans des logements sociaux uniquement dans la banlieue d'Alger au cours du deuxième semestre de 2014. Un vaste plan de relogement entrant dans le cadre de l'éradication de l'habitat précaire qui a été scindé en une quinzaine d'opérations. Des opérations devenues urgentes compte tenu de la pression sociale exprimée à chaque effondrement de mur, de toit ou de parcelle d'habitation dans des immeubles tombant en ruine. Mais également à chaque fois que la distribution de logements sociaux à des centaines de bénéficiaires faisait sortir dans les rues des milliers de non-bénéficiaires. Saturation oblige, les familles sont relogées dans la banlieue d'Alger (Birtouta, Heuraoua, Ouled Chebel, Douéra, Baraki, Khraïcia, etc). Des extensions de la capitale, flambant neuves, mais parfois dépourvues de toutes commodités et de loisirs. Les nouveaux locataires y déplorant l'absence des infrastructures socio-économiques et culturelles, ainsi que les services les plus élémentaires (santé, transport, éducation, poste, commerce). Les manques sont tels qu'ils donnent l'impression que ces extensions n'ont jamais été prévues, et pourtant. Les bénéficiaires des relogements des différents programmes publics d'habitat, ou encore les Algérois qui ont délibérément choisi de quitter le vacarme du centre-ville pour s'installer en périphérie grâce à l'auto-construction ne sont pas les seuls à l'origine de l'étalement des limites de la capitale. Périphérisation Madani Safar Zitoun, professeur en sociologie urbaine, fait état dans une étude (Alger d'aujourd'hui, une ville à la recherche de ses marques sociales, 2009) d'un «mouvement de périphérisation de plus en plus lointaine de l'installation des populations provenant d'autres wilayas, notamment en ce qui concerne l'habitat précaire». «Le déplacement du front d'urbanisation» a fait que les quartiers centraux de la capitale (regroupant 16 communes) se sont vidés au profit des zones périphériques lointaines (41 communes). Les taux d'accroissement des populations entre 1998 et 2008 a baissé de plus de 4% dans les premières zones et augmenté de plus de 6% dans les secondes (chiffres ONS). Pour le sociologue, les programmes publics comme l'AADL ont même favorisé «la déportation» des couches moyennes vers la périphérie. Tous ces mouvements de relocalisation ont débouché sur une «nébuleuse urbaine étalée et difforme en périphérie, mal connectée au reste de l'ancienne agglomération compacte», souligne le sociologue en précisant que «malgré la formidable frénésie de construction de locaux commerciaux, les investissements considérables consentis par les autorités municipales et wilayales afin de rattraper en termes de viabilité les retards accumulés», cette nébuleuse ne réussit pas à «faire ville». Urgence Happé par l'urgence, le gouvernement a souvent négligé toutes les exigences accompagnant l'extension urbaine dans le cadre des vastes programmes de logement entamés depuis le début de la décennie 2000. Trois quinquennats plus tard, le président Bouteflika le faisait remarquer dans un message à l'occasion de la remise du Prix national d'architecture et d'urbanisme 2014. «La grande pression et l'urgence» ne devraient pas empêcher d'aboutir à un modèle d'habitation respectant «les normes techniques de modernité» et «les principes de l'architecture traditionnelle». Il a noté que «la construction de logements s'est souvent limitée à l'aspect quantitatif, une approche qui a donné lieu à l'émergence de cités-dortoirs qui n'ont fait qu'élargir les disparités et renforcer les sentiments de frustration et de marginalisations sociales». Manque de commodités, de loisirs et d'infrastructures ont parfois annihilé la joie de disposer de nouvelles habitations. Le fait est que le rythme des réalisations et de distribution de logements publics n'a jamais pu être au niveau des réalisations d'autres infrastructures en phase avec les besoins des nouveaux pôles urbains. Quand le gouvernement construisait 2 millions de logements entre 1999 et 2008, le nombre d'établissements publics scolaires réalisés était de seulement 6550, soit à peine 0,3 établissement pour 100 logements. On comptait seulement 0,2 école primaire tous les 100 logements (toutes formules confondues). En matière de santé, la situation est encore plus dramatique. Le bilan du gouvernement couvrant la même période fait ressortir un ratio de 0,05 salle de soins réalisée par 100 logements (0,29 pour 100 logements sociaux). Les établissements de santé (hôpitaux, polycliniques, centres de santé) offrent une couverture médicale des plus dérisoires. Pour 100 logements sociaux construits, l'Etat réalisait moins de 0,1 établissement (0,01 pour 2 millions de logements). Même ratio en matière d'établissements culturels et de loisirs. Quant au commerce, le ratio de locaux commerciaux pour 2 millions de logements était quant à lui d'à peine 4,1. Difficile de penser aux loisirs et aux commodités quand la priorité est le relogement. Pour autant, le gouvernement qui compte en finir avec la crise du logement d'ici 2019 a promis de se corriger d'ici là. L'ex-directeur de l'AADL, Lyes Benidir, a assuré en 2014 que sur instruction du Premier ministre, les prochaines cités seront «intégrées», incluant «tout ce dont ont besoin les résidaents». Une promesse qu'il incombera désormais à son remplaçant de tenir.